Les années Chirac (I)

Quel bilan tirer des années Chirac ? Petite analyse en forme de rétrospective.

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Chirac licence creative commons BY-NC-ND 2.0

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Les années Chirac (I)

Publié le 27 septembre 2016
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Par Nathalie MP.

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L’actualité autour de Jacques Chirac s’est emballée ces derniers jours. Âgé de 83 ans et affaibli depuis un accident vasculaire cérébral en 2005, l’ancien président de la République a été hospitalisé en urgence dimanche 18 septembre 2016 pour une infection pulmonaire. En plus de plonger les rédactions des journaux dans la plus grande fébrilité, cet événement suscite vœux de bon rétablissement, éloges et réminiscences. On dit que François Hollande, voisin corrézien, se tient informé en permanence de l’état de santé de son prédécesseur et on entend dire de-ci de-là que Jacques Chirac serait le dernier grand président de la Ve République. Tout nous appelle à repenser aux « années Chirac. » 

Alors que les primaires présidentielles se profilent, pas un journaliste ne reçoit un homme politique de droite sans l’interroger d’abord sur l’ancien président. Le respect et la sympathie fusent sur Twitter et dans les matinales. Le grand homme d’État, « force qui vainc » selon Bayrou, « énergie indomptable » pour Fillon, et inspirateur politique de beaucoup de « bébés Chirac », est unanimement salué avec chaleur (vidéo, 02′) :


Dans les matinales, souhaits de rétablissement… par libezap

 

Après le décès de Pompidou

Mes souvenirs politiques remontent très exactement au jour du décès du président en exercice Georges Pompidou. C’était pendant les vacances de Pâques d’avril 1974. Valery Giscard d’Estaing, centriste du parti des Républicains Indépendants et ministre des Finances sortant, se présente pour lui succéder. Il devra affronter François Mitterrand, bien sûr, mais aussi le gaulliste Jacques Chaban-Delmas.

C’est à ce moment que Jacques Chirac entre en scène. Ministre de Pompidou, théoriquement gaulliste comme Chaban, il considère cependant que ce dernier ne fera pas le poids face à l’union de la gauche de Mitterrand. Il se rallie à VGE (trahison ?) dont la victoire (très serrée : 50,81 %) le propulse Premier ministre. Dans la foulée, il met rapidement la main sur le parti gaulliste, UDR à l’époque. « M. Chirac n’a découvert le gaullisme qu’en comptant les sièges de l’Assemblée » dira Chaban1.

À partir de là, Chirac occupe le devant de la scène politique sans discontinuer jusqu’en 2007, date de fin de son second mandat présidentiel. Depuis, il occupe le cœur des Français qui, sondage après sondage, le placent largement en tête de leurs chefs d’État préférés à mesure que son impact dans la vie publique s’amenuise.

 

Corona et cigarettes

Oublié le « super-menteur » des Guignols, oubliée la condamnation (2011) pour les emplois fictifs de la Ville de Paris ; il ne reste plus que celui qui boit de la Corona, fume cigarette sur cigarette, et lance une de ses phrases cultes en passant devant les vaches du Salon de l’agriculture : « Ce ne sont pas des bovins, ce sont des chefs d’œuvre. » Bref, Jacques Chirac est devenu le plus sympa de tous, et de loin. Il est même devenu chez les jeunes l’objet d’une sorte d’admiration nostalgique. Icône des années 1970, à 1990 Jacques Chirac serait terriblement « swag », c’est-à-dire hyper cool, stylé et charismatique.

Dernier grand président, chef d’État préféré des Français ? Comment a-t-il fait ? Lorsqu’il accède à la présidence en 1995, sa cote de popularité est de 64 %. Rien que de très normal, la France est en état de grâce après l’achèvement crépusculaire des années Mitterrand. Quand il quitte l’Élysée en mai 2007, il est à 30 % après être passé par un minimum de 16 % en juillet 2006.

 

La vie politique mouvementée de Chirac

Autant il est simple d’enchaîner une phrase commençant par « C’est l’homme qui a… »lorsqu’on s’intéresse à son prédécesseur Mitterrand, car, quoi qu’on en pense, vient assez spontanément à l’esprit « c’est l’homme qui a aboli la peine de mort, c’est l’homme qui a mis en œuvre le programme commun de la gauche », autant l’exercice se révèle plus compliqué avec Chirac.

Dans une vie politique longue, mouvementée, pleine de revirements et d’actions plus ou moins bien inspirées (article d’aujourd’hui), je retiens après réflexion son action plutôt libérale lorsqu’il fut Premier ministre de cohabitation avec Mitterrand de 1986 à 1988, son refus d’accompagner les Américains dans leur guerre en Irak, et sa passion pour l’art et l’ailleurs qui donnera naissance au Musée du quai Branly consacré aux arts premiers et aux cultures lointaines (prochain article).

 

Valeurs laïques et républicaines de la famille Chirac

Jacques Chirac est né en 1932 à Paris dans une famille d’origine corrézienne dont les valeurs sont « laïques et républicaines. » Ses deux grands-pères étaient instituteurs. Après un bac scientifique obtenu en 1950, et un engagement de trois mois comme matelot sur un cargo, il commence une prépa scientifique, mais entre finalement à Science Po en 1951. Il fait ses premiers pas en politique aux côtés des communistes pour lesquels son action principale consiste à vendre L’Humanité dans la rue.

Mais l’expérience tourne court, car il rencontre Mlle Bernadette Chodron de Courcel, également élève de Science Po. Elle est douée pour les fiches. Il est charismatique. Elle vient d’une famille d’industriels de la haute bourgeoisie catholique. Il n’a ni religion ni fortune. Mais Bernadette pense qu’il ira loin et l’épouse en 1956 devant ses parents peu enthousiastes. Ce mariage n’a rien d’anecdotique. Même si Jacques Chirac n’a jamais mis de terme à ses capacités de séducteur (« Les filles, ça galopait, je les connais toutes » a-t-elle confié à Patrick de Carolis), les Chirac forment un couple politique au sein duquel Bernadette est un conseiller écouté. Elle a notamment mis son mari en garde contre la montée de Jean-Marie Le Pen en 2002. Elle a de plus une excellente expérience de terrain pour avoir mené en propre une carrière d’élue locale en Corrèze de 1971 à 2015 !

 

Énarque et auditeur à la Cour des comptes

Revenons à Jacques. Il entre à l’ENA en 1954 et en sort en 1959, promotion Vauban. Son cursus a été interrompu par son service militaire qu’il a fait en Algérie. Il devient auditeur à la Cour des comptes, entre au cabinet du Premier ministre Georges Pompidou, devient par la suite son ministre de l’Agriculture. À ce moment-là, sur le plan économique, il est un adepte des grands projets industriels dans l’esprit de l’État stratège. Et nous voilà en 1974.

Autant il a soutenu VGE contre le clan gaulliste pour la présidentielle de 1974, autant il va dorénavant agir contre lui parce qu’il ne le trouve pas assez généreux en postes avec les gaullistes. Il commence par démissionner bruyamment de ses fonctions de Premier ministre, en août 1976, puis il transforme l’UDR en RPR, en décembre 1976, afin de former une force politique apte à contrer aussi bien l’opposition de gauche que les giscardiens. Il veut faire du RPR une version française de la social-démocratie, un parti travailliste à la française, quelque chose entre le socialisme marxiste et le « capitalisme sauvage »qu’il dénonce violemment. Toujours ce vieux rêve sans issue de troisième voie qu’on retrouve chez tous nos hommes politiques, qu’ils s’appellent Hollande, Mitterrand, Rocard, Juppé ou Macron.

 

La bataille de Paris

En 1977, la « bataille de Paris » est le prolongement de sa lutte anti-VGE. Suite à un changement de statut de la capitale, il se présente pour en devenir le premier maire depuis la Révolution française. Ses opposants sont bien sûr la gauche, mais surtout Michel d’Ornano, proche de VGE. La campagne est féroce.

Jacques Chirac obtient son poste et s’y distingue par sa lutte sans merci contre les « pollutions canines » et la mise en service de « petits engins, euh, qui lavent, heu, les trottoirs, heu » amicalement baptisés « motocrottes. » Voir ci-dessous une amusante vidéo où le nouveau maire détaille son projet et sa philosophie sur les relations homme / chien, allongé sur un canapé devant une cheminée (04′ 21″) :

Chirac se distingue aussi par une utilisation extensive du personnel municipal au profit de ses campagnes électorales ou du RPR. L’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris avait valu à Alain Juppé, son adjoint municipal, une condamnation en 2004. Une fois son immunité présidentielle levée, il sera également condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis.

La rivalité RPR / UDF (regroupement des partis du centre) est attisée par le couple « infernal » Marie-France Garaud et Pierre Juillet qui conseille Jacques Chirac. Il se séparera d’eux en 1979 à l’instigation de sa femme suite à une crise sur l’Europe qui s’était ouverte lors de « l’appel de Cochin » : hospitalisé après un accident de voiture, fin 1978, il lance un appel écrit par les deux conseillers dans lequel il accuse VGE et l’UDF d’être le parti de l’étranger, d’agir pour un fédéralisme européen et non plus pour la France. Sa prise de position crée de vives tensions au RPR  dont la liste aux européennes de 1979 arrive en quatrième position, alors que celle de l’UDF emmenée par Simone Veil obtient le meilleur score.

 

L’élection présidentielle de 1981

Sa place au sein du RPR n’en sort pas renforcée, mais il décide quand même de se présenter à l’élection présidentielle de 1981. Coup de théâtre idéologique : il abandonne le travaillisme à la française au profit d’un programme de baisses d’impôt (comme Ronald Reagan) et dénonce le « collectivisme rampant » du gouvernement de VGE ! Il obtient 18 % des voix au premier tour contre 28,3 % pour VGE et 25,9 % pour Mitterrand. Pour le second tour, suite à un dîner chez la socialiste Édith Cresson, il indique qu’il votera pour le président sortant mais préconise à chacun de « voter selon sa conscience. » Le message manque de conviction (trahison ?) et on lui fera porter longtemps la responsabilité de l’échec de VGE.

Malgré cela, Jacques Chirac prend la tête de l’opposition à Mitterrand et confirme son virage libéral entamé pendant la campagne présidentielle. La gauche perd les élections intermédiaires, la droite se présente unie aux législatives de 1986 et l’emporte avec 41 % des voix et 291 sièges à l’Assemblée soit deux de plus que la majorité absolue (le nombre total de députés est passé à 577).

Jacques Chirac devient à nouveau Premier ministre, dans la configuration inédite d’une cohabitation avec un président socialiste, et met en place une politique économique libérale. Cette étape sera détaillée dans l’article suivant.

 

Des relations exécrables avec Mitterrand

Les résultats économiques commencent à se faire sentir (baisse de l’inflation, légère inflexion du chômage, dynamisme de l’investissement, taux de croissance qui atteint 4,5 % en 1988) mais les relations avec François Mitterrand sont exécrables. Ce dernier critique ouvertement Chirac et commence à instiller une lassitude dans l’opinion. Elle culminera chez les jeunes qui manifestent contre la loi Devaquet (réforme de l’enseignement supérieur) avec la mort de Malik Oussekine, étudiant tué par des policiers.

À nouveau, Jacques Chirac annonce son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 1988. Il affronte François Mitterrand qui vient de bénéficier grâce à lui d’une sorte de virginité politique et qui est réélu avec le beau score de 54 % après un débat d’entre-deux tours particulièrement électrique. Petite consolation, aux législatives qui suivent, en juin 1988, Chirac est réélu député de Corrèze au premier tour avec 58 % des voix.

 

La trahison de Balladur

En 1993, le schéma de 1986 se reproduit. Le gouvernement de gauche est à nouveau en difficulté, le chômage caracole et la droite remporte les élections législatives. Bien conscient du danger qu’il y a à conduire l’exécutif avant de postuler pour l’élection présidentielle, Jacques Chirac laisse la place de Premier ministre à Édouard Balladur, étant entendu que c’est lui, Chirac, qui sera le candidat présidentiel en 1995. Mais Balladur décide finalement de se présenter aussi car sa popularité est élevée. Trahison ! C’est la cassure au sein de la droite. Sarkozy rejoint Balladur, tandis que Juppé reste fidèle à Jacques Chirac.

Ce dernier, faisant campagne sur la « fracture sociale » (vidéo) théorisée par Emmanuel Todd, et adoptant une communication qui le rend plus proche des gens, moins énarque (il est conseillé en ce domaine par sa fille Claude), est élu Président de la République en 1995 avec 52,64 % des voix.

 

L’échec d’Alain Juppé

Très vite il va connaître lui aussi le sort de la cohabitation. Le gouvernement d’Alain Juppé échoue à réformer les retraites du secteur public et doit faire face à des grèves très importantes pendant l’hiver 1995 -1996. Le président annonce lui-même le retrait de la réforme à la télévision, portant un coup fatal à ses capacités et à celles de Juppé de réformer la France. Pensant sans doute conjurer le mauvais sort, Chirac (conseillé par Villepin, dit-on) dissout l’Assemblée un an avant sa date normale de reconduction et provoque des législatives anticipées, en 1997, qui redonnent la majorité à la gauche. Lionel Jospin, qui avait été le candidat du PS en 1995, devient Premier ministre pendant 5 ans et met en place les 35 heures.

En 2002, la gauche est usée et le Front national gagne du terrain sur les thèmes de l’insécurité et de l’immigration. Jospin est éliminé dès le premier tour de la présidentielle, laissant à Jacques Chirac la possibilité d’être réélu avec un score massif de 80 % face à Jean-Marie Le Pen. Ce second mandat, un quinquennat depuis la réforme de la Constitution de 2000, se signale surtout par son immobilisme et une attention exagérée donnée au principe de précaution en toute chose.

Malgré sa dédication au projet européen, qui tranche avec les préventions qui étaient les siennes à l’époque de l’appel de Cochin, Jacques Chirac échouera à convaincre les Français d’adopter par référendum le Traité constitutionnel européen (TCE) préparé par son ennemi d’alors, Valéry Giscard d’Estaing (2005).

Deux petites lumières brilleront cependant : le refus d’engager la France dans une guerre contre l’Irak en 2003, et le projet de grand musée des arts premiers au quai Branly en 2006.

Ces sujets, quelques autres, et le tournant libéral de 1986-1988 seront abordés de façon plus détaillée dans le prochain article, Les années Chirac (II).

Sur le web

  1. Les dernières législatives dataient de 1973 et avaient donné 184 sièges à l’UDR (311 pour la majorité présidentielle et le centre) et 177 à la gauche (488 députés au total à l’époque contre 577 aujourd’hui).
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  • C’est l’exemple type du politique dont les Français ne veulent plus. Prêt à profiter de ses semblables et les combattre ensuite ; prêt à sacrifier la République en offrant la gouvernance à la gauche socialiste. Il s’est fait avoir par plus roublard que lui alors qu’il souhaitait que le « meilleur d’entre nous » poursuivre son oeuvre…sans parler de l’erreur du quinquennat qui asservit l’Assemblée nationale pour la durée du mandat, la même pour les deux institutions. Je ne retiens que ses bourdes.

  • Un homme politique d’un autre temps, brillant dans son instinct de tueur et son appétit du pouvoir, sympathique, et franchouillard. C’est à dire qu’il avait son caractère, et qu’il pouvait faire des conneries. Casseroles, trahisons, dissolution de l’assemblée, suppression du service militaire obligatoire, passage au quinquennat (erreur historique qui gangrène la Ve République)… Tout comme il lui restait un peu de sens « Gaullien », lors de l’invasion de l’Irak, ou de son « What do you want » célèbre.
    Un personnage marquant du passé.

  • Nous devons avoir à peu près le même âge parce que je partage les mêmes souvenirs…
    Pour finir son bilan est très maigre. 🙁 Et son parcours à l’image d’une bonne partie de notre personnel politique.
    La dissolution de 1997 et le retour des socialos, m’a mis dans l’avion vers des cieux plus cléments. Mon seul regret est de ne pas avoir mis les voiles beaucoup plus tôt.

  • Un grand roi fainéant de plus qui a laissé la France continuer à sombrer après la terrible période ‘Mitterandique’.

  • Un seul mot : vite qu’on l’enterre , ces gens là auront fait mal à notre pays et continuent à nous coûter une fortune , une honte absolue !

  • il est gentil l article. Chirac s est largement paye sur la bete a la mairie de paris. c etait pas uniquement du financement politique
    Ca lui serait pardonne si au moins une fois au pouvoir il avait oeuvre pour le bien de la france.
    Mias meme l article ne cite en positif que une non action (la non participation a l attaque de l irak)
    Chirac etait un politicien pret a tout pour se faire elire (il n y a qu a voir ses positions : nationaliste, puzis admirateur de tatcher, puis fracture sociale pour finir en pepere rad-soc)

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