Par Benjamin de Dreuzy.
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale a rendu, le 8 décembre 2016, son rapport sur l’affaire de la chaîne Numéro 23. En octobre 2015, le Conseil supérieur de l’audiovisuel avait retiré à la société Diversité TV France son autorisation d’émettre la chaîne, après avoir découvert son intention de vendre à prix d’or le canal attribué gratuitement tout juste deux ans plus tôt.
Cette sanction inédite, destinée à dissuader les opérateurs privés de spéculer sur la ressource hertzienne, avait cependant été annulée par le Conseil d’État en mars 2016. Les députés qui se sont saisis de cette affaire ont rendu un verdict mettant en cause l’ensemble du secteur audiovisuel, quitte à sacrifier l’art de la nuance et à tomber dans la caricature.
Au regard des critiques souvent dirigées contre l’atonie du Parlement de la Ve République, l’analyse menée par la commission d’enquête sur l’affaire Numéro 23 pourrait certes constituer un exercice réussi. La beauté du geste est hélas ternie de prime abord par la facilité avec laquelle les auteurs du rapport se sont laissés aller au commérage politique à l’encontre des milieux d’affaires et du Gouvernement de François Fillon. Quoiqu’il en soit, ce rapport est riche d’enseignements.
D’emblée, il révèle une véritable défiance à l’égard des principaux acteurs de l’audiovisuel. Les groupes privés sont soupçonnés de manœuvrer auprès de l’administration pour se soustraire à leurs obligations ; le CSA est quant à lui accusé de faiblesse et de proximité à l’égard des opérateurs, voire de partialité. Même le Conseil d’État est visé : le rapport propose de réduire l’office du juge suprême en matière audiovisuelle, sans crainte des difficultés que cela pourrait poser au regard des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme en fait de sanctions.
Il est vrai que le lancement et la gestion de Numéro 23 par la société Diversité TV France prêtent largement le flanc à la critique et dévoilent une intention spéculative hautement préjudiciable tant au public qu’aux biens publics, dont relève la ressource hertzienne.
Cela est d’autant plus déplorable que, depuis 2005, se multiplient à des conditions très lucratives les cessions de chaînes de télévision, dont le principal actif est pourtant l’autorisation d’émettre sur la TNT, délivrée à titre gratuit par le CSA. La question de la loyauté des opérateurs privés dans le maniement des fréquences qui leur sont accordées s’avère donc cruciale.
À cet égard, le rapport évoque avec pertinence la difficulté à laquelle se heurtent les pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de lutter contre les opérations spéculatives. S’agissant des « ventes de fréquences », la commission d’enquête a judicieusement pointé les lacunes du dispositif fiscal prévu par la loi et formulé des propositions pour y remédier ; ces pistes méritent à coup sûr d’être creusées.
Il serait plus risqué en revanche de resserrer l’étau procédural applicable au rachat des chaînes dont la survie est menacée, comme le demandent les députés, qui ne semblent pas se soucier du danger qu’il y aurait à paralyser par le juridique des opérateurs déjà affaiblis par l’économique.
Une vision simpliste et caricaturale de la régulation
Si un soupçon d’intention spéculative pouvait certes planer assez tôt sur Numéro 23 et si le CSA semble ne pas avoir accompli toutes les diligences requises à ce titre, les accusations de complaisance formulées par les députés à l’encontre de ce dernier sont loin d’emporter la conviction. Plus sagement, la commission d’enquête pointe l’un des défauts du contrôle mené par le régulateur, qui se concentrerait davantage sur les aspects éditoriaux des dossiers que sur les aspects capitalistiques.
Il est également permis de penser que le CSA focalise son contrôle sur les groupes historiques au détriment des éditeurs indépendants. Cela serait d’ailleurs compréhensible : en considération de sa taille et de sa notoriété limitées, une chaîne comme Numéro 23 pouvait légitimement attendre du régulateur une patience plus grande, s’agissant de la mise en œuvre de ses engagements, que pour les éditeurs adossés aux grands groupes.
Quoiqu’il en soit, la sanction édictée in fine par le CSA à l’encontre de Numéro 23 ne manquait pas de sévérité. Malgré la fragilité juridique de cette décision, qui explique sa censure par le Conseil d’État, le choix du régulateur se comprend assez bien.
Il s’agissait en effet de condamner fermement les manœuvres spéculatives des porteurs de projet et peut-être également, de manière sous-jacente, de compenser la faiblesse des mesures prises jusque-là à l’encontre de la chaîne par le CSA, qui a pu ressentir une soudaine culpabilité. La décision qui est née de cette contradiction douloureuse met à jour le numéro d’équilibriste auquel doit se livrer le régulateur, un jour conciliant, le lendemain inflexible.
C’est d’ailleurs à cet égard que le rapport de la commission d’enquête révèle sa principale faiblesse : les députés y dénoncent à de multiples reprises l’indulgence du CSA à l’égard des opérateurs et l’invitent à plus de sévérité, voire d’intransigeance. Pourtant, en matière audiovisuelle comme dans les autres secteurs, le régulateur n’est pas un censeur dont l’objectif serait d’imposer aux groupes privés des contraintes toujours plus fortes. Il doit au contraire être un interlocuteur, un aiguillon constructif, indiquant aux acteurs économiques la ligne à suivre dans la conduite de leurs projets.
En ce sens, la proximité qui s’établit entre régulateur et régulés ne peut guère être condamnée, si bien sûr elle ne fait pas obstacle à l’adoption de mesures difficiles lorsque cela s’avère nécessaire. Bien que le rapport énonce à juste titre que le CSA n’est « pas un organe hors sol, dans sa tour d’ivoire, mais un partenaire au sein d’un écosystème », il demeure hélas attaché à une conception figée, manichéenne et antinomique de la régulation.
Un tel système serait dangereusement pénalisant pour les opérateurs audiovisuels, qui évoluent dans un secteur déjà particulièrement réglementé et dont la santé économique montre de sérieux signes d’épuisement. Espérons donc que le CSA ne cède pas aux remontrances de la commission d’enquête et qu’il continue à jouer le rôle, non pas d’antagoniste, mais de protagoniste de la vie audiovisuelle en France.
- Benjamin de Dreuzy est avocat au sein du cabinet Delaporte & Briard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, où il exerce essentiellement son activité au sein du département droit public. Ses domaines d’intervention sont le droit administratif général, le droit de la fonction publique, la régulation du secteur audiovisuel et le contentieux devant le Cour européenne des droits de l’Homme.
Ce n’est qu’un combat de mamouths condamnés à disparaitre.
D’ici 20 ans, le public qui ne regardera que la TV Hertzienne sera marginal, les autres seront sur internet.
Il faut privatiser les chaines publics et vendre les canaux aux plus offrants tant qu’ils offrent encore un peu de valeur.
Le principe de vendre dès fréquence me semble abusif. Les fréquences hertziennes ne sont pas un “bien public” et n’appartiennent pas à l’Etat. Chacun devrait donc être libre d’exploiter la,fréquence de son choix pour l’usage qu’il juge bon.
Par ailleurs, si l’Etat s’arroge le droit de fournir gratuitement une licence, rien ne lui permet par la suite d’interférer sur ce qu’elle deviendra.
On est sur le même principe que celui des licences de taxi, et on arrive sur les mêmes abus, pour les mêmes raisons. Les montants sont plus gros, mais créer un quasi monopole finit toujours par être payé par le consommateur.
Enfin, si on laisse l’Etat estimer que les fréquences lui appartiennent, ne soyons pas étonnés si un jour ce même État taxe l’usage du bleu clair, ou interdise l’usage pur et simple du jaune et du vert, et confère a une catégorie de personnes accréditées le seul droit d’utiliser les fréquences entre 2.000 et 4.000 Hz.