Comment redonner de la liberté aux agriculteurs (7)

Découvrez en 8 épisodes comment redonner de la liberté aux agriculteurs. Violation de la libre association et de la libre concurrence.

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Agriculture by Dominique Garcin-Geoffroy(CC BY 2.0)

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Comment redonner de la liberté aux agriculteurs (7)

Publié le 12 mars 2018
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Par Laurent Pahpy.
Un article de l’Iref-Europe

Des contributions volontaires obligatoires qui remettent en cause la légitimité des interprofessions

Les organisations interprofessionnelles sont officiellement, des associations de droit privé. Elles sont toutefois encadrées par le droit européen via l’organisation commune du marché (OCM) unique. Fin 2014, en France, on en dénombrait 66 reconnues par l’État.

Historiquement, les interprofessions sont bien souvent issues des sections de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ; les autres syndicats peuvent intégrer les interprofessions seulement depuis 2012.

Certaines représentent toute une filière comme Inaporc ou Intercéréales, tandis que d’autres, au sein d’une même filière, correspondent à différents bassins de production. Dans la viticulture, 25 interprofessions représentent des appellations d’origine.

Elles se donnent plusieurs missions définies par l’OCM qui sont diversement réalisées et peuvent intervenir sur la production, la transformation et la commercialisation.

Par exemple, les objectifs qu’elles se fixent peuvent être relatifs à l’étude du marché, à la contractualisation avec les acheteurs, la recherche et l’innovation, la promotion ou la communication sur les produits (voir annexe 4).

Ces interprofessions détiennent un pouvoir légal conséquent dans la mesure où, à leur demande, l’État peut rendre obligatoires des accords conclus au sein de l’interprofession aux non-membres par arrêté ministériel (les membres doivent néanmoins représenter les deux-tiers de la production).

Ainsi, grâce à ces « accords étendus » une majorité de producteurs peut contraindre légalement une minorité à obéir à certaines règles au nom d’un prétendu « intérêt collectif » telles que (liste non exhaustive) :

  • du contrôle qualité : règles de production plus strictes que les réglementations de l’UE ou les réglementations nationales, labels d’État d’origine (IGP, AOC) ou de qualité (AB), normes obligatoires en matière de conditionnement et d’emballage, utilisation de semences certifiées et contrôle de qualité des produits ;
  • du contrôle de l’offre : élaboration de contrats types, de labels raréfiant artificiellement l’offre sur certains segments (IGP, AOC) ;
  • des actions de promotion et de mise en valeur de la production ;
  • des programmes de recherche ;
  • la gestion des sous-produits.

 

Dans notre étude sur la viticulture nous avions analysé la mise en place de rentes légales par des interprofessions viticoles dans le cas du contrôle de l’offre et de la certification qualité avec les labels d’État (IGP, AOC).

Nous démontrions que les interprofessions pouvaient établir de véritables monopoles intellectuels sur des territoires appelés « terroirs », permettant à des coalitions de producteurs de contrôler les prix, les productions et la qualité aux dépens de l’innovation et de la concurrence de producteurs minoritaires.

Nombre d’agriculteurs s’accordent pour dénoncer le fait que les interprofessions sont très souvent noyautées par la FNSEA, ce qui est certes difficile à démontrer. Il n’empêche que certains contrôles qualité de la production et du produit fini (les fameux « autocontrôles ») sont effectués par les syndicats de producteurs eux-mêmes.

Difficile alors pour un agriculteur de se montrer innovant et de proposer des vins plus compétitifs quand la labellisation dépend de la validation de ses concurrents. De plus, si un producteur souhaite communiquer et développer lui-même sa propre image de marque, il est quand même forcé de financer aussi la promotion réalisée par l’interprofession.

Bien que réputées être des associations de droit privé représentatives des producteurs, les interprofessions sont essentiellement financées par des « Contributions Volontaires Obligatoires » (CVO), prélevées au prorata des productions (en général entre 0,3 et 0,8 %). Épinglées en 2007 et 2010 pour leur financement opaque par la Cour des comptes, il régnait un flou juridique sur le statut des CVO.

Suite à de longues batailles juridiques avec des producteurs qui refusaient ce système, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a jugé que « les CVO des organisations interprofessionnelles sont des financements de droit privé ». Pourtant les producteurs sont bien forcés de les payer, qu’ils souhaitent participer à l’interprofession ou non. Ces CVO peuvent donc être considérées comme des parataxes directement déterminées par les interprofessions et qui ne faisant ni l’objet d’un débat public ni l’objet de contrôles d’État. Nombre de producteurs continuent de dénoncer ce système devant les tribunaux, en vain.

La coopération et la solidarité entre les producteurs ou les acteurs d’une filière sont tout à fait légitimes tant qu’elles reposent sur les principes de la libre association, impliquant la libre affiliation, le droit de quitter l’interprofession ou de ne pas en faire partie et a fortiori de ne pas être contraint par leurs accords ou leurs parataxes. Chaque exploitant doit pouvoir déterminer lui-même le niveau de « coopétition » qu’il souhaite atteindre, c’est-à-dire faire son arbitrage entre coopération et concurrence.

Le fonctionnement strictement associatif de la coopération entre professionnels est d’ailleurs le mode de fonctionnement préféré dans plusieurs pays tels que le Danemark, la Suède ou le Royaume-Uni. Dans ce dernier, le syndicat National Farmers’ Union estime qu’une reconnaissance légale des interprofessions par l’UE ne doit pas « créer de barrières à la libre circulation des biens et à la concurrence sur le marché intérieur ».

« Les pouvoirs des interprofessions françaises sont des violations de la libre concurrence et de la libre association. Pour autant, le gouvernement et l’UE ne cessent d’élargir leurs prérogatives légales, permettant à ces organismes hybrides public-privés de mener des politiques corporatistes en fixant eux-mêmes les règles de l’organisation d’une filière et en déterminant le niveau des parataxes qu’elles vont prélever sur leurs membres et leurs propres concurrents. Les interprofessions doivent perdre toutes leurs prérogatives légales et leur caractère contraignant. Leur financement doit rester strictement volontaire et limité à leurs membres, sans aucun lien légal ou financier avec les institutions publiques. En ce sens, les CVO et les subventions qui leur sont allouées peuvent être supprimées sans délai. »


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