Par Johan Honet.
Vous savez ce qui est pire qu’une mauvaise technologie ? Une technologie novatrice mal utilisée.
C’est, en substance, ce que je me suis dit en lisant cet article du journal Wired.
Cet article part d’un constat très simple : les Google Glass sont un échec.
Pourtant, ce nouveau produit s’annonçait comme révolutionnaire, de nature à changer nos habitudes comme le firent l’iPhone et les smartphones en leur temps. Hélas, les lunettes connectées n’ont pas su trouver leur public.
À peine commencé, cet article semble déjà devoir être clos. À moins que l’on n’ait enterré les Google Glass trop vite ?
L’échec des Google Glass grand public
Quand on regarde l’historique du projet, on se rend compte que le projet est entré en phase de test en avril 2012 ; loin d’être massivement commercialisées, les lunettes sont mises à disposition de certains curieux prêts à verser une somme conséquente pour mettre la main dessus (1499 dollars, tout de même).
Le projet semble prendre fin en janvier 2015. Ce n’est là , du moins, qu’une apparence : le but de cette phase de test était d’observer la façon dont les utilisateurs s’appropriaient cet objet, quelles utilisations étaient faites de cette technologie, quels problèmes les utilisateurs pouvaient rencontrer.
Google a sans doute relevé que les Google Glass suscitaient de nombreuses craintes quant à la protection de la vie privée. En effet, il est possible de filmer ou de photographier quelqu’un discrètement, à son insu, d’un simple mouvement de l’oeil.
Google a également relevé, je pense, les critiques d’ordre esthétique et les moqueries (nombreuses) sur internet vis-à -vis du design de cet objet de luxe.
Tout cela semble démontrer que l’idée était mauvaise. Il n’en est rien. Ce que Google a pu apprendre, c’est que cette technologie ne convient pas (pour le moment) à une utilisation grand public (j’y reviendrai). En revanche, une utilisation professionnelle n’est pas dénuée d’intérêt.
L’essor des Glass Enterprise Edition
Google a donc sorti Glass EE (Enterprise Edition) afin de répondre aux attentes des professionnels. Un certain nombre d’entreprises testent cette technologie : General Electric, Boeing, DHL, Volkswagen (pour reprendre la liste de l’article cité ci-dessus), mais aussi AGCO, Agravis, Samsung et une multitude d’acteurs du domaine de la santé.
Selon la multitude d’articles sur le sujet, qui font tous état de l’utilisation des Google Glass dans l’entreprise AGCO (voir l’article de NPR ou de Numerama sur le sujet), l’utilisation des Glass EE aurait entraîné une augmentation de la productivité de près de 20%. Cet outil permet d’assurer plus rapidement le suivi du travail, et offre au personnel travaillant sur les chaînes de production une assistance en temps réel, permettant d’éviter des allers-retours, des erreurs etc.
Le succès auprès des professionnels est, au final, plutôt logique : cette technologie répond ici à un besoin réel, et mérite qu’on y investisse une certaine somme. Payer 1500 € pour avoir l’heure et prendre des photos, comparativement, ne paraît guère être un bon investissement. Un chirurgien qui peut retransmettre en direct ce qu’il voit, par contre, peut y voir un intérêt.
De même, ceux qui ont besoin d’informations en temps réel (et les mains libres !) ont tout intérêt à investir dans des Google Glass EE. Le chemin de l’usine et des hôpitaux était donc celui à emprunter pour permettre à cette technologie de trouver son débouché : passer du statut de jouet de luxe à celui d’outil de travail.
Conçue pour répondre aux besoins spécifiques de chaque entreprise, avec un meilleur accès wi-fi, une sécurité accrue, une durée de vie de la batterie prolongée et une meilleure ergonomie, cette version entreprise des Google Glass semble démontrer que Google a tiré les leçons de ses échecs.
C’est aussi l’occasion ici de mettre en évidence la façon dont il faut, à mon sens, aborder les nouvelles technologies.
La bonne façon d’aborder une nouvelle technologie
Vous aurez peut-être relevé que lorsqu’une nouvelle technologie apparaît, il existe de nombreuses réactions observables.
Vous avez, par exemple, des articles dithyrambiques sur telle ou telle nouvelle technologie ; pourtant, quelques années plus tard, la révolution annoncée ne vient pas. Si vous tendez l’oreille, tout ce que vous entendrez sera alors le petit flop tout mou de l’échec cuisant.
Vous avez aussi la réaction inverse : l’apocalypse est en route ! Repentez-vous ! C’est la fin de la vie privée ! Du travail ! Du lien social ! Nous préparons une génération de barbares sanguinaires (ou d’autistes coupés du monde réel et d’autrui) à grand coups de lunettes de réalité virtuelle.
Voici un petit graphique, aperçu il y a quelques années et qui paraît bien traduire ce cycle éternel de la hype.Â
Afin d’éviter d’être vous aussi pris dans ce cycle éternel, voici six questions à se poser quand on est confronté à une nouvelle technologie :
1) Quel est le problème résolu par cette nouvelle technologie ?
2) Qui est confronté à ce problème ?
3) Quels nouveaux problèmes est-on susceptible de créer en résolvant le problème initial ?
4) Qui sera le plus impacté par cette nouvelle solution technologique ?
5) Quel usages non prévus initialement pourraient voir le jour ? (Exemple : la dynamite)
6) Quelles alternatives (existantes ou à inventer) pour cette nouvelle technologie ?
Si vous constatez qu’une nouvelle invention n’a aucune utilité concrète, ou que ceux qui en ont besoin n’ont pas les moyens de se l’offrir, ou que des alternatives plus efficaces ou abordables existent déjà , vous pouvez parier que cette nouvelle technologie sombrera, à terme, dans l’oubli.
Google a oublié ces quelques questions très simples en se plantant dès la première étape : leur produit n’avait pas de finalité claire et ne répondait pas à un besoin spécifique (ou du moins, à aucun problème que ne résolvaient pas déjà les smartphones). Les Google Glass étaient donc réduits à être des sortes de smartphones mains libres de luxe, avec option violation de la vie privée.
En changeant de perspective, les cerveaux de Google ont pu enfin identifier les besoins et les problèmes que cette technologie nouvelle permettait de résoudre ; de ce fait, ils ont pu identifier des clients potentiels et trouver un débouché. Sauvant ainsi une innovation importante de l’oubli qui menaçait de l’engloutir.
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