Alexander Hamilton : père fondateur de l’économie américaine

Un des personnages les plus controversés de l’Histoire américaine est Alexander Hamilton, un des pères de la Constitution américaine de 1787, et le premier Secrétaire au Trésor américain.

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Alexander Hamilton : père fondateur de l’économie américaine

Publié le 19 juin 2018
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Par Jonathan Lebenson.

Il existe un débat aux États-Unis depuis deux siècles, qui consiste à mettre en concurrence l’héritage des Pères fondateurs, pour savoir qui a laissé la marque la plus profonde sur la société américaine. La fondation des États-Unis est le résultat d’un melting pot d’influences intellectuelles diverses issues des philosophes et économistes français et américains du XVIIIème siècle, mais aussi de pensées originales qui ont créé un modèle d’État nouveau dont le succès économique a été retentissant.

Un des personnages les plus controversés de l’Histoire américaine est en effet Alexander Hamilton, un des pères de la Constitution américaine de 1787, et le premier Secrétaire au Trésor américain.

Né dans la colonie britannique inhospitalière de St Kitts & Nevis en 1755, orphelin à un très jeune âge, il fait ses classes chez un négociant qui l’initie très tôt à la comptabilité et au commerce, avant de partir étudier au King’s College, New York (aujourd’hui Columbia University) grâce à la générosité d’un pasteur ayant tout misé sur sa réussite.

Il quitte rapidement l’université pour s’engager dans la guerre d’Indépendance en tant qu’artilleur, puis est nommé aide de camp de George Washington. Sa frustration vis-à-vis du Congrès qui ne fournit pas assez de moyens à Washington pour financer son effort de guerre le pousse à se plonger dans les études économiques et à chercher des mécanismes pour tour à tour inciter et forcer la main des investisseurs pour qu’ils contribuent à la création de l’État.

Après la guerre, Hamilton étudie le droit, devient avocat, et Washington le nomme délégué au premier Congrès des États-Unis qui constituait alors la seule branche de gouvernement, la plupart des pouvoirs importants étant dévolus aux États. Hamilton était influencé par la pensée politique et le modèle institutionnel anglais, et il pensait que l’État fédéral était nécessaire pour fonder une nation durable.

En 1786, le commerce inter-États diminua soudainement, après l’introduction de tarifs douaniers unilatéraux, et Hamilton en déduit que le cadre institutionnel était trop faible pour stimuler l’économie. Il suggéra la réunion de la Convention de Philadelphie en 1787 pour amender les squelettiques Articles of Confederation et rédiger une vraie Constitution. Sa première intervention fut en faveur de l’élection d’un président à vie, ce qui ne manqua pas de susciter la désapprobation de la majorité des délégués présents (il ne renouvela d’ailleurs plus jamais sa proposition) !

Le 30 avril 1789, le premier président des États-Unis prête serment à New York, première capitale du pays, et nomme Hamilton Secrétaire au Trésor et Jefferson Secrétaire d’État.

Naissance des T-Bonds, premières obligations d’État américaines 

À peine arrivé en poste, il s’attelle a son premier grand chantier : la première émission de dette nationale pour refinancer la dette de guerre révolutionnaire et investir dans le développement économique du pays. Si les investisseurs avaient confiance en la capacité de remboursement de l’État, ils pourraient financer la croissance du pays pour l’avenir.

Hamilton commença un véritable roadshow auprès des riches familles de New York et de Géorgie pour décrire son projet et assurer les porteurs de dette que l’État honorerait ses obligations.

Après un débat houleux avec Madison qui arguait que les détenteurs actuels de la dette étaient des spéculateurs et non plus les fermiers et soldats qui l’avaient achetée au départ, Hamilton déclara que l’État avait une obligation contractuelle envers les porteurs de dette, et que seule cette obligation pouvait garantir la confiance des futurs investisseurs.

Il décida aussi de combiner les dettes des États et celles de l’État fédéral, créant ainsi un principe de solidarité et de responsabilité collective. Ce principe fut bien sûr aussi combattu au nom de l’injustice faite aux États les plus disciplinés financièrement qui payaient pour les autres, mais il eu finalement gain de cause : les investisseurs se ruaient désormais sur les Treasury bonds jusque dans les bourses européennes !

L’ancêtre de la Fed

Dès 1784 Hamilton commence à travailler sur la construction du système bancaire américain avec la création de la Bank of New York à laquelle il participe activement. Son projet de banque centrale visait à financer la dépense du gouvernement en recevant les taxes collectées et en payant les détenteurs de dette, stabilisant ainsi la monnaie. Il voulait une banque gérée par des acteurs privés avec 20% de participation du gouvernement.

Le débat suscité par le Bank Bill au Congrès fit s’affronter deux visions du rôle de l’État fédéral qui sont encore d’actualité : celle de Jefferson qui défend une lecture stricte de la Constitution selon laquelle le Congrès ne doit légiférer que « par défaut » quand cela est jugé strictement nécessaire, et quand le Congrès peut avantageusement pallier la déficience des États.

De son côté, Hamilton voit la création d’institutions gouvernementales comme une nécessité pour l’État fédéral d’atteindre ses objectifs et adopte une vision plus large ou implicite de la Constitution. Finalement Hamilton réussit à convaincre Washington d’autoriser la création de la banque en février 1791, et les investisseurs se ruent pour acheter des parts de la future Fed qui commence à opérer depuis Philadelphie fin 1791.

Deux visions différentes pour l’avenir des États-unis

Thomas Jefferson avait en tête un pays de petits agriculteurs indépendants avec en corollaire, un gouvernement local proche du peuple et de ses problèmes. Il était adversaire du Big Government qui deviendrait corrompu par les financiers et trop endetté.

Hamilton, quant à lui, envoya en décembre 1791 son “Report on the Subject of Manufactures” au Congrès, qu’il comptait également utiliser pour exposer ses idées. Il favorisait le développement de l’industrie et du commerce pour augmenter la prospérité du pays et ses capacités de défense contre les invasions étrangères. Pour lui, l’industrie avait un effet multiplicateur sur la richesse, et pouvait employer les femmes et les enfants tandis que les hommes travaillaient aux champs. La dépense d’État pour construire les infrastructures nationales était indispensable selon lui ; on retrouve déjà ici les prémisses de la réflexion keynésienne qui a prévalu à la suite de la crise de 1929 et ses politiques de grands travaux, type Hoover Dam.

Du point de vue commercial, Hamilton avait une vision proche de celle théorisée par Friedrich List des “industries dans l’enfance” proposant des mesures protectionnistes pour protéger la naissance de champions nationaux (taxes, subventions mais il s’opposait aux taxes sur le capital et sur les profits, néfastes à l’investissement). Il avait identifié une douzaine d’industries qu’il fallait encourager, de la production de fer… au chocolat.

Il érigeait surtout l’entrepreneur en force vive du développement économique, aidé par l’État fédéral : “Enterprise is our element”.

Le clivage du paysage politique américain en deux partis aux idées opposées… et communes

Les partisans de Jefferson et Madison, s’érigèrent en « défenseurs de la République » ou Républicains, pour soutenir une société agricole avec des États aux pouvoirs étendus (le parti républicain moderne fut, lui, fondé en 1854).

La majorité au Congrès était faite d’industriels du Nord favorables aux thèses hamiltoniennes qui prônaient un gouvernement fédéral actif qui leur bénéficierait, et créèrent le parti Fédéraliste.

Finalement, Hamilton finit par dominer le débat politique américain et resta actif après sa démission en 1795. Jefferson devint président en 1801 et adopta lui aussi bon nombre d’idées d’Hamilton, notamment lors du rachat de la Louisiane à la France. Hamilton fut tué en duel en 1804 par Aaron Burr, le vice-président républicain, mettant fin à une carrière fulgurante, mais ses idées perdurèrent bien au-delà.

Aujourd’hui les deux principaux partis continuer d’axer leurs débats sur l’héritage d’Hamilton et de Jefferson.

La plupart des démocrates sont partisans d’un État fédéral fort et d’une lecture large de la Constitution, et sont suspicieux de Wall Street.

Les républicains préfèrent un gouvernement fédéral plus léger qui s’en tient à une lecture stricte de la Constitution, évite l’inflation de la dette et maintient les impôts bas. Mais ils favorisent la finance et les entrepreneurs comme Hamilton le faisait aussi.

Hamilton est aujourd’hui revenu sur le devant de la scène grâce à la comédie musicale du même nom a Broadway et à Londres, qui continue à sa manière de cliver le débat politique. La comédie à succès qui a rapporté 100 millions de dollars de recettes en 2016 dépeint un Hamilton abolitionniste et père d’une Amérique multiculturelle (les comédiens sont tous issus de minorités… sauf le roi d’Angleterre). Créée sous le mandat de Barack Obama, son message politique est clair et elle est encensée par les progressistes américains et vilipendée par les conservateurs qui y voient une réécriture de l’Histoire. Un témoignage de son héritage durable et encore controverse…

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  • Très intéressant. Merci.

  • Article intéressant, mais je me demande quand même…Comment un bâtard, orphelin, fils d’une prostituée et d’un écossais , largué au milieu d’un coin perdu des caraïbes dans la pauvreté , est devenu un héros et un intellectuel? Je suppose que la réponse dure 2h30

  • Les commentaires sont fermés.

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