Par Benjamin Boscher.
Un article de Trop Libre
Au fil du temps, au gré des contextes, la diffusion du message politique a changé de formes et d’ampleur. Sa communication, autrefois confidentielle, est devenue une composante moderne de nos démocraties et de l’action publique. La mercatique politique s’est développée, elle s’est structurée, quitte à occulter parfois la substance même du message qu’elle enrobe, à l’ère du raccourci où 140 caractères peuvent bouleverser des équilibres entiers, positivement ou non.
Si la diffusion du message politique, du combat des idées, se modernise, s’adapte aux nouveaux modes de transmission digitale de contenus, devient holographique avec Mélenchon ou algorithmique avec Macron1, elle opère encore majoritairement selon des codes professionnels et reste majoritairement aux prises de logiques partisanes. Le vote contestataire ou « surprise » est devenu l’expression fracassante de citoyens désireux de se faire entendre différemment, fatigués du sentiment de voir leur pouvoir d’expression sans résonance.
L’instinct musical
Cette résonance pourrait pourtant s’appuyer davantage sur le son, la musique, la création. Nous avons un instinct musical, au même titre qu’un instinct du langage comme le décrit Philip Ball dans the Music Instinct.
Au service des combats les plus actuels, les plus présents, la musique pourrait se faire davantage l’écho des attentes de tous. Là où les écrivains excellent, les composers tardent à irriguer nos bandes passantes de convictions profondes. En cette période de campagne présidentielle où tant de sujets doivent être débattus, le jingle d’un changement, la mélodie d’une ambition, la playlist d’un programme devraient se propager au rythme des idées. « La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique », écrivait Madiba dans son Long chemin vers la liberté.
La charge politique de la musique
Seule, la musique ne règle rien. Mais sa charge politique peut impacter, galvaniser, servir. Le sacre de Bob Dylan au rang de Prix Nobel en fin d’année dernière sonnerait presque comme un rappel. Il nous remémore le pouvoir de cet art universel et consacre ceux qui ont su porter le verbe plus haut, au plus beau et au plus fort. Et la symbolique ne s’arrête pas là. Dylan, c’est le candidat que l’on n’attendait pas.
Il alimentait les listes de paris officieux presque pour rire, mais personne n’y croyait. Don DeLillo, Joyce Carol Oates, Philip Roth… on donnait les auteurs américains favoris, mais pas lui. Les jurés suédois ont surpris. C’est l’image d’un désenclavement sans appel de la Littérature par la musique. Dylan dépoussière le Nobel d’un revers de guitare.
Peu d’artistes souhaitent aujourd’hui s’immiscer au sein de cette sphère politique, parfois peu inspirante. Il est facile de les comprendre, leurs raisons sont multiples. Mais les débats qui l’alimentent, méritent de trouver de nouveaux messagers.
Musique contre Donald Trump
Certains composers, cependant, s’y prêtent. Hier, Benjamin Clementines et Gorillaz, sortaient un opus pour s’élever contre l’ère qui s’entame tristement outre-Atlantique, aidés du conglomérat d’artistes 30 days, 30 songs, auteur de « La playlist que Donald Trump va détester ». Pas spécialement informationnelles, ces playlists incitent surtout à la défense de projets et de valeurs.
Comme le décrit Jean-Marie Donegani, la clé de la portée politique de la musique réside dans « sa capacité de médiation entre le monde et sa signification » à l’oreille de tous2. Analysant l’œuvre d’Adorno sur la physionomie musicale, il cite l’auteur qui pense qu’une composition peut exprimer l’essence de la société et finalement prétendre « non seulement constituer en elle-même une totalité, mais également en produire une autour d’elle par son effet »3.
Conscience politique du rap
Les talents ne manquent pas en France. Les artistes populaires, les créateurs émergents, les collectifs éphémères à l’origine des événements les plus courus en banlieues des capitales pourraient prendre le risque de sortir un format d’EP politique.
Les scènes de rap à forte conscience politique existent déjà et s’engagent d’ailleurs bien plus que beaucoup d’autres genres, que la vague électro par exemple. Rappelons que la French Touch est née d’un désir de rassemblement après l’exil des labels européens indépendants de Grande-Bretagne suite à une mesure anti-techno du gouvernement de Margaret Thatcher.
Et si le doute était encore permis, l’histoire de la musique, de la protest song parle pour elle. La Sinfonia dédiée à Martin Luther King, les textes de Suger Man, aka Rodriguez, les notes politisées d’Aretha Franklin ou de James Brown, les rocks de Springsteen, Patti Smith ou Neil Young, les raps d’Eminem et de Tupac, résonnent encore.
(Ré)associées, la politique et la musique pourraient ainsi donner à cette campagne certaines saveurs absentes et rependre l’écho d’un soulèvement nécessaire et engagé, provenant tout droit de cette société qui créée, danse, compose, n’attend pas pour vivre »4.
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- avec le porte à porte aidé des logiciels de Liegey Muller Pons. ↩
- Donegani Jean-Marie, « Musique et politique : le langage musical entre expressivité et vérité », Raisons politiques, 2/2004 (no 14), p. 5-19. ↩
- Ibid 2 et 3 ↩
- “Rassemblez-vous braves gens (…) car les temps sont en train de changer.” The Times They Are A-Changin’ (1964), Bob Dylan. ↩
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