Par Patrick Aulnas.

Cette question a souvent été posée dans Contrepoints, en particulier au sujet des candidats à la primaire de droite ou encore d’Emmanuel Macron. Logique, me direz-vous, pour un site d’information qui se réclame du libéralisme. La question « partage-t-elle, partage-t-il nos idées ? » vient immédiatement à l’esprit. Mais la réponse apportée correspond en général à une approche axée sur l’économie. Or le libéralisme ne se résume pas à l’économie.
Les deux manières de répondre
Il y a deux manières de répondre à cette question.
La première, simple et efficace, consiste à placer l’individu dans le spectre politique actuel. Le libéralisme, en pratique, ne se situe jamais aux extrêmes. Extrême-droite et extrême-gauche sont très dirigistes et interventionnistes. Le libéralisme, en tant que pratique politique, va donc du social-libéralisme au conservatisme. Il ne consiste pas à remettre fondamentalement en cause le poids de l’État dans les sociétés développées mais à préconiser des espaces de liberté individuelle plus larges.
Autrement dit, l’État ne doit pas croître indéfiniment, peut se faire moins interventionniste, mais il n’est pas envisagé de le réduire à ses fonctions régaliennes. Les libéraux sont alors très nombreux mais avec un libéralisme plus ou moins accentué. Le libéralisme n’est qu’un aspect de leur action. Les partis politiques appelés libéraux en Occident acceptent le compromis, ne serait-ce que parce qu’il est incontournable pour gouverner. On ne gouverne pas seul, des alliances sont nécessaires.
Mais la manière la plus courante de répondre à la question consiste à se référer à un corpus doctrinal. Peut-on rattacher Barbanchu à la pensée libérale ? Ses propositions sont-elles conformes à la doctrine ? Le libéralisme comportant historiquement des centaines d’auteurs et probablement plusieurs dizaines d’auteurs très importants1, l’exercice se révèle périlleux. Il faut nécessairement simplifier et choisir quelques critères généraux. Le critère le plus général du libéralisme semble bien être une demande d’accroissement de l’autonomie de l’individu. Le collectif doit résulter préférentiellement du contrat librement conclu et le moins possible du politique. L’individu libre préexiste au politique ou plus exactement, c’est lui qui fonde le politique sous des formes diverses.
La question se théorise et devient donc beaucoup moins ouverte.
Barbanchu peut-il être rattaché à la doctrine libérale ?
La dernière mode, dans certains cénacles, consiste à voir l’ultra-libéralisme partout. Alors allons-y ! Le Barbanchu ultra-libéral devrait cocher un grand nombre de cases dans le domaine de l’autonomie individuelle. Soit toutes les libertés politiques (pensée, religion, réunion, association, etc.), toutes les libertés économiques (place prépondérante du marché, État peu interventionniste voire réduit à ses fonctions régaliennes, concurrence effective sans monopoles, oligopoles ou positions dominantes, etc.) mais aussi les libertés sociétales (mariage ou union juridiquement reconnu entre toutes personnes majeures, avortement libre, gestation pour autrui, procréation médicalement assistée, etc.).
Ce libéralisme théorique se heurte cependant à des réalités qui relèvent des limites propres à l’Homo sapiens, c’est-à -dire la volonté de dominer, plus ou moins développée selon les spécimens de l’espèce. Diriger, commander, posséder le pouvoir conduit nécessairement à réduire l’indépendance de l’individu. Pour faire société, une organisation hiérarchisée semble inéluctable. Les doctrines libérales admettent donc l’État comme mal nécessaire.
Il doit se limiter à l’essentiel, mais des divergences apparaissent déjà pour définir l’essentiel. S’agit-il des seules fonctions régaliennes (armée, justice, police, etc.) ou également d’un rôle de régulation plus large ? Par exemple, dans le domaine économique, la concurrence pure et parfaite n’existe que dans l’esprit des théoriciens. Sans régulation juridique, la concurrence disparaît progressivement car les plus forts dominent le marché et éliminent les plus faibles.
Le libéralisme théorique rencontre aussi des limites ou des divergences morales. Par exemple, penser librement et diffuser sa pensée ne peut conduire à faire l’apologie du meurtre ou à inciter à la haine et à la violence. Dans le domaine sociétal, deux interdits sont considérés comme universels : ceux de l’inceste et du meurtre. Il est possible de considérer que la vie commence dès l’état embryonnaire et d’analyser l’avortement comme un meurtre.
Mais il est aussi possible de penser le contraire. La liberté du mariage se heurte à la prohibition de l’inceste. Il serait bien difficile aujourd’hui d’invoquer le mariage du pharaon avec sa sœur ou sa fille pour justifier l’inceste.
L’insuffisance de l’approche macro-économique
Cette complexité conceptuelle est en général éludée. Le Barbanchu ultra-libéral est alors défini par rapport à un corpus doctrinal étroit à caractère économique. Mais la tendance à focaliser sur l’économie lorsqu’il est question de libéralisme conduit à des réponses paradoxales.
Quelques exemples récents permettront de comprendre. François Fillon a été généralement considéré comme plus libéral qu’Alain Juppé. C’est sans doute exact sur le terrain de l’économie, mais pas sur celui de l’immigration où Juppé a des positions plus ouvertes. Le libéralisme dans ce domaine consiste à admettre la libre circulation des personnes et à relativiser l’importance des frontières.
Les No Borders seraient ainsi des ultra-libéraux, mais des ultra-libéraux violents, ce qui met en évidence les faiblesses de toute généralisation abusive. Juppé est également plus libéral dans le domaine de la filiation, puisqu’il n’envisageait pas de remettre en cause l’adoption plénière par les couples homosexuels, qui accroît incontestablement l’autonomie de l’individu.
En réalité, la question « François Fillon est-il ultra-libéral ? » relève de l’absurde ou de la manipulation politique. Il ne fait aucun doute que la gauche le qualifiera de cette façon au cours de la campagne présidentielle. Mais, comme on le sait, la politique politicienne est devenue le degré zéro de la politique.
La vérité est évidemment, et on enfonce ici des portes ouvertes, que Fillon est modérément libéral sur le plan économique, peu libéral sur le plan sociétal et encore moins en ce qui concerne la circulation des personnes. Globalement, il est beaucoup plus conservateur que libéral.
Emmanuel Macron est-il libéral ? Probablement davantage que Fillon si on utilise les mêmes critères. Son libéralisme politique est une évidence, son libéralisme économique est assez affirmé, son libéralisme sociétal ne fait aucun doute. De même, Nathalie Kosciusko-Morizet est plus libérale globalement que Fillon car, outre son libéralisme économique, elle affiche des positions très ouvertes sur le sociétal et l’immigration. NKM est plus proche de Macron que de Fillon. Si les personnalités les plus jeunes et les plus brillantes sont aussi les plus libérales, au sens large et véritable du mot, tout espoir n’est pas perdu.
Les macro-économistes dévalorisent-ils le libéralisme ?
Il ne faut donc pas laisser la problématique libérale aux mains des seuls macro-économistes qui, évidemment, ne l’examinent qu’en fonction de leurs agrégats et de leurs doctrines aux perspectives aussi étroites que les doctrines purement politiques.
Pourquoi les macro-économistes, qui se sont toujours trompés sur tout ce qui est advenu d’important dans le monde, auraient-ils la quasi-exclusivité de la définition du libéralisme ? Une telle approche fait le jeu des socialistes qui présentent aujourd’hui le libéralisme comme la doctrine du repli égoïste. Le caractère réducteur du libéralisme économique autorise une présentation caricaturale.
D’une manière générale, la problématique libérale met en jeu l’opposition domination collective – autonomie individuelle. La domination collective résulte de règles juridiques limitant ou interdisant à l’individu certaines pratiques. Autrement dit, le politique limite la liberté contractuelle pour imposer à tous une intégration institutionnelle.
L’économie n’est qu’un aspect du problème, important certes, mais pas plus que les autres. Encadrer juridiquement la production est-il plus confiscatoire de liberté qu’encadrer juridiquement la vie politique, la vie familiale ou la liberté de circulation des personnes ?
Chacun répondra à sa façon (et librement) mais une chose est certaine : en utilisant une métaphore photographique, on pourrait dire que la problématique libérale suppose un objectif grand angle. Il faut embrasser toute la réalité sociale et ne pas en privilégier systématiquement certains aspects.
On mesurera ainsi un peu mieux à quel point les outrances journalistiques concernant telle ou telle personne ne sont que de grossières caricatures à usage politicien. Et à quel point la plupart des articles visant à situer une personnalité comme moitié-libérale, trois-quarts-libérale ou ultra-libérale doivent être lus en aiguisant son esprit critique.
-  En français, l’ouvrage de base qui propose un panorama d’ensemble est celui d’Alain Laurent et Vincent Valentin, Les penseurs libéraux, éditions Les Belles Lettres. ↩
Article intéressant, mais qui soulève pas mal de questions.
Je cite : “Le libéralisme, en tant que pratique politique, va donc du social-libéralisme au conservatisme. Il ne consiste pas à remettre fondamentalement en cause le poids de l’État dans les sociétés développées mais à préconiser des espaces de liberté individuelle plus larges.”
J’ai au contraire la conviction qu’en tant que théorie du droit le libéralisme s’oppose par nature, par essence, au poids de l’Etat. Il ne saurait y avoir d’espaces de libertés individuelles élargies avec un Etat dirigiste et présent dans tous les domaines de la vie, sociale, sociétale, morale, politique, économique, éducative, etc.
Sans être monarchiste, j’affirme que le libéralisme et le poids actuel de l’Etat sont incompatibles.
On peut toujours discuter des fonctions régaliennes, et en revoir la définition au regard de nos societes actuelles. Mais c’est le périmètre maximal du rôle de l’Etat, ce point ne peut pas être remis en cause.
Oui, cette phrase m’a fait également bondir : le libéralisme ne consiste pas à ce que l’Etat crée des “espaces de liberté individuelle” comme autant de prisons dorées. Cette vision s’appelle … le socialisme ou plus précisément la vision de Rousseau, l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ou encore la démocratie…
La liberté n’est pas un but politique, mais un moyen, un principe politique : au lieu de chercher l’harmonie de la société et l’épanouissement de chacun par la loi et la contrainte, le libéralisme préconise la liberté et la responsabilité comme instruments politiques, avant tout pouvoir souverain.
Le libéralisme non seulement remet en cause le poids de l’Etat, mais surtout conteste l’utilité de ce poids : on ne change pas les gens par la contrainte, mais en gagnant leur assentiment et en les obligeant à assumer leurs responsabilités.
Pour ce qui est de la liberté d’expression, elle ne saurait être limitée à mes yeux. Oui, elle peut aller jusqu’à l’apologie du meurtre, de la stigmatisation d’une minorité, de la marginalisation d’un parti politique ou de la révision de l’histoire.
Les idées sont des armes, et c’est bien en les laissant toutes accessibles qu’une société peut s’en protéger, ou les comprendre et les aadopter.
Marginaliser les sites djihadistes les à fait disparaître du web standard, sans pour autant diminuer leur nocivité.
Prohiber le révisionnisme au sujet de la Shoah est juste légiférer pour brider une pensée absurde et aisément contrecarée.
Interdire les publications au sujet de la mise en concurrence de la Secu ne fait pas disparaître le problème, mais empêche fortement de lui trouver une solution durable.
Tous ces bridges de la pensée, même si leur fondement social ou moral semble juste, vont à l’encontre d’une société adulte et responsable.
C’est en informant massivement que l’on peut faire évoluer la pensée, pas en censurant.
Quel que soit le prétexte, quelle que soit la raison.
Dans votre article vous faites référence à celui-ci :l’État comme mal nécessaire.
http://www.contrepoints.org/2015/12/10/232199-liberal-ne-veut-pas-dire-necessairement-libertaire
dans lequel la réponse négative à cette question vous définit comme libéral :
Souhaiteriez-vous faire usage de la force, de la violence physique, que ce soit vous-même ou
par délégation à une autre personne ou institution, afin d’obliger ou
d’empêcher une autre personne, adulte, d’agir, sans qu’il y ait d’agression de sa part ?
La question que je me pose est la suivante : A partir de quel moment considérer qu’il y a agression ?
En effet, depuis au moins trente ans nous observons des syndicats minoritaires comme la CGT
bloquer la pays pour n’importe quelle raison.
Estimez-vous qu’il y a agression ?