Les MOOC se cassent-ils la figure ?

Un article du journal « Le Monde » prétend que les Mooc sont en train de « faire pschitt ». Comment peut-on s’illusionner à ce point ?

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Les MOOC se cassent-ils la figure ?

Publié le 7 novembre 2017
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Par Philippe Silberzahn.

Ainsi donc le petit Landerneau de l’enseignement s’est retrouvé bien agité récemment par un article du Monde intitulé, excusez le sens de la nuance, « Les MOOC font pschitt ».

Soulagement palpable chez les dinosaures si l’on en juge par les retweets plein d’allégresse, soupirs d’exaspération chez les technologues et concert d’auto-congratulation générale sur le thème « Je vous l’avais bien dit ».

Outre le fait que, comme c’est bien souvent le cas avec la presse, le contenu de l’article est bien plus nuancé que son titre ne le laisse suggérer, il est opportun de rappeler quelques principes de l’innovation de rupture qui devrait rendre certains jugements plus sobres, et surtout moins prompts.

Un million d’utilisateurs

Plus d’un million. Ils sont plus d’un million d’utilisateurs à s’être inscrits pour le nouveau MOOC de Coursera sur Bitcoin. Mais les MOOC font pschitt. Coursera compte près de trente millions d’utilisateurs enregistrés et deux mille cours en une quinzaine de langues (dont celui de votre serviteur sur l’effectuation). Mais les MOOC font pschitt.

Coursera facture un accès à sa plate-forme de cours aux entreprises, avec des factures annuelles en millions d’euros. Mais les MOOC font pschitt. Plus de 35 millions de personnes ont suivi un MOOC en 2016 et plus de 6.500 différents étaient offerts sur les différentes plates-formes, par environ 700 universités. Mais les MOOC font pschitt.

En France, OpenClassroom revendique 3 millions d’étudiants par mois, issus de plus de 120 pays, propose 300 cours certifiants, et près de 30 programmes diplômants. Mais les MOOC font pschitt.

Bien sûr on pourra objecter qu’il s’agit d’un feu de paille. On note par exemple que le taux de complétion (ceux qui terminent le MOOC) est très faible, de l’ordre de 5% et ce chiffre est brandi ad nauseam pour démontrer l’échec du concept. Mais c’est mal comprendre ce à quoi servent les MOOCs et surtout cela revient à juger une innovation de rupture avec les critères de l’ancien monde, erreur classique.

L’enseignement traditionnel est entièrement focalisé sur la délivrance d’un diplôme ou d’un certificat. Aller jusqu’au bout et décrocher le-dit diplôme ou certificat est donc la mesure de succès de la formation. Mais les MOOCs fonctionnent différemment : ils correspondent à un enseignement à la carte, piloté par l’apprenant.

Plusieurs participants de mon MOOC m’ont ainsi dit qu’ils avaient choisi certains modules et ignoré les autres. Ils se moquaient de terminer le MOOC et encore plus d’avoir un certificat à la fin. Avec les outils de mesure de l’ancien monde, ils sont considérés comme ayant échoué.

Avec celui du nouveau monde, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient en étant en contrôle de leur apprentissage. C’est une réussite. L’ancien monde ne mesure pas l’apprentissage ; il mesure la réussite à l’examen. Quelles leçons a-t-il à donner au nouveau monde ?

Sous-estimer l’impact d’une innovation de rupture : une erreur classique

Comme je l’ai écrit à de nombreuses reprises, sous-estimer l’impact d’une rupture dans son environnement est le propre des acteurs en place. Cela tient en grande partie au fait que dans sa période initiale, et souvent durant très longtemps, la rupture résout un problème des non consommateurs.

Elle ne prend pas de clients aux acteurs existants, elle étend le marché en offrant un service à ceux qui jusque-là ne pouvaient se l’offrir. Ainsi, les premiers clients de SouthWest Airlines, la première compagnie low cost, étaient des étudiants et des touristes. Voyant que SWA ne leur prenait pas de clients, les compagnies classiques ont pu se rassurer en se disant qu’elles n’étaient pas menacées.

Et donc aujourd’hui les MOOCs ne prennent pas de clients aux grandes écoles. Comme j’en ai fait l’expérience avec mes 3 MOOCs, les utilisateurs sont surtout ceux qui ne peuvent pas utiliser l’enseignement traditionnel : soit parce qu’ils travaillent déjà, soit parce qu’ils habitent dans une région où aucune école ne délivre l’enseignement souhaité, soit parce que le format ne leur convient pas (enseignement à la carte pour une technique très spécialisée comme c’est le cas du MOOC Bitcoin par exemple).

Comme très souvent pour une rupture, celle-ci n’a donc pas tellement vocation à remplacer l’existant mais plutôt à offrir une configuration alternative, complémentaire, du moins au début. Il est donc tout à fait probable que subsisteront côte à côte à l’avenir un enseignement traditionnel et une large offre de MOOCs, comme coexistent aujourd’hui Netflix, TF1 et les cinémas multiplexes.

Lente mise au point de l’innovation

Il est évident, et l’article du Monde, plus cité que lu, le souligne très clairement, que les MOOCs se cherchent encore. Il serait ridicule d’attendre qu’ils soient parfaits du premier coup.

Les formats pédagogiques évoluent, les plates-formes développent leurs spécificités, elles font des choix pédagogiques différents et mettent peu à peu au point leur modèle. Comme l’observe Pierre Dubuc, cofondateur d’OpenClassroom, « il est clair sur le fond que les MOOC seuls ne sont qu’un (petit) élément de l’équation. En rajoutant des projets, des mentors, un diplôme, un emploi garanti, etc. on commence à avoir quelque chose d’intéressant. »

Si l’industrie automobile a mis près de 150 ans à devenir mature, de grâce laissons au moins quelques années aux MOOCs pour faire de même, et n’excipons pas d’échecs çà et là – ils sont inévitables c’est la nature de l’innovation – pour tirer des conclusions hâtives et surtout, pour les acteurs en place, se rassurer en se disant, Madame la Marquise, que tout va bien.

Amazon a-t-il fait pschitt ?

La grande distribution mesure aujourd’hui le danger d’une telle attitude, elle qui a sous-estimé Amazon durant des années et voit aujourd’hui le géant américain, longtemps pris pour un simple vendeur de livres, écumer méthodiquement leurs marchés. Des années à crier partout qu’Amazon fait pschitt, à se rassurer, à se mentir pour se retrouver avec un train de marchandises qui vous arrive droit dessus.

Parce qu’un jour, inévitablement, la rupture va au-delà des non consommateurs et déborde sur les marchés historiques. Le low cost aérien devient mainstream et les étudiants des années 70 sont devenus des adultes et trouvent parfaitement normal de continuer à voyager avec SWA, EasyJet ou RyanAir. Netflix remplace BlockBuster.

Amazon prend la tête des ventes de produits non alimentaires devant les acteurs historiques de la grande distribution (Carrefour, Leclerc). Oui, il reste des cinémas, mais leur nombre et le chiffre d’affaires qu’ils représentent est désormais infime au regard des chiffres d’affaires des autres distributeurs de films que sont Netflix, Orange, ou Free.

Oui, les MOOCs sont la grande rupture, mais pas la seule, qui menace les grandes institutions d’éducation. Ces institutions souhaitent-elles à l’avenir être un multiplex rentable dans une banlieue ou une multinationale ?

L’article du Monde, « Les MOOC font pschitt », conclut de manière plus nuancée que son titre ne le suggère que toute rupture prend du temps et que les MOOCs n’ont pas dit leur dernier mot, loin s’en faut.

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