Par J. Sedra
Le coût de l’accès à l’information, quel qu’il soit, s’est effondré en à peine un siècle : du trivial au plus spécialisé, tel que d’infimes détails de casting pour une obscure série télévisée étrangère, jusqu’aux critères statistiques retenus dans un modèle d’analyse d’une expérience scientifique précise.
L’une des conséquences immédiates de cette incroyable extension du domaine de la connaissance possible, est que les individus ont changé leur manière de s’informer : plutôt que de procéder de leur propre initiative à la recherche ciblée d’une information donnée, ils cèdent la place à un torrent continu d’information s’abattant sur eux de toute part pour ne retenir que le signal qui attire leur attention immédiate.
Aversion à la dissonance cognitive
Et puisque les humains éprouvent naturellement une aversion à la dissonance cognitive, ils sont amenés progressivement à affiner les sources de ce torrent, se désabonnant ici et s’abonnant là, jusqu’à assembler un fondement composite mais relativement cohérent d’opinions et de croyances de base.
Dit autrement, la concurrence sur le marché des médias ne se situe plus dans la recherche et l’acquisition de réponses, mais dans la synthèse analytique des ces réponses : Qui croire et qu’en penser est devenue l’opération prédominante dans la manière dont nous formons notre interprétation du monde qui nous entoure.
Forger des opinions à partir d’informations est donc devenu un métier de l’Internet à part entière, créant suffisamment de valeur ajoutée pour faire vivre de plus en plus de monde.
Créer de l’information sur le web
C’est la niche qu’occupent des personnages aussi divers que PewDiePie, Sargon of Akkad, Amy Schumer, Bob Lennon, Stephane Molyneux, Grant Thompson, Paul de Langfocus, Scott Manley, Bruce Benamran, et des milliers d’autres dont vous et moi ne savons rien.
Et chacun d’entre eux est supporté par des dizaines, centaines de milliers voire des millions de personnes comme vous et moi, une foule immense tétant le pis inépuisable des nouveaux médias sociaux presque 24 heures sur 24, à la recherche de réponses aux questions de l’existence, mais déléguant cette tâche à ceux qui en ont fait un hobby, une occupation, une profession, une vocation.
Sagesse des foules
Certains y voient un effet direct de la « sagesse des foules », d’autres se focalisent sur un aspect seulement du phénomène (féminisme, conservatisme, bricolage, maquillage, cinéma, jeux vidéo, idéologies à-peu-prèconomiques, histoire, tout y passe, en fait le mouvement de l’Open Source en est peut-être le précurseur)… mais dans tous les cas je pense que le terme inventé pour désigner chacun d’entre eux ne reflète pas la véritable ampleur et la profondeur de l’impact du phénomène sur l’avenir de l’humanité.
Le produit de cette émergence est un vaste réseau de nouveaux leaders d’opinion, décentralisé, granulaire, populaire. Les médias traditionnels, avec leur approche verticale, du haut vers la base, en ont pris conscience, car il a amputé une part significative de leur revenu, et ce depuis déjà un bon moment.
La contre-attaque maladroite des médias traditionnels
À présent, ce que l’on nomme désormais spécifiquement « mainstream media » (ou MSM) contre-attaque brutalement et maladroitement contre les nouveaux nexus d’opinion nés du Web, cette toile ayant démontré récemment sa capacité à les dépasser en influence à l’échelle de nations entières : Brexit et Trump ne sont que les pointes émergées d’un iceberg menaçant de couler le modèle vieillissant d’information hérité de l’ère de la Guerre Froide, et de la télévision de chaque foyer. De plus en plus, au lieu de rapporter l’actualité et de finir en mèmes, ce sont les journalistes qui courent après les mèmes qui éclairent l’actualité.
Surveillez attentivement durant les prochaines années l’évolution des indices boursiers des médias traditionnels relativement aux acteurs de l’Internet et des Télécoms. Suivez les développements des bisbilles entre PewDiePie et le Wall Street Journal, comptez les « personnalités du Web » que la télévision tente d’absorber à grand peine dans ses rangs, notez les slogans à la noix et les pseudo-faits qui sont échangés en masse sur Facebook et ailleurs.
Une révolution est en marche, un nouvel ordre plus catallactique que le précédent émerge, percolant à travers toute la civilisation occidentale, ruinant la presse, déterminant les résultats d’élections et référendums ; et bientôt il va percoler aussi à travers les pays en cours de développement, ajoutant des millions de nouveaux nexus de pensée, auxquelles des foules synchroniseront spontanément leurs opinions. La Déesse seule peut savoir ce que cette Toile de la Pensée va encore changer.
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Votre article rappelle Huxley et Orwell!
Oui, de même, article très agréable à lire, très riche et très bien écrit ! Merci