Comment la bureaucratie gère l’eau en France

Savez-vous comment est gérée l’eau en France ? Petit aperçu sur une cathédrale bureaucratique qui brille surtout par son opacité.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Comment la bureaucratie gère l’eau en France

Publié le 4 avril 2017
- A +

Par Guillaume Nicoulaud.

Avertissement : je suis à peu près certain que toutes les informations données dans cet article sont justes et à peu près à jour. En revanche, je ne suis aucunement en mesure de vous en garantir l’exhaustivité.

C’est que, voyez-vous, l’eau c’est important, c’est la vie, ce n’est pas un produit comme les autres que l’on pourrait laisser aux libres forces du marché (lesquelles sont sauvages, dérégulées et apatrides).

Il faut donc l’encadrer sévèrement ce qui, dans la Grande tradition administrative française (GTAF), implique moult commissions, agences et autres instances organisées en couches successives à tous les échelons de façon à créer un maillage si étroit et méticuleux qu’un esprit limité comme le mien s’y perd. Forcément.

 

Qui s’occupe de la politique de l’eau ?

Au niveau national, la politique de l’eau incombe à la Direction de l’eau et de la biodiversité laquelle dépend de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer (MEEM).

Elle est, selon le site du ministère, chargée de « la conception, l’évaluation et la mise en œuvre des politiques de l’eau, des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et marine et des ressources minérales non énergétiques en vue de garantir la préservation et un usage équilibré de ces ressources. »

On ne sait pas grand-chose d’autre sur cette indispensable direction (ou dous-direction) si ce n’est, d’après l’annuaire du service public, qu’elle est physiquement située à Puteaux et placée sous la direction de M. Paul Delduc, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts.

 

D’autres comités Théodule de l’eau

À cette direction ministérielle s’ajoute le Comité national de l’eau (CNE), instance délibérative (a.k.a. comité Théodule) composée de pas moins de 160 membres qui ne s’est réuni que trois fois en 2015 mais nous coûte néanmoins 38 000 euros (voir page 12).

Ce dernier, selon son propre site, « construit le lien entre la protection des milieux naturels et la gestion de la ressource eau pour l’alimentation en eau potable et les activités économiques, en inscrivant son action dans une stratégie de développement durable », ce qui n’est tout de même pas rien.

Placé sous la présidence de M. Jean Launay, député de la seconde circonscription du Lot, il n’a manifestement pas produit le moindre avis ou document depuis décembre dernier.

 

ONEMA, AFB, AAMP et CELRL

Troisième et dernier (modulo l’avertissement donné plus haut) organisme affecté à l’eau à l’échelle nationale : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), un établissement public à caractère administratif (ÉPA) qui employait jusqu’ici 870 personnes avant d’être fusionné, ce 1er janvier, dans la toute nouvelle Agence française pour la biodiversité (AFB) avec entre autres l’Agence des aires marines protégées (AAMP) mais contrairement au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) qui reste indépendant.

Mais je m’égare.

Toujours est-il que les missions, personnels et financements de l’ONEMA sont repris par l’AFB. Si j’en crois les données du PLF 2017 au titre de l’année 2016, il y en a pour 139,8 millions d’euros dont 139 millions de financements publics qui semblent — et je reste prudent là-dessus — remonter en grande partie des Agences de l’eau sur lesquelles nous reviendrons plus tard.

 

Gérer les bassins hydrographiques français

Comme vous le savez sans doute (ou pas), en France la gestion des eaux est organisée autour de 12 bassins hydrographiques.

Sept se trouvent en France métropolitaine (Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Seine Normandie, Loire Bretagne, Adour Garonne, Rhône Méditerranée et Corse) et les cinq autres se trouvent dans les DOM (Mayotte, Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion). Chacun de ces bassins dispose de son propre Comité (de bassin), une assemblée acteurs publics ou privés (mais surtout publics) qui, à l’échelle de leur bassin, agissent dans le domaine de l’eau.

Notez ici que dans « agir dans le domaine de l’eau », on ne compte pas les pratiquants de sports aquatiques ni les amateurs de pastis : vous n’avez sans doute pas votre place dans une telle assemblée. Ces comités sont principalement en charge de l’élaboration du Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) de leur bassin1 et d’élire les membres des conseils d’administration de leurs Agences de l’eau respective.

 

Six agences de l’eau

Il y a six agences de l’eau en France : celles des bassins Adour-GaronneArtois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, et Seine-Normandie et des deux bassins Rhône-Méditerranée et Corse.

Selon les chiffres du PLF 2017, elles occupaient 1736 personnes (équivalent temps plein) en 2016 et ont consommé à elles six un budget de 2,3 milliards d’euros lequel se trouve être essentiellement alimenté par une myriade de redevances pour : la pollution domestique, la pollution non domestique, la modernisation des réseaux de collecte, le prélèvement d’eau, la production hydroélectrique, les pollutions diffuses, la pollution d’élevages, les obstacles en rivière, le stockage en période d’étiage et la protection des milieux aquatiques… Notez que si les DOM ont bien leur comité de bassin, ils n’ont pas, en revanche et pour une raison que j’ignore, d’agence de l’eau.

À l’échelle de chaque bassin, la coordination des actions des différents services de l’État dans le domaine de l’eau est placée sous la responsabilité d’un préfet coordonnateur de bassin lequel s’appuie sur une commission administrative de bassin (CAB) qui regroupe des représentants de l’État et un délégué de bassin qui est typiquement le directeur d’une des direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) concernées.

 

Et un préfet pour coordonner les agences !

Le préfet coordonnateur est un préfet comme un autre, à ceci près qu’il coordonne. Quoi, me demanderez-vous ? Eh bien l’action des autres préfets de son bassin notamment en matière de police de l’eau et des milieux aquatiques.

Il y a des préfets coordonnateurs et des préfets coordonnés, c’est ainsi. En outre, le préfet coordonnateur préside un certain nombre de commissions comme typiquement les Comités de gestion des poissons migrateurs (COGEPOMI).

Enfin, à l’échelle de chaque bassin versant et de son cours d’eau, une Commission locale de l’eau (CLE) décline le SDAGE vu plus haut en schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE). Aujourd’hui, la mise en œuvre de la Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) c’est-à-dire de l’entretien et la restauration des cours d’eau et des ouvrages de protection contre les crues incombe à tous les niveaux de collectivités (région, département, communes et intercommunalités).

 

La nouvelle autorité des communes

Dès 2018, cette compétence sera transférée aux seules communes ou à leurs établissements publics de coopération intercommunale (ÉPCI) à fiscalité propre (communautés de communes, communautés d’agglomération, métropoles, communautés urbaines) même si ces derniers auront la possibilité de déléguer cette responsabilité à des structures de gestion par bassin versant comme les Établissements public territorial de bassin (EPTB)2 ou les Établissements publics d’aménagement et de gestion des eaux (ÉPAGE).

Quant au traitement et à l’assainissement des eaux, c’est encore une compétence des communes mais à compter de 2020, elle devra être transférée aux ÉPCI à fiscalité propre.

 

Un service public d’information sur l’eau

Évidemment, tout ça peut sembler un brin compliqué au premier abord (au second et au troisième aussi, d’ailleurs) et je vous concède volontiers qu’une source d’informations centralisée ne serait pas de trop.

Fort heureusement, les pouvoirs publics mettent à notre disposition un véritable service public d’information sur l’eau (et les milieux aquatiques) qui dépend manifestement de l’AFB et qui, si j’ai bien compris, est chargé du schéma national des données sur l’eau (SNDE) qui, lui-même, « fixe les objectifs, le périmètre, les modalités de gouvernance et décrit ses dispositifs techniques » du système d’Information sur l’eau (SIE).

Vous conviendrez donc, j’en suis sûr, qu’en France la gestion de l’eau est prise pour le moins au sérieux.

Naturellement, les mauvaises langues diront que ce magnifique édifice administratif est une véritable usine à gaz (de la vapeur d’eau, pour rester dans le thème) et qu’il y a sans doute là matière à simplification tout en réalisant quelques économies.

Ce n’est peut-être pas tout à fait faux mais gardez tout de même en tête, en reconsidérant ce qui précède, que nous n’avons abordé ici qu’une infime partie de la gigantesque toile administrative française. La prochaine fois, si je trouve le courage, je vous parle de la gestion de l’air.

Sur le web

  1. Pour plus d’informations, consultez le site de Gest’Eau, la communauté des acteurs de gestion intégrée de l’eau.
  2. Selon le site de l’Association française des établissements publics territoriaux de bassin (AFEPTB) il en existe 40 en France. Elle-même, puisque nous y sommes, rassemble 32 membres dont 30 EPTB.
Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • … Moyennant quoi, l’eau du robinet est partout potable en France (au moins « métropolitaine », et sauf pollutions accidentelles, of course).
    Bref, SGDG, c’est tout bon CQFD (Trop « OQP » pour trouver quelques acronymes supplémentaires)

    • Peut-être serait-il possible d’arriver au même résultat d’une manière un tantinet plus simple…? Parce-que là, en cas de problème quelque part, bonne chance pour trouver le service responsable, par exemple !

  • Belle illustration du millefeuille administratif à la française… J’ai réussi à lire jusqu’au COGEPOMI. Arrivé au CLE, au SDAGE, au SDAGE et au GEPAMI j’ai fait une indigestion. Et pourtant j’aime les millefeuilles!

  • Ça y est, la vieillerie m’a atteint : j’ai eu un début d’AVC à la lecture de cet article.
    La politique française de l’eau m’a tuer !
    ?

  • oui c imptessionnant
    merci pour ces infos…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Speranta Dumitru, maîtresse de conférence en Sciences politiques à l'université Paris Cité et fellow de l'Institut Convergence Migrations, partage son expertise et son point de vue sur les questions brûlantes de l'immigration, de la régularisation des travailleurs sans-papiers et du référendum sur l'immigration dans cet entretien avec Contrepoints.

 

Contrepoints : Bonjour Speranta Dumitru, ce lundi 11 septembre 2023, une tribune parue dans le journal Libération, rassemblant des élus Renaissance, MoDem, LIOT, Socialistes, é... Poursuivre la lecture

Article disponible en podcast ici.

 

Depuis 30 ans, la France régresse sous le joug du socialisme. Tout semble prêt pour que les quatre chevaux de l’apocalypse socialiste déferlent sur les JO, et montrent aux yeux du monde la ruine du pays.

 

La bureaucratie et son copinage

La date se rapproche, et les nouvelles s’enchaînent : mise en service de lignes de métro retardées après les JO, infrastructure sportive en retard, manque d’agents de sécurité, etc.

Il faut dire qu’un point central du socialis... Poursuivre la lecture

Après une présidentielle catastrophique, la droite tarde à se trouver. Dans un an, les élections européennes constitueront un test. D’ici là, un gros travail reste à faire pour offrir une vision en réponse aux multiples enjeux qui se posent à la France.

D’abord, le pays ne fait plus corps.

Cinq années d’émeutes ont permis de jauger l’ampleur de la dislocation de nos territoires. Les Gilets jaunes ont ouvert le bal des révoltes sur les ronds-points. L’ultra-gauche urbaine, arcboutée contre tout réglage de notre vieux système par ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles