Rentrée : l’écosystème des cybermonnaies sortira-t-il de la morosité ?

Dans les mois qui viennent, il va falloir surveiller de près l’utilisation réelle de Lightning et le lancement opérationnel des extensions d’Ethereum et d’EOS.

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Rentrée : l’écosystème des cybermonnaies sortira-t-il de la morosité ?

Publié le 8 septembre 2018
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Par Gérard Dréan.

En cette fin de, vacances, l’ambiance est morose dans le monde des cybermonnaies, et les grands événements annoncés pour 2018 tardent à se produire ou à produire leurs effets annoncés. Au moment de la rentrée, essayons d’identifier quelques grandes questions d’actualité, en jetant un coup d’œil sur l’écosystème dans lequel les cybermonnaies et les systèmes associés naissent et évoluent.

Le développement des logiciels

Dans ce domaine, presque tous les développeurs ont adopté les principes du logiciel libre, qui imposent de publier le code source des logiciels, et permettent à chacun de les copier en tout ou en partie, de les modifier et de les re-publier sans autre contrainte que celle de citer l’auteur original.

Cette sorte de mutualisation de la R&D est supportée par des sites spécialisés qui proposent de nombreux outils de publication et d’échange1. En permettant aux développeurs de réutiliser des sections de code développées par d’autres et de concentrer l’essentiel de leur effort sur les sections les plus innovantes, elle accélère le progrès technologique.

Ces particularités de l’écosystème conduisent à prévoir d’une part un foisonnement continu de logiciels plus ou moins innovants, qui serviront en particulier de bancs d’essai à toutes les idées de solutions aux problèmes de performance ou de sécurité rencontrés par les systèmes dominants, et d’autre part le perfectionnement continu des systèmes dominants, tant par réutilisation de solutions validées par les systèmes secondaires que par des développements propres.

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On recense actuellement, selon les sources, entre 1700 et 4300 systèmes dits de « registre distribué » (distributed ledger systems) plus ou moins dérivés de Bitcoin. Pour les besoins de cet article, nous distinguerons trois grandes catégories : les systèmes de paiement généralistes analogues et concurrents de Bitcoin, les systèmes traitant une application particulière comme des jeux ou des partages de ressources, et les plateformes générales comme Ethereum, destinées à servir de base à des systèmes plus spécifiques.

Le déploiement

La plupart de ces systèmes manipulent des informations sensibles comme des paiements ou des titres de propriété, et nombreux sont les individus ou les organisations qui sont prêts à dépenser des trésors, d’ingéniosité ou autres, pour frauder ou pour en subvertir le fonctionnement. Avant qu’ils soient ouverts au public, il faut donc les soumettre à des tests intensifs dans un environnement contrôlé où il sera possible de rejouer tous les scénarios d’attaque dans tous les cas d’usage et à tous les niveaux de charge, y compris les plus extrêmes, sans risque de conséquences opérationnelles néfastes.

Ces tests sont exécutés sur un réseau particulier formé d’un nombre suffisant de nœuds dans chacun des rôles possibles (généralement appelé testnet). Pour espérer que son système soit adopté, le promoteur doit recruter ces ordinateurs, mobiliser leurs opérateurs autour du programme de tests, et mettre en place une équipe centrale et un système de communications pour coordonner l’ensemble de l’opération et apporter au logiciel les corrections nécessaires. C’est une opération au moins aussi lourde que le développement du logiciel, et qui peut entraîner un coût non négligeable.

Ce dispositif de tests devra rester en place quand le système sera opérationnel. En effet, plus les enjeux seront attractifs pour les fraudeurs et les menaces de plus en plus sérieuses pour les concurrents, en particulier les organismes étatiques ou para-étatiques, plus les attaques redoubleront et deviendront diverses et vicieuses. Il faudra donc maintenir des équipes de correction et faire preuve d’une extrême prudence dans les modifications des systèmes opérationnels, toute modification augmentant la « surface d’attaque ». Il faudra également repasser par un cycle de tests à chaque modification, donc maintenir un réseau de tests séparé pendant toute la vie du système.

Certaines équipes distribuent gratuitement (airdrops) des tokens (jetons) représentant des droits relatifs au système censé résulter du projet, mais qui ne peuvent être exercés qu’à travers le système lui-même. Le but est d’intéresser les possesseurs de ces tokens à la réussite du système et donc de les motiver à participer activement à son lancement. La vente de ces tokens contre une monnaie ayant cours (dollars, euros ou bitcoins) par la voie d’ICO (Initial coin offering) peut en outre apporter un financement immédiat.

L’adoption

Si le projet franchit cet obstacle et si le système pilote résiste à toutes les attaques, il peut alors être ouvert au public (sur le mainnet ou livenet).

Dans un système ouvert (unpermissioned) comme Bitcoin ou Ethereum, cette ouverture marque une rupture dans le mode de gestion du réseau, dont l’évolution échappe aux promoteurs du système et résulte dorénavant des décisions individuelles des utilisateurs potentiels. Or la confiance que chaque utilisateur peut avoir dans le système dépend du nombre d’utilisateurs. Il ne se joindra donc à un réseau que si celui-ci compte déjà un certain nombre de nœuds actifs, surtout dans les rôles critiques, ce qui donne un avantage déterminant aux systèmes en place et ne permet aux systèmes alternatifs de se développer que lorsque les systèmes en place sont saturés.

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Ces réticences à l’adoption sont évidemment d’autant plus fortes que les risques sont élevés. La vitesse de montée en régime dépend donc de la nature de l’application et de la population visée. Or un grand nombre de systèmes de registre distribué sont des applications particulières qu’il faudrait examiner une par une. Pour des applications relativement frivoles (jeux, paris…), l’adoption peut être rapide et l’abandon tout autant. Pour des applications plus sérieuses (paiement, notariat, diplômes, santé), l’adoption sera nécessairement plus lente et plus les utilisateurs d’un système lui resteront fidèles.

Beaucoup de projets échoueront à ce stade, soit par incapacité à mobiliser un nombre suffisant de partenaires, soit par insuffisance des solutions techniques aux problèmes révélés par l’usage. Ces échecs seront généralement discrets alors que leur lancement avait été annoncé en fanfare, et les projets mort-nés resteront longtemps dans les listes publiées sur Internet , en laissant un grand nombre d’abus, d’arnaques et d’impasses inavouées.

Les systèmes de paiement

Dans le domaine des systèmes de paiement, en dehors de cas très particuliers tels que l’économie souterraine ou les pays sans système bancaire fiable, l’utilisateur potentiel dispose déjà d’un grand choix de moyens de faire à peu près la même chose, que ce soit les paiements en espèces, par chèque ou virement, par carte, par Internet ou maintenant par smartphone. Il n’y a donc pas vraiment de demande latente insatisfaite.

De plus, s’agissant du domaine particulièrement sensible qu’est la monnaie, où les enjeux peuvent être importants, il est prudent de n’utiliser que des moyens éprouvés et reconnus comme fiables, donc d’éviter les technologies nouvelles et les monnaies non officielles. On peut donc s’attendre à une grande fidélité à l’existant, et à une montée en régime très lente à la fois des paiements en cybermonnaie en général et de chaque cybermonnaie prise en particulier. La préférence des utilisateurs ira longtemps au système dominant tant qu’il n’est pas saturé ; et quand il faudra se tourner vers d’autres, leur choix se portera sur les plus rassurants plutôt que sur les plus innovants.

Au moment de la rédaction de cet article (début septembre 2018), Bitcoin tourne à sa capacité utile maximale, autour de 340 000 paiements par jour2 (au cycle hebdomadaire près) de façon remarquablement stable depuis février 20183. Toute demande supplémentaire ne pourra être satisfaite que par ses concurrents. Là aussi la situation est remarquablement stable depuis juillet, avec dans l’ordre : Dogecoin, Litecoin et Zcash entre 50 000 et 70 000 paiements par jour, Dash et Verge autour de 30 000, Bitcoin Cash ayant brusquement bondi de 20 000 à 200 000 en août. Tous les autres sont à un niveau négligeable inférieur à 10 000 paiements par jour, et tous très loin de leurs capacités respectives, qui sont toutes largement supérieures à celles de Bitcoin.

Tous ces systèmes sont plus ou moins des clones de Bitcoin ; Litecoin (2011) et Dogecoin (2013) sont optimisés pour les paiements rapides de faible montant ; Zcash (2014), Dash (2014) et Verge (2015) permettent des paiements sécurisés. Tous sont déjà relativement anciens sauf Bitcoin Cash lancé en 2017.

Cette situation est conforme aux prédictions ci-dessus, qui parmi les systèmes non saturés donnent l’avantage aux mieux établis, donc aux plus anciens ou aux plus voisins. Dans cette situation, il est difficile de prévoir lequel en profitera quand la demande repartira après la trêve estivale. Le bond de Bitcoin Cash peut très bien n’être qu’un test de capacité ou une manipulation éphémères.

Beaucoup fondent de grands espoirs sur une extension récente appelée Lightning. Rappelons-en le principe : laisser une transaction entre deux comptes en attente dans la mempool4 sans l’inscrire dans la chaîne de blocs et permettre aux titulaires de ces comptes de la modifier d’un commun accord, avec la possibilité d’enregistrer son dernier état soit d’un commun accord, soit sur demande d’un des deux partenaires. Depuis son ouverture en janvier 2018, le nombre de tels « canaux de paiement » et donc leur capacité en nombre de transactions ont cru de façon spectaculaire5, mais l’usage réel de toute cette capacité semble être resté à peu près nul. En effet, on n’observe pas la croissance du nombre de transactions en attente dans la mempool que l’usage de Lightning devrait logiquement entraîner6. On saura dans les prochains mois si Lightning fait repartir à la hausse l’utilisation de Bitcoin, ou si Bitcoin restera définitivement à son niveau actuel d’utilisation en laissant place à la montée en régime des autres.

Les plateformes

Pour les plateformes de développement, dont le prototype est Ethereum, l’adoption se fait en deux temps : d’abord le développeur de l’application choisit une plateforme ; puis quand l’application est opérationnelle, sa clientèle particulière décide de son niveau d’utilisation. Le choix des développeurs repose sur les fonctions offertes par la plateforme, sa fiabilité et sa robustesse ; celui des utilisateurs sur les caractéristiques de chacune des applications.

La charge de travail supportée par la plateforme résultera donc à la fois du nombre des applications supportées et de l’usage de ces applications. Elle pourra atteindre des niveaux que ni les concepteurs de la plateforme, ni les auteurs des applications n’avaient pu prévoir et ne peuvent maîtriser, et qui peuvent faire problème pour toutes les applications.

En termes d’applications supportées, Ethereum est actuellement le leader incontesté, avec près de 2 000 applications dont la plupart sont soit en cours de développement, soit au tout début de leur phase d’adoption7. Seules 75 ont plus de 10 utilisateurs par jour, mais un grand nombre sont de nature très générale et peuvent attirer un public très large.

Or Ethereum traite actuellement entre 700 000 et 800 000 transactions par jour8, pour une capacité maximale actuelle de l’ordre du million, et serait donc rapidement saturé sans plusieurs projets de scalability en cours de validation : Casper9, Raiden10, Plasma11 et le sharding12. Contrairement à ce qui s’est passé pour Bitcoin, ces modifications ont toutes chances d’être adoptées, la communauté Ethereum étant plus consensuelle que celle de Bitcoin. On peut donc parier que les extensions de capacité d’Ethereum seront opérationnelles à temps pour que la suprématie de cette plateforme ne soit pas remise en cause avant longtemps. Là encore, les prochains mois seront décisifs.

Pour le moment, seul Ethereum Classic a une activité notable héritée de la scission (environ 50 000 transactions par jour). NEO tourne autour de 9 000, Cardano et Lisk sont à moins de 2 000, probablement des tests. EOS est brutalement monté jusqu’à 9 millions de transactions par jour entre le 9 et le 17 juillet mais avec relativement peu de paiements et alors qu’il n’existe encore que quelques dizaines d’applications EOS, presque toutes encore non opérationnelles. Cette flambée énigmatique représente probablement des tests en charge ou des manipulations.

Quand Ethereum (ou plus tard toute autre plateforme) sera saturé, les nouvelles applications se tourneront évidemment vers une autre plateforme, et les applications existantes chercheront une « issue de secours ». La plus évidente est de porter le logiciel d’application vers une nouvelle plateforme, ce qui pose la question de la compatibilité du langage et des interfaces. Une autre voie, possible grâce aux pratiques du logiciel libre, est d’extraire du logiciel de plateforme les fonctions nécessaires pour les intégrer dans le logiciel d’application en les personnalisant éventuellement, et de déployer ce nouveau logiciel sur un réseau indépendant. C’est ce qu’a fait en juin 2018 l’application Tron, Initialement dédiée à l’industrie du divertissement, qui se pose maintenant en concurrent généraliste d’Ethereum, tout comme Steem, à l’origine analogue de Facebook ou Wikipedia, qui dépasse régulièrement le million de transactions par jour .

Conclusion

Le particularités de cet écosystème, très favorable à l’innovation mais réticent à l’adoption des nouveautés, expliquent le contraste frappant entre le foisonnement des projets et le fait que l’usage réel, pour les projets à usage général, donc ceux qui ont le plus gros potentiel d’utilisation, se concentre pratiquement sur une dizaine de systèmes.

Il est probable que cette situation n’évoluera que lentement. Dans le domaine du paiement généraliste, où les forces retardatrices sont les plus puissantes, le dominant Bitcoin a refusé d’adopter les solutions qui lui auraient permis de repousser ses limites actuelles, et l’impact réel de Lightning est encore pour le moins incertain. La croissance de l’utilisation se fera par juxtaposition progressive de systèmes au fur et à mesure que les systèmes en place seront saturés, à un rythme qui dépendra de l’arbitrage entre la croissance de la demande et celle de la capacité des systèmes dominants. La part de Bitcoin décroîtra inéluctablement, sauf si Lightning tient ses promesses.

Dans le domaine des plateformes, ce même phénomène se produira à une toute autre échelle puisque d’une part toutes auront une très grande capacité, y compris Ethereum si ses extensions sont opérationnelles à temps, mais d’autre part le potentiel de croissance rapide est immense.

Dans les mois qui viennent, il va falloir surveiller de près l’utilisation réelle de Lightning, dont dépend la structure future du secteur des systèmes de paiement et donc la place de leurs monnaies respectives, et le lancement opérationnel des extensions d’Ethereum et d’EOS, dont dépendra la structure du secteur des plateformes.

  1. Le plus important étant Github.
  2.  Une transaction pouvant comporter un nombre quelconque de paiements, le nombre de paiements est un meilleur indicateur de l’activité réelle.
  3. Source : https://coinmetrics.io/charts/.
  4.  La zone de mémoire dans laquelle toutes les transactions validées sont mises en attente avant d’être reprises par les mineurs pour être assemblées en blocs.
  5.  Voir par exemple https://hodlnation.com/et/crypto-news/1904/lightning-network-passes-3000-nodes-capacity-approaches-100-btc.
  6. Voir https://www.blockchain.com/fr/charts/mempool-count.
  7. Voir le site State of the Dapps (https://www.stateofthedapps.com/).
  8. Pour les plateformes, le nombre de transactions est un meilleur indicateur de la charge car de nombreuses transactions ne comportent pas de paiement.
  9.  Passage progressif à un système de preuve d’enjeu.
  10.  L’équivalent Ethereum de Lightning
  11.  La possibilité de chaînes secondaires ayant leur propre protocole de construction.
  12.  Le fractionnement de la chaîne de blocs
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