Idéologie ou pragmatisme ? Deux manières de penser l’avenir

Quelles sont les grandes conceptions de l’avenir qui habitent aujourd’hui l’esprit de l’Homo sapiens ?

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Idéologie ou pragmatisme ? Deux manières de penser l’avenir

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Publié le 6 septembre 2016
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Par Patrick Aulnas.

Idéologie ou pragmatisme ? Deux manières de penser l'avenir
By: Tom TakerCC BY 2.0

À l’heure où des fondamentalistes tentent de nous imposer par la violence leur vision étriquée d’un avenir d’esclaves, il est bon de s’interroger sur notre manière d’envisager le futur. Quelles sont les grandes conceptions de l’avenir qui habitent aujourd’hui l’esprit de l’Homo sapiens ? Pas l’esprit des intellectuels, des universitaires spécialisés dans un domaine ou des philosophes. Non, l’esprit du vulgum pecus, le mien, le vôtre. Il n’en existe que deux principales.

La première est socio-politique et idéologique. La seconde est technologique et pragmatique.

L’avenir normatif des religions et idéologies

La perception idéologique de l’avenir provient de l’adhésion à un dogme religieux ou idéologique. Les écologistes, les socialistes, les communistes, et même certains libéraux, peuvent être considérés comme les adeptes d’une idéologie. Ils perçoivent en effet l’avenir comme un projet politique à mettre en œuvre. Pour les plus actifs, cela se traduit par le militantisme. La gauche est plus représentée que la droite dans le domaine idéologique depuis que les sordides idéologies fascistes et nazies ont été vaincues. Mais certains nationalistes particulièrement bornés voient le futur comme une cathédrale étatique dans laquelle on pourrait ad vitam aeternam entonner l’hymne de la glorification de la nation et de ses institutions.

L’avenir socialiste est perçu comme égalitaire et solidariste sous la houlette d’un État omniprésent. Selon la doxa, seul le politique peut en effet entraver les dérives de l’individualisme. Les socialistes pensent donc depuis toujours que prétendre « ne pas faire de politique », c’est être de droite, c’est-à-dire un opposant. La politique est une obligation morale pour atteindre l’eden socialiste.

Le futur écologiste n’est pas toujours bien perçu par le grand public qui se cantonne souvent à l’idée de protection de la nature. Les adorateurs de Gaia se méfient surtout de la technique. L’un de leurs maîtres penseurs est Jacques Ellul (1912-1994), grand intellectuel peu connu en France mais réputé aux États-Unis. Pour Ellul, la technique s’est autonomisée dans le courant du XXe siècle, elle s’est détachée de la nature pour constituer le véritable environnement de l’homme. L’homme sacralisant son environnement, il sacralise désormais la technique sans se rendre compte qu’il appartient toujours à la nature.

La technique englobe les capacités organisationnelles de l’être humain. Elle n’est pas réductible au machinisme. L’avenir écologiste se différencie de l’avenir socialiste sur ce point précis. Les socialistes restent en général partisans du productivisme technologique alors que les écologistes rêvent d’une croissance zéro par l’intermédiaire d’un État puissamment régulateur.

Les adeptes d’une religion ont une conception très variable de l’avenir. Entre les fondamentalistes islamistes, qui l’envisagent comme une dictature régressive, et le protestantisme progressiste des pays nordiques, il n’y a pas grand-chose de commun. Sinon la croyance en la transcendance et la distinction entre le matériel et le spirituel, le corps et l’âme, pour reprendre le vocabulaire d’antan. L’âme est éternelle, notre vie terrestre n’est donc qu’un passage. Un croyant est porté à relativiser l’importance de ce qui se passe ici-bas, tout en disposant d’une éthique de vie préconisée par les institutions religieuses. La dérive vers le fondamentalisme ou l’intégrisme, phénomène marginal mais parfois violent, relève du politique : il s’agit simplement d’imposer un modèle de société archaïque et autoritaire.

Les conceptions religieuse et idéologique du futur reposent ainsi sur une pensée qui dessine un avenir théorique à fondement éthique ou spirituel. Les idéologies sont des religions sans dieu. Croyants et idéologues ont une conception normative du devenir de l’homme, qui dépend des règles que celui-ci s’impose. Le volontarisme de l’homme passe donc chez eux par la norme. Le point commun entre toutes ces conceptions est la prétention de connaître a priori l’avenir souhaitable. Normativité oblige : l’homme sait où se situe le bien et cherche à l’imposer par des règles.

La grande faiblesse de cette approche réside dans la propension à fixer l’histoire, à arrêter le temps. La société sans classes des marxistes en est l’exemple emblématique. Si cette idée nous paraît aujourd’hui naïve et presque ridicule, elle suscitait encore voici quelques décennies l’enthousiasme de certains. Mais les monothéismes actuels ne sont pas en reste dans ce domaine. Les fondamentalistes islamistes veulent arrêter le temps au VIIe siècle, celui de leur prophète Mahomet, ce qui justifie à leurs yeux les massacres les plus horribles. Les intégristes catholiques estiment que le mariage, tel qu’il s’est pratiqué depuis deux millénaires, représente le dernier mot de l’histoire. Ou encore que la procréation humaine doit rester pour l’éternité des temps celle des mammifères.

L’avenir pragmatique des sciences et techniques

La conception technologique et pragmatique de l’avenir repose sur une constatation pratique. Depuis l’aube de l’humanité, ce sont les connaissances acquises qui modifient la condition humaine. L’Homo sapiens apparaît après plusieurs autres types d’hominidés (Homo erectus, Homo neanderthalensis, etc.). Mais alors que ses prédécesseurs avaient peu évolué en plusieurs millions d’années, il parvient en quelques dizaines de milliers d’années à supplanter toutes les autres espèces et à plier son environnement terrestre à sa volonté. C’est l’intelligence, la capacité de conceptualiser qui le singularise.

L’Homo sapiens utilise cette intelligence pour comprendre et agir (science et technique) mais aussi pour tenter de construire un récit de son devenir (religions et idéologies). Les religions font appel à la transcendance. Pour les dernières religions apparues (monothéismes), sapiens imagine l’existence d’un être tout puissant et infiniment bon qui régirait l’univers. En croyant en ce dieu, il s’offre une certaine sécurité, un relatif confort moral et intellectuel.

Les idéologues sont beaucoup moins habiles que les prophètes qui créent les religions. Ils s’imaginent pouvoir fournir une explication globale avec leur raison. Il faut évidemment être un peu stupide pour adhérer à une idéologie puisque l’intelligence humaine n’est capable que de découvertes très partielles et très progressives. Mais le besoin de croire des hommes est tel que les idéologies ont parfois rencontré un succès temporaire, pour le plus grand malheur de l’humanité.

Dans cette conception de l’avenir, l’essentiel se situe donc dans le domaine scientifique. La science construit pas à pas et très pragmatiquement un ensemble cognitif de plus en plus puissant qui semble améliorer peu à peu la condition humaine. La nourriture devient abondante, l’espérance de vie s’allonge, la capacité d’action est démultipliée, l’espèce humaine se globalise alors qu’elle vivait en petites tribus, puis en cités, puis en États généralement ennemis. Rien de sérieux ne peut être dit sur l’avenir à une exception près : il dépendra de l’évolution de nos capacités scientifiques et techniques. Ce ne sont ni les religions, ni les idéologies qui le détermineront mais tout simplement le savoir-faire accumulé avec patience et ténacité. Le volontarisme de l’homme passe ici par la conquête de la connaissance.

Le postulat de cette vision de l’avenir est donc inverse du précédent : l’homme considère qu’il ne sait pas mais qu’il doit découvrir par son intelligence. L’avenir est une aventure, une terra incognita à explorer. Voilà bien la grande force de cette approche : rien n’est a priori impossible, l’avenir est ouvert et n’a pas à ressembler à un schéma préétabli. Tout peut être tenté dans la limite des possibilités de l’intelligence humaine et seule l’expérimentation pragmatique peut décider du positif et du négatif.

Évidemment, cette conception suppose un certain optimisme. Il faut parier qu’Homo sapiens n’est pas suicidaire et qu’il ne travaille pas à s’autodétruire. Cela va de soi, sauf pour quelques idéologues comme les écologistes. Par contre, l’homme en devenant de plus en plus puissant peut commettre des erreurs de plus en plus graves. Là encore, on peut raisonnablement penser que face à un désastre, par exemple environnemental, son intelligence le conduira à s’adapter et à redresser progressivement la situation. Rien de plus puissant que ce pragmatisme de l’espèce humaine qui, constatant une réalité tangible, recherche des solutions pratiques. Rien de plus dangereux que les maîtres penseurs de la globalité qui proposent des solutions clés en mains pour l’éternité des temps. Elles débouchent toujours sur la servitude.

Pas d’antinomie, beaucoup d’incertitude

Ces deux visions de l’avenir sont-elles antinomiques ? Pour les imbéciles des deux camps, sans aucun doute. Pour les hommes de bonne volonté, nullement. Rien de tout cela n’étant certain – nous sommes dans la spéculation – il est fortement conseillé d’écouter l’autre, de tenter de le comprendre, de relativiser sa propre approche. La sensibilité joue autant que l’intelligence et elle doit conduire à l’empathie.

La recherche scientifique est d’ailleurs pilotée en fonction de considérations politiques, militaires ou économiques qui reposent souvent sur des idéologies ou religions. Cela ne lui enlève rien de son autonomie interne par rapport à ces systèmes de valeurs précaires sur le très long terme.

Reconnaissons cependant qu’idéologies et religions ont toujours porté de petites minorités vers l’extrémisme. C’est une constante historique. Sachez-le ! Vous aurez toujours en face de vous quelques primates qui se posent en adversaires, voire en ennemis. De ce point de vue, notre époque n’est pas différente des précédentes.

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  • En complément, et pour éclairer le débat sur le rapport entre religion et idéologie, on peut considérer les différents sens du verbe « croire ».
    « Croire que » dit l’adhésion à une vérité: on croit que la terre est ronde ou les propos d’un journaliste. Cette adhésion suppose une vérification ou une certaine confiance en celui qui affirme une vérité.
    « Croire en des valeurs » se situe à un autre niveau de croyance. Il s’agit d’une adhésion qui implique, qui change éventuellement le comportement: on croit par exemple à la tolérance ou à la liberté.
    « Croire en quelqu’un » va bien au-delà de ces deux sens premiers de « croire ». Croire en quelqu’un, c’est accepter de vivre une relation, c’est lui faire confiance, compter sur lui et avec lui. Fides, foi. Tout l’être est concerné par ce dernier sens du verbe « croire ». Ainsi en est-il de la foi en Dieu.
    Mais en quel Dieu? C’est là que la première et la deuxième acception du verbe croire donnent des repères sur qui est Dieu et les conséquences de la foi dans la vie du croyant. Ces repères attirent l’attention du non-croyant, mais ils ne sont rien sans la relation à Dieu qui les porte. C’est même quand cette relation est oubliée que la dérive idéologique se présente. C’est toujours un risque.
    La foi chrétienne n’y a pas toujours échappé. Mais en se référant à un Dieu qui, prenant la route des hommes, a traduit dans la vie réelle ce que devait être la relation à Dieu, elle induit normalement un pragmatisme et un discernement ancré dans le réel: celui qui dit « j’aime Dieu » et qui n’aime pas son frère, est un menteur. (St Jean).
    Pour conclure, il me semble que la foi n’exclut pas la raison, ni l’analyse intelligente du réel. Elle doit l’éclairer au contraire dans la mesure où, le seul absolu étant Dieu, l’homme n’est pas Dieu, et donc les tentations totalitaires sont exclues de la démarche de foi. A l’exemple des grands totalitarismes du siècle dernier, à chaque fois que l’homme se prend pour Dieu, ou qu’il absolutise ses idées, cela conduit à des catastrophes.
    Il y a des non-croyants idéologues et des non-croyants pragmatiques, c’est ce que souligne votre article.
    Et il y a des croyants humbles et des croyants idéologues.
    Puisse l’avenir se construire avec les humbles, les pragmatiques, qu’ils soient croyants ou non!

  • 1. « Les écologistes, les socialistes, les communistes, et même certains libéraux, peuvent être considérés comme les adeptes d’une idéologie. Ils perçoivent en effet l’avenir comme un projet politique à mettre en œuvre. ».

    Contrairement aux autres, les libéraux ne veulent pas mettre en oeuvre un projet politique. Leur seule revendication consiste précisément à demander que les autres cessent de vouloir imposer des projets politiques et qu’on laisse les individus s’organiser comme ils le veulent. Les libéraux n’ont pas de projet politique, ils veulent que chacun puisse s’organiser selon son propre projet.

    C’est la raison pour laquelle des auteurs comme par exemple Karl Schmitt ont considéré que le libéralisme était apolitique.

    2. « La gauche est plus représentée que la droite dans le domaine idéologique depuis que les sordides idéologies fascistes et nazies ont été vaincues ».

    Droite ou gauche est une dichotomie qui n’a que peu de sens, mais si on devait classer le fascisme ou le nazisme sur ces deux pôles, en tant que variantes du socialisme, doctrines générées par des gens qui se revendiquaient socialistes, le moins qu’on puisse dire c’est qu’on doit au moins autant les classer à gauche qu’à droite, si ce n’est plus.

    Je me suis arrêté de lire là, tellement ce que dit l’auteur relève du réductionnisme intellectuel ou est tout simplement ridicule.

  • Propos manichéen ne s’appliquant pas à lui-même les conseils distillés de façon relativement méprisante (« imbéciles », « primates »…) à ceux qui ne partagent pas ce point de vue. Pensée très matérialiste, positiviste et scientiste même, qui fait fi de la loi naturelle (le jusnaturalisme), semblant épouser les plus inquiétantes thèses transhumanistes…

  • Je ne sais plus qui a dit qu’un homme de droite était un homme de gauche qui avait perdu ses illusions sur la nature humaine. Le fond du problème est là, et la classification qui nous est présentée par l’auteur revient à déterminer qui a gardé ses illusions en la matière, qui ne les a jamais eues, qui les a perdues. On pourrait ajouter qui ne les avait pas et a fini par les avoir, pour compléter logiquement cette taxonomie, mais je ne crois pas avoir jamais rencontré un individu répondant à ce classement.

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