Investir sur la nouvelle donne en Iran

Si la République islamique d’Iran s’ingère dans les affaires du Moyen-Orient, c’est pour cacher ses faiblesses intérieures et continuer à se maintenir en place.

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Investir sur la nouvelle donne en Iran

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 26 avril 2018
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Par Hamid Enayat.

La visite d’État effectuée par le Président français, Emmanuel Macron, à Washington a été l’occasion d’exposer une très grande proximité entre les États-Unis et la France malgré les divergences multiples.

Toutefois c’est la question iranienne qui a été au cœur de ce voyage présidentiel. Une convergence apparaît suite aux entretiens des deux présidents. « Nous souhaitons pouvoir désormais travailler sur un nouvel accord avec l’Iran », a révélé le président de la République française, lors de la conférence de presse avec son homologue américain, Donald Trump, mardi 24 avril.

Reconnaissant leur différend sur l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) du 14 juillet 2015 conclu entre les cinq membres permanents du Conseil sécurité des Nations unies (ONU), l’Allemagne et l’Iran, les deux dirigeants ont manifesté leur volonté d’aboutir à un nouveau texte.

Emmanuel Macron a évoqué les points qui préoccupent Paris : contrôler le programme nucléaire iranien, mais empêcher le régime de regagner ce programme après dix ans, parvenir à un nouvel accord stoppant le programme balistique lancé par Téhéran et trouver un terrain pour stopper les ingérences iraniennes dans la région.

Auparavant les liens étroits entre les deux pays s’étaient manifestés dans la réplique donnée par les deux pays à l’obsession du dictateur de la Syrie de faire emploi des armes chimiques contre une population sans défense. À n’en pas douter, les deux chefs d’État auront encore à coordonner leurs actions concernant ce coin fiévreux du monde, y compris en pressant l’Iran et ses milices à quitter la Syrie comme cela a été évoqué lors des entretiens. À l’approche de la date fatidique du 12 mai, date à laquelle le Président américain devra se prononcer sur la reconduction ou non de l’accord nucléaire avec Téhéran, la question iranienne ne pouvait ne pas être à l’épicentre des pourparlers.

Avant son voyage, le Président Macron a déployé tous ses efforts pour rassembler les conditions nécessaires pour conserver l’accord tout en ramenant l’Iran à la table des négociations, et l’Europe à des mesures de sanctions communes contre le programme balistique iranienne et les ingérences de ce pays dans la région. Force est de constater que la théocratie des mollahs n’a pas facilité la tâche. Convaincre le Président américain de certifier l’accord nucléaire est donc devenu une tâche difficile, voire une mission impossible.

Les récentes déclarations du Guide suprême iranien après les frappes contre la Syrie, n’ont pas été, il est vrai, pour faciliter les choses. « Je déclare ici en toute clarté que le président américain, le président français et le premier ministre britannique sont des criminels », a déclaré Ali Khamenei, quelques heures après l’assaut tripartite du 14 avril dernier. Mais après les horreurs des frappes chimiques contre les populations civiles au Ghouta oriental, pouvait-on rester sans réagir ? Sans doute pas sans laisser la situation pourrir davantage. Auparavant, les autorités du régime des mollahs avaient fait comprendre au chef de la diplomatie française, lors de sa visite à Téhéran, qu’elles ne sont pas prêtes de fléchir d’un pouce, ni sur la question des missiles balistiques, ni dans celle des ingérences de l’Iran dans le Moyen-Orient.

La nouvelle donne en Iran

Ce rapprochement des vues des deux puissances occidentales est aussi une conséquence de l’affaiblissement manifeste du régime iranien à l’intérieur. Il serait, en effet, une erreur de croire que cet entêtement de l’Iran n’est dû qu’à l’obstination d’un régime idéologique pour qui toute flexion politique serait un signe de faiblesse. Si la République islamique d’Iran s’ingère dans les affaires du Moyen-Orient, c’est pour cacher ses faiblesses intérieures et continuer à se maintenir en place. Le 5 février 2016, dans une rencontre avec les familles des miliciens tués en Syrie, Khamenei disait : « Si nous ne combattions pas l’ennemi en Syrie, il aurait fallu le faire à Kermanchah, Hamedan et dans les autres provinces de l’Iran » (Agence de presse Tasnim).

Il faut donc se mettre à l’évidence : si le chef de Téhéran a une vision aussi dogmatique envers ses ingérences en Syrie, en Irak, au Yémen, au Liban et ailleurs, s’il s’attache autant à son programme balistique, c’est qu’il s’agit pour lui de questions existentielles.

Regardons un peu vers ce qui se passe à l’heure actuelle, dans les rues d’Iran. En décembre et janvier, le pays a été balayé par un tsunami de révoltes populaires exigeant le départ des mollahs au pouvoir. C’est à coup de 8000 arrestations et l’accélération de la machine infernale des tortures et des assassinats en prison que les dirigeants de la République islamique ont tenté de mater le mouvement.

Mais ces derniers ne sont pas dupes. Ils savent pertinemment que la gronde existe toujours et qu’elle reprendra de plus belle tôt ou tard. C’est ce que soulignait le ministre de l’Intérieur du cabinet Hassan Moussavi, dans une interview accordée au journal Asr’é-Iran, le 7 mars dernier. « Dans une évaluation des causes, nous aboutissons à des facteurs qui révèlent que nous risquons encore de voir répéter ces évènements », indique Rahmani-Fazli qui ne cache pas ses préoccupations pour l’avenir.

Il avoue le rejet de la dictature islamique, surtout par les jeunes : « 39 ans après la Révolution, nous nous trouvons face à une nouvelle génération qui diffère de la République islamique dans les valeurs religieuses, les goûts, la foi, les pensées, les convictions, les relations, les aspirations, les revendications et les besoins ».

Ces révoltes ont repris très peu de temps après et continuent de fouler les asphaltes un peu partout en Iran.

Les personnes spoliées par les banques gérées par les gardiens de la révolution n’ont jamais arrêté leurs protestations. La semaine dernière encore, ils ont enduit de boue les vitres de la Banque Arman à Ahwaz (sud-ouest de l’Iran), ils ont embelli d’œufs pourris les vitres de la Banque Caspienne à Racht (nord), ils ont manifesté nombreux devant la Banque centrale et ils ont fait incursion dans l’exposition internationale des Banques à Téhéran pour exprimer leur colère.

En même temps, les agriculteurs d’Ispahan se sont soulevés contre la politique de l’État qui a dévié le fleuve Zayandeh Rud pour approvisionner la fabrique d’acier et leurs exploitations agricoles dans la ville de Yazd ; une politique qui a entraîné la sécheresse des terres agricoles et la grande misère des zones rurales d’Ispahan. Cette protestation s’est traduite par de grandes manifestations qui se répétaient depuis près de deux mois. C’est par des rafles dans les milieux des manifestants que le pouvoir tente de mater le mouvement, alors que les leaders des contestataires viennent encore de lancer un appel à la reprise des manifestations.

Un mouvement similaire contre la politique de déviation des eaux par l’État a lieu dans la province de Chahar Mahaal et Bakhtiari, dans les villes de Saman et de Shahre kord.

La ville d’Ahwaz, elle, n’a pas connu le calme depuis les révoltes de décembre et janvier. Elle a été le théâtre des manifestations ouvrières des travailleurs d’acier qui réclament leurs salaires en retard ; des manifestations qui ont duré près d’un mois. La tension reste toujours vive malgré l’arrestation de 50 grévistes et les menaces de licenciements qui pèsent sur les autres.

 

 

Parallèlement, la communauté arabe de cette ville a également protesté pendant une dizaine de jours contre les discriminations dont elle a été sujette dans la télévision officielle. Là encore, quelques 400 arrestations effectuées par la police et les services secrets ont permis au pouvoir de reprendre le contrôle de la rue, pendant combien de temps, on se le demande.

Et puis à l’heure actuelle, la ville de Kazeroun près de Chiraz est en pleine ébullition depuis une semaine. Des manifestations de plusieurs dizaines milliers de personnes continuent chaque jour dans cette ville de la province de Fars (sud du pays) contre les nouvelles divisions départementales qui l’affecteraient. Cette fois-ci, la répression n’a pu mater le mouvement.

Le régime a cédé à la pression et a même déclaré l’abrogation du plan des nouvelles divisions départementales, de la bouche du représentant du Guide suprême dans cette ville, le mollah Mohammad Khorsand. Même le retrait du plan n’a pas satisfait la population qui a envahi le vendredi 20 avril la cérémonie officielle de la prière de vendredi qu’organise le pouvoir tous les vendredis dans toutes les villes du pays, pour crier « à bas les traîtres » et « gare au jour où nous prendrons les armes » ! Un slogan qui apparaît dans les récentes manifestations est « l’ennemi est ici (en Iran), alors qu’on nous dit que c’est l’Amérique ».

 

 

Un signe que la propagande officielle, qui voudrait faire endosser ses propres crises sur un ennemi étranger, a totalement échoué.

 

 

Cette situation explosive est la nouvelle donne en Iran. Une population qui manifeste chaque jour son ras-le-bol et qui réclame le départ du pouvoir en place, a entièrement modifié le paysage politique d’un Iran qui n’est plus dans les circonstances de juillet 2015, pour pouvoir fléchir dans sa politique étrangère.

Déséquilibré par la situation intérieure et affaibli sur le plan international, le régime iranien et ses soutiens mettent en garde contre la menace d’une nouvelle guerre au lendemain des déclarations à Washington.

Mais en réalité, ces nouvelles circonstances qui font voir la perspective d’un changement de régime politique par le peuple iranien, écarte la hantise d’une intervention militaire occidentale. Le spectre d’une guerre fictive avait servi aux dirigeants occidentaux afin de justifier la continuité d’une politique d’apaisement envers les ayatollahs, qui a créé bien trop de désastres en Iran et au Moyen-Orient.

Le réveil du peuple cultivé et éclairé d’Iran qui souhaite se débarrasser des mollahs obscurantistes, est donc plutôt une bonne nouvelle pour le monde, y compris pour ceux qui cherchent à investir dans ce beau pays. Encourager ce changement par des mesures de fermeté à l’égard de l’Iran, même dans l’intention de contenir les excès du régime est une démarche positive. Il faudrait garder en vue qu’un bouleversement majeur en Iran – possible aujourd’hui – est une option qu’il faudrait encourager.

On doit espérer que si les dirigeants occidentaux et la communauté internationale en général souhaitent obtenir la paix et la tranquillité dans cette région du monde, ils devraient investir sur cette nouvelle donne.

 

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