Sur Tirole, lisez le Simonnot !

Jean Tirole parvient à consacrer 629 pages à l’économie du bien commun sans en consacrer une seule à ce bien commun entre tous qu’est la monnaie !

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Sur Tirole, lisez le Simonnot !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 février 2017
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Par Philippe Simonnot.

Sur Tirole, lisez le Simonnot
jean tirole credits imf (licence creative commons)

Non, la grande crise de 2008, dont les conséquences se font encore sentir, n’est pas une crise de marché, contrairement à ce que l’on nous serine matin et soir pour justifier un retour à l’État. Elle est le résultat « d’une défaillance massive du système de régulation financière, de sa conception à sa mise en œuvre ».

Ce diagnostic, établi dès 20081 par Jean Tirole, est repris en majesté dans L’économie du bien commun que nous offre le prix Nobel 2014, le seul économiste français à porter ce titre après le décès de Maurice Allais en 2010.

Et l’on ne peut que s’en féliciter tant le mythe de la défaillance du marché comme deus ex machina de la catastrophe économique reste dominant non seulement dans les médias, mais aussi dans les discours des hommes politiques les plus distingués. Disons-le tout de suite, Jean Tirole se range ici, mais ici seulement, dans le rang des économistes libertariens, lesquels avaient immédiatement accusé l’intervention étatiste d’être la cause du désastre. Bienvenue au club, cher collègue ! Un club de happy few…

 

2008, une crise de la régulation

Reprenons donc encore une fois la démonstration que l’on retrouve chez Tirole lui-même.

Les fameuses subprimes sont en fait le fruit d’une intervention étatique qui a enjoint aux banques d’accorder une quote-part de leurs prêts à des catégories de population défavorisées, donc peu – voire pas du tout – solvables. Soit dit en passant, il faudrait être cohérent dans la critique de la libre entreprise : on ne peut à la fois reprocher aux vilains capitalistes de ne s’intéresser qu’à la demande solvable et les mettre en cause dans la diffusion des prêts à une population sans moyens. La réalité est que les prêts subprimes à l’origine de la catastrophe de 2008 résultent d’une réactivation d’une réglementation héritée de la démagogie de Roosevelt.

Le deuxième facteur de la mégacrise – l’existence des deux agences de crédit hypothécaire disposant de la signature publique, à savoir les tristement célèbres Fannie Mae et Freddie Mac – n’a rien à voir non plus avec les mécanismes de marché. Ces deux organismes étaient des institutions directement « sponsorisées » par le gouvernement fédéral américain et leur signature était réputée aussi bonne que celle du Trésor. Grossière tromperie sur la marchandise.

Enfin, derrière toute cette mécanique, agit la Banque centrale américaine, c’est-à-dire le système de réserve fédéral, qui, en se posant comme prêteur en dernier ressort du système, permet aux organismes financiers sous son contrôle de prendre des risques qu’ils ne devraient pas prendre.

 

Passez la monnaie

Ce troisième facteur de crise est plutôt négligé par le Nobel français. Tirole parvient à consacrer 629 pages à l’économie du bien commun sans en consacrer une seule à ce bien commun entre tous qu’est la monnaie !

Certes quelques paragraphes sont consacrés aux difficultés de l’euro, quelques autres aux problèmes inhérents aux banques centrales mais aucune réflexion sur ce qu’est la monnaie !

Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si les deux seuls prix Nobel d’économie que la France ait jamais eus sont des ingénieurs – Allais, ingénieur des mines, et Tirole ingénieur des Ponts – vu la déréliction de la science économique dans un pays qui avait donné au monde, dans ce domaine, des génies tels que Condillac, Say et Bastiat.

Mais la monnaie était au cœur des recherches d’Allais, ce qui n’est certes pas le cas chez Tirole dont la grande affaire est la Régulation – avec un grand R. C’est même ce qui lui a valu son Nobel en 2014. D’où des chapitres entiers consacrés aux défaillances du marché, bourrés de critiques certes justes mais mille fois rabâchées dans les manuels.

 

Absurdité de la théorie de la concurrence pure et parfaite

Tout ce prêchi-prêcha qui se donne des allures de morale à la recherche du bien commun oublie une seule chose : c’est que les grands penseurs du libéralisme contemporain (Hayek, Mises, Rothbard) n’ont jamais prétendu que le marché devait être en situation de concurrence pure et parfaite. Tout simplement parce que la théorie de la concurrence pure et parfaite est incapable de concevoir la prise de risque dans un monde incertain et donc le profit.

En effet, l’entrepreneur tel que le conçoit cette théorie ne correspond à aucune réalité. Ce n’est même pas un idéal-type vers lequel l’entrepreneur concret devrait converger dans des conditions idéales. L’entrepreneur de la concurrence pure et parfaite est un zombie. Il ne peut avoir aucune influence sur ses concurrents, sur ses fournisseurs, sur ses clients, sur ses salariés.

Il est à la tête d’une entreprise semblable à toutes les autres. À un moment donné, l’état de la technique s’impose à lui comme à tous les autres. L’information étant parfaite, il n’est confronté à aucune incertitude. En un mot comme en cent, il ne risque rien.

Il faut reconnaître à la théorie une certaine cohérence dans son irréalité. Cet entrepreneur-bureaucrate est en fait un technicien supérieur juste capable d’administrer une entité dont les paramètres sont parfaitement connus de tout le monde. Il ne manquerait plus qu’il fasse des profits ! Non, cet entrepreneur-là n’a droit à aucune sorte de profit. Il est comparable à un chef d’usine dans une économie socialiste centralisée.

C’est pourquoi cette théorie plaît tant aux économistes socialistes ! Mais pas seulement, hélas ! Toute une série d’économistes de premier plan, au tournant des XIXe et XXe siècles (Pareto, Barone, Schumpeter), qui n’avaient aucune sympathie pour le socialisme, tirèrent du modèle de la concurrence parfaite une théorie positive de l’économie socialiste. Ils rendirent ainsi au socialisme un service que Marx avait été incapable de lui rendre.

 

Nombre d’excellentes pages

En un mot comme en cent, puisqu’elle n’est jamais pure et parfaite, la concurrence justifie l’intervention de l’État pour qu’elle redevienne pure et parfaite – objectif par nature irréalisable qui légitime une intervention ou une régulation permanente de plus en plus tatillonne.

Tirole a ici le grand mérite de montrer que l’État, lui non plus, n’est ni pur ni parfait. Avis d’orfèvre, puisque pratiquement toute son œuvre est consacrée à l’étude critique des régulations qui ont été multipliées depuis que l’État a renoncé en partie à intervenir directement, ou depuis que le vice de ces interventions directes est trop visible.

Ici, Tirole nous offre de nombreuses pages tout à fait excellentes sur le marché du travail, sur les transports publics, les télécommunications et autres « monopoles naturels »2, sur la pollution, sur le numérique, sur la propriété intellectuelle, sur l’économie dite collaborative, autant de sujets difficiles où il déploie un savoir immense, des connaissances incroyablement précises et documentées et un talent pédagogique réel.

 

Blousé par le ratio Cooke

En ce qui concerne les ratios Cooke issus des accords de Bâle I, II et III, il nous semble toutefois que malheureusement notre Nobel national s’est fait lui aussi blouser par une des opérations de prestidigitation les plus extraordinaires qui soit3. Rappelons que ces ratios ont été institués afin d’obliger les banques à avoir une certaine quantité de fonds propres de qualité par rapport à leurs crédits pour limiter l’émission de prêts par trop risqués.

Mais en établissant ces règles les autorités publiques ont triché à la fois sur les numérateurs et sur les dénominateurs. Les crédits aux États ont été exclus de la masse des crédits qui doivent être couverts par les fonds propres parce qu’on considérait que les obligations d’État étaient par nature du très bon risque et qu’à ce titre, on n’avait pas à en tenir compte. On a vu avec la crise ce qu’il en était… Quant à la définition des fonds propres retenue, on y a mis sciemment des fonds qui ne méritaient pas cette qualification.

Résultat : loin de discipliner la distribution de crédits et de sécuriser le système, les ratios Cooke sont venus au secours du concubinage entre les banques et l’État. Certes, de Bâle I à Bâle III, des améliorations ont été apportées. Mais le fait est là : dans toute cette crise et ses développements, on ne parle quasiment pas du ratio Cooke alors que sa responsabilité est énorme car il n’a rien empêché.

Finissons sur un regret : l’absence du moindre index à la fin de l’ouvrage, contraire à toutes les règles de publication d’œuvres de ce genre, et qui rend difficile la consultation de cet énorme livre.

Sur le web

  1. Leçons d’une crise, Jean Tirole, notes de la Toulouse School of Economics, n°1, 2008.
  2. À ce sujet se reporter à notre article Le capitalisme est mort. Vive le capitalisme.
  3. Se reporter à La Monnaie histoire d’une imposture, Perrin (2012), notamment le chapitre 9, « L’étrange cuisine du docteur Cooke ou la faillite de la réglementation bancaire ».
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  • La concurrence pure et parfaite n’est que l’un des avatars de l’égalitarisme forcené. Heureusement que tout le monde n’a pas les mêmes informations ni les mêmes motivations. Ces différences sont des moteurs d’évolution. Le progrès vient de la diversité et non de l’uniformité.

  • Les commentaires sont fermés.

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