Heidegger ignorait les sciences et méprisait la pensée judéo-chrétienne

Claude Tresmontant a parfaitement identifié chez Martin Heidegger deux des grands maux de la philosophie moderne et contemporaine.

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Heidegger ignorait les sciences et méprisait la pensée judéo-chrétienne

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 juillet 2016
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Par Damien Theillier.

By: Renaud CamusCC BY 2.0

Claude Tresmontant, comme on le lira dans les extraits ci-dessous, a parfaitement identifié chez Heidegger deux des grands maux de la philosophie moderne et contemporaine. Je reprendrai ces deux maux pour les exposer et j’en ajouterai un troisième.

Heidegger, incarnation des maux de la philosophie moderne

L’ignorance des sciences de la natures est le premier de ces maux. Martin Heidegger (1889 -1976), comme son maître Nietzsche, professe un mépris souverain pour les sciences expérimentales. Il croit que la philosophie se construit sans base objective, à partir de rien, a priori. Il pense pouvoir traiter de l’être et du temps, de la liberté de l’homme dans le monde, sans tenir compte des grandes découvertes de l’astrophysique, de la biologie, de la neurophysiologie. Or les connaissances expérimentales modernes concernant l’Univers, la nature et son histoire doivent former la base de toute recherche philosophique qui se veut rigoureuse et réaliste. Sans quoi on peut raconter tout et n’importe quoi, en toute impunité. Il suffit, comme Heidegger, d’inventer un pseudo-vocabulaire ésotérique pour se faire ensuite passer pour un grand penseur que tout le monde admire. Dans le même ordre d’idées, on trouvera aussi chez Heidegger un mépris absolu pour la technique, conséquence de son mépris pour les sciences. C’est une forme subtile de platonisme masquée sous une apparence de pensée novatrice.

Ensuite, le mépris pour la pensée judéo-chrétienne est le second des maux de la philosophie moderne et contemporaine. Comme le dit Tresmontant, Heidegger ignore délibérément et systématiquement la pensée des Hébreux, la pensée biblique. Il n’y a de pensée véritable, à ses yeux, que la pensée grecque et allemande. Cela peut paraître étonnant mais c’est l’une des raisons profondes, métaphysique, de l’antilibéralisme viscéral de Heidegger et de ses disciples. Expliquons.

En effet, l’histoire de la pensée occidentale, comme je le montre chaque année à mes élèves, est l’histoire d’un conflit entre deux grandes visions du monde : la vision hellénique et la vision biblique. Pour les Grecs, l’Univers est divin, les astres sont divins, la Nature est divine, l’Univers est incréé, suffisant, éternel dans le passé, éternel dans l’avenir, sans genèse, sans commencement, sans usure, sans vieillissement, cyclique. Au contraire, dans la vision hébraïque du monde, telle qu’elle apparaît dans la Bible, l’Univers n’est pas divin, il n’est pas l’Être absolu, il a commencé et il se terminera, il n’est pas cyclique. D’où la désacralisation qui en résulte, tant de la nature que du pouvoir, que de la nation.

Les effets éthiques et politiques de ces deux visions du monde sont radicalement différents. Pour les Grecs (je mets Aristote un peu à part pour sa critique judicieuse de Platon), la cité doit être gouvernée par le haut de façon autoritaire, chacun étant à la place que lui destine la nature. L’ordre du monde étant immuable, l’ordre de la cité est immuable. L’individu n’existe pas, seul existe le corps politique, seul existe le Tout. Au contraire, dans la pensée biblique, comme l’a bien montré Marcel Gauchet dans son livre Le désenchantement du monde : Une histoire politique de la religion, il y a une dissociation de l’ici-bas et de l’Au-delà qui rend possible aussi bien l’autonomie que le progrès. Cette dualité, du monde matériel et du monde divin, qui découle de la doctrine de la création, est la condition de la liberté comme de la responsabilité individuelle. Désormais il y a place pour la contestation, pour l’innovation, pour l’historicité et donc pour l’individualité. On change de paradigme, on entre dans la modernité. C’est d’ailleurs cette doctrine de la création qui ouvre un champ libre pour le développement des sciences et des techniques mais aussi du commerce comme alternative à la guerre.

Personnellement, j’ajouterais une troisième caractéristique, typique de la pensée de Heidegger et de toute la philosophie moderne et contemporaine : la détestation de l’économie politique. Cette détestation est le symptôme d’une forme de pensée adolescente, qui refuse le réel, et qui le récuse comme un obstacle à ses désirs. C’est aussi la conséquence des deux premiers maux : mépris pour les sciences, mépris pour la pensée biblique (qui permet de penser l’autonomie de la science économique).

On trouvera ce symptôme « adolescentrique » également chez Carl Schmitt, son alter ego, comme chez Sartre et tous les autres. Si Heidegger et Schmitt ont pu adhérer au nazisme, c’est bien parce que leur ignorance abyssale des réalités économiques les prédisposait à devenir socialistes, nationalistes certes, mais socialistes tout de même. C’est d’ailleurs un symptôme fort répandu chez certains penseurs catholiques, qu’ils soient maurassiens ou heideggeriens et c’est encore une source de leur anti-libéralisme obsessionnel.

Heidegger associait les Juifs à « l’esprit de calcul » et les rendait coupables de tous les maux de l’Allemagne. On comprend pourquoi il ne devait pas aimer non plus l’économie, elle qui prend pour hypothèse de base de ses recherches, la faculté de l’homme à calculer son intérêt, à réagir aux incitations… Trop trivial, trop humain !

Extraits de Claude Tresmontant, Problèmes de notre temps, 1991

 

1° Heidegger et l’ignorance des sciences

« Les vieux systèmes gnostiques nous racontaient que l’Homme est tombé dans l’Univers. Le philosophe allemand Martin Heidegger a repris ce thème de la Geworfenheit, le fait d’être jeté dans le Monde.
— Si l’on analyse d’une manière rationnelle la question posée par l’existence de l’Homme dans l’Univers, alors on découvre que l’Homme n’est pas plus tombé dans l’Univers que la pomme n’est tombée dans le pommier. L’Univers, pendant quelque vingt milliards d’années, prépare l’apparition d’un être capable de le penser. Toute l’histoire antérieure de l’Univers est nécessaire pour comprendre l’apparition de l’Homme.
Le malheur de la philosophie contemporaine, c’est que, généralement, elle ignore ou néglige les grandes découvertes de l’astrophysique, de la physique, de la biologie, de la neurophysiologie. Ainsi elle passe à côté des problèmes métaphysiques qui s’imposent avec évidence à l’intelligence humaine en cette fin du XXe siècle. 

« Heidegger raconte, Introduction à la Métaphysique, 1935, édition allemande p. 64 : « Il n’y a pas de Temps, lorsqu’il n’y avait pas d’Homme » ! — Il aurait fallu demander au philosophe allemand ce qu’il faisait des vingt milliards d’années qui ont précédé l’apparition de l’Homme : toute l’histoire de la Cosmogénèse, de la formation de la Matière, et de la Biogenèse, l’Histoire naturelle des espèces vivantes. Voilà un philosophe qui n’a aucune idée de ce qu’a été l’histoire naturelle de l’Univers avant l’apparition de l’Homme, qui est un événement tout à fait récent. Ses disciples de langue française sont apparemment dans le même cas.

« La philosophie française contemporaine est en très grande majorité fondée sur l’explication de textes, et les auteurs préférés, par exemple Nietzsche ou Heidegger, sont des auteurs qui non seulement n’avaient aucune formation scientifique, mais qui proclament hautement qu’à leurs yeux les sciences expérimentales ne doivent pas être le fondement ni le point de départ de l’analyse philosophique. Leurs disciples et commentateurs, bien entendu, font de même. Les étudiants de ces disciples sont partis dans la même direction. C’est ce qui explique, pensons-nous, l’irrationalisme et le mépris des sciences expérimentales chez les philosophes contemporains qui sont les plus connus, qui font le plus parler de leurs œuvres. C’est ce qui explique surtout l’abîme qui existe entre l’espèce humaine constituée par les savants, et l’espèce constituée par les philosophes régnants. C’est peu dire qu’il n’existe plus de dialogue entre eux.»

2° Heidegger et le mépris pour la pensée judéo-chrétienne

« Le National-socialisme allemand est une résurgence du vieux fond païen de l’Allemagne païenne. Le fond de l’Être, c’est la Guerre, la Tragédie. L’absolu, la Divinité a besoin de la Tragédie et de la Guerre pour se réaliser, pour prendre conscience de soi. L’Absolu est en devenir, en genèse et cette genèse est une genèse tragique.
Comme l’a dit un jour Goethe : L’honneur de la vieille Allemagne a toujours été de haïr le christianisme.
La haine du christianisme et la haine du judaïsme — c’est la même haine — se voient en effet dans le développement de la pensée allemande depuis Fichte jusqu’à Nietzsche et Heidegger. Ce qui est tout particulièrement objet d’exécration, c’est l’idée que le Monde n’est pas divin ; que la Nature n’est pas divine ; que l’État, la Nation, ne sont pas divins. C’est la distinction entre l’Absolu et le monde.
Le propre du paganisme, ce n’est pas de supprimer ou d’abolir le Sacré. Bien au contraire, le propre du paganisme c’est de mettre le Sacré partout. Le propre du monothéisme, c’est de désacraliser l’Univers, et la Nature, et la Nation, et l’État, et le Führer.
Il est bien normal que les Césars haïssent le monothéisme hébreu. Ils l’ont montré dans les premiers siècles de notre ère, avec les empereurs romains que l’on a appelés les philosophes. Et on l’a vu avec le Maître du Troisième Reich. Ce fut une haine mortelle.
Le National-socialisme allemand, c’est-à-dire le nationalisme dit socialiste allemand, est fondé sur un Grund, sur un fond originel, qui est le vieux paganisme germanique : la Nature éternelle et divine ; la Guerre ; la naissance des dieux… Tout Wagner.

On a beaucoup discuté de la question de savoir si Martin Heidegger était antisémite ou non. Nous avons observé dans une chronique antérieure qu’en toute hypothèse l’expression antisémitisme est mal venue, tout simplement parce que les Arabes, les Syriens, etc., sont eux aussi des Sémites. Il faut appeler un chat un chat. Et donc si l’on veut parler de l’exécration du peuple hébreu, il faut trouver un terme précis. Pour Martin Heidegger, la bonne pensée, c’est la pensée qui provient des plus anciens métaphysiciens grecs, Parménide et Héraclite La mauvaise pensée, c’est la pensée qui provient des Hébreux, des Judéens et des chrétiens. Heidegger pense sur ce point exactement comme Fichte ou Schopenhauer ou Nietzsche. Il s’agit donc d’un antijudaïsme.»

À lire pour compléter :

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  • C’est en effet typique de la philosophie continentale de vouloir définir Dieu, pour finalement toujours l’assimiler à l’ego, d’une façon ou d’une autre.

    L’idée d’une différentiation entre l’humain et le divin leur est insupportable et incompréhensible : la pensée est inée chez eux : ils pensent donc ils ont le droit de tout, ils sont et cela leur ouvre un pouvoir divin.

    Toute la pensée continentale est un culte païen de l’ego, de la pensée pure déconnectée du réel et de la réalité, une fascination pour la raison et la rhétorique, pour les mots et le reflet narcissique qui met en valeur la pensée de l’auteur.

  • Intéressant, j’aurais apprécié un plus long développement sur la pensée grecque cependant, dans un prochain article ?

  • Bonjour,

    Les civilisations se composent de strates historiques, avec certes des ruptures mais aussi des transitions. Il y a eu de nombreux échanges entre les traditions bibliques, helléniques et germaniques. Dans cette optique, on peut voir le courant heideggérien comme le développement d’une problématique spécifique, axée sur l’ontologie face à la modernité. En ce sens, on retrouve effectivement des éléments qui accréditent l’idée selon laquelle il serait encore plus exact de dire que pensée heideggérienne, sciences et culture judéo-chrétienne se méprisent mutuellement ou, tout du moins, développent leurs propres thèses de manière indépendante, bien que ce constat s’impose déjà moins facilement chez Sartre, marqué par des influences plus composites.

    L’ignorance et le mépris de la science évoluent, dans la philosophie, entre leur superposition et le glissement sémantique de l’une vers l’autre. L’ignorance ne se veut pas toujours synonyme de mépris. Le parti pris d’écarter scientificité comme technicité offre à la réflexion le loisir de se construire en fonction de mécanismes logiques, dans une recherche articulée autour des caractéristiques propres à la philosophie, exception faite de l’épistémologie par nature engagée dans le dialogue avec les autres domaines du savoir. Cette dissociation, quitte à servir de préambule à une interdisciplinarité qui interviendrait après coup, a le mérite de rappeler qu’il existe des différences, potentiellement constructives, entre expérience (au sens à la fois empirique et expérimental du terme), facultés psychologiques et discursivité.

    L’un des écueils, d’un côté comme de l’autre, reste le déni: déni du vécu dans le cas des partisans de la science infuse, certes, mais aussi déni de la pertinence de la critique philosophique dans le cas des scientistes qui, au-delà de convictions, s’attachent davantage à la défense contingente de liens relationnels, d’affinités de caste et d’intérêts corporatistes. Poser a priori la liberté de l’individu, soit la faculté d’une unité de conscience à opérer des choix, revient à inclure la décision de mettre en doute non seulement ce dont une certaine modernité a voulu faire table rase, sur le plan politique comme sur le plan religieux, mais aussi ce que cette même modernité aurait cherché à imposer au détriment, précisément, de la possibilité laissée à chacun de suivre des directions différentes. Tout paradigme, même libéral selon sa propre terminologie, possède des tendances totalitaires.

    Bien sûr il serait dommage, au bout du compte, de se priver de l’apport des diverses spécialités du savoir, qu’il s’agisse de la vie ou de l’univers. Cependant, il serait aussi réducteur, dans la direction opposée, d’écarter radicalement toute démarche métaphysique. Dans l’entre-deux jaillit la richesse des hypothèses. Il serait encore pire, car liberticide au regard de la liberté, d’attenter au droit fondamental de tout sujet responsable de porter un regard sceptique voire contradictoire sur les prétendues autorités compétentes du monde moderne, diagnostics et prescriptions d’institutions savantes qui, quand elles daignent rompre le silence de leur propre rétention politicienne pour communiquer, n’acceptent pas que le grand public aille dans un sens contraire à leurs conclusions, dont on connaît pourtant le caractère provisoire et sujet à caution. Quand des chercheurs diplômés trichent dans leurs relevés de données avec l’aval de leur direction, ces mêmes chercheurs dévoyés n’ont besoin que de leur propre vacuité pour « raconter tout et n’importe quoi, en toute impunité ».

    L’intérêt du débat se résume au rapport entre aspirations réactionnaires et lucidité sur le mouvement historique, dans la mesure où les auteurs concernés savent depuis le début que l’orientation érudite de l’université tend à s’effacer au profit d’une mouvance technocratique. Il en résulte que leurs détracteurs ne peuvent leur reprocher à la fois de mépriser la technique et de méconnaître leur époque. Ils méprisent l’une parce qu’ils connaissent l’autre, même si les bases subjectives de leur argumentation les amène à porter, sur la contemporanéité, un regard qui les singularise, et même s’ils ne peuvent, techniquement, prétendre à une expertise. D’où une polysémie de la subjectivité, englobant sujets de l’ancien temps, et donc ferveur mythologique, ainsi que sujets des temps modernes, et donc réflexivité de la solitude. La phénoménologie occuperait la béance de cet espace paradoxal, sans pour autant remédier à toutes les pertes. De son côté, la physique, on le voit, oscille entre finesse dans son appréhension de la complexité, et naïveté voire malhonnêteté lorsqu’elle bascule dans la physique théorique, correspondant à la dénégation spéculative de l’invérifiable érigé en dogme.

    Il n’y a pas, en l’occurrence, de synthèse probable ni souhaitable lorsque la neutralisation de la discussion résulte d’un abus de consensus alors que le monde va mal. Et c’est d’autant plus vrai que la question de la coexistence n’a sans doute pas eu le temps de se poser comme elle aurait gagné à le faire. Sur les fondations anthropologiques d’un dialogue malheureusement violent ou de l’absence malheureuse de dialogue quand la violence l’emporte complètement, certains ont compris avec cynisme, depuis le second vingtième siècle jusqu’au premier vingt-et-unième inclus pour le moins, qu’il y avait un filon à exploiter, celui de la lutte contre les totalitarismes.

    C’est le crédo de l’alternance des républiques qui ont traversé la guerre froide, en masquant leur propre totalitarisme sous couvert de tolérance: totalitarisme antimonarchique, anticlérical, antirégionaliste, antinationaliste, anticommuniste et anti-écologiste. Immobilistes, leurs artisans politiques ont œuvré sans effort à la liquidation des leçons du passé, contribuant à expliquer pourquoi les partis de gauche, extrêmes ou non, sont aussi peu dignes de confiance que ceux de droite. La pertinence d’un certain libéralisme, tant ce mot engloberait tout et son contraire, ou de toute vision économiquement éclairée, libérale ou non, ne consisterait pas, dès lors, à s’aligner sur le discours politique dominant, mais au contraire à rejeter ses candidats de pacotille et la misère de leur bipartisme, aux Etats-Unis comme en France. Le rejet des partis politiques dans leur ensemble est un contrepoint honorable.

    La plus grave erreur du philosophe Heidegger a été de soutenir le parti nazi et, par conséquent, d’avoir orienté son oeuvre dans le sens d’une hostilité envers un peuple, le peuple juif. S’il avait fait preuve d’indépendance voire de défiance politique tout en ayant publié les mêmes ouvrages, l’image que le public aurait aujourd’hui de ses écrits et de ses engagements prendrait une autre dimension. L’inconséquence fondamentale de l’hitlérisme, en-deçà des civilisations, réside dans le décalage entre ses préoccupations identitaires ethniques et son acharnement à vouloir détruire l’identité ethnique d’autrui. La base de l’acte civilisé, c’est entre autre le respect de l’identité ethnique d’autrui comme de sa propre identité ethnique, car c’est à cette condition que l’on peut construire de solides rapports collectifs, ethniquement fondés, dans la durée. Sinon, c’est la guerre.

    Encore faut-il au préalable que, sur le plan des ressources vitales et donc matérielles, financières, économiques, chacun y trouve son compte, ce qui n’implique pas un quelconque égalitarisme, puisque riches et moins riches pourraient se contenter d’un système, hélas inexistant, qui assurerait des conditions de vie décentes partout, avec un accès au luxe réservé à certains. Quant au socialisme, pour condamnable qu’il soit dans sa veulerie et sa bassesse, il n’a jamais été étatiste, la précision requise ne consistant pas à se déclarer pour ou contre l’Etat, ni même pour ou contre plus ou moins d’Etat, mais à déterminer au cas par cas ce qui doit incomber à l’Etat et ce qui doit incomber aux marchés, avec un point de convergence dans l’exclusion du socialisme si l’on s’accorde pour reconnaître que tout ce qui entretient l’assistanat et les allocations (de santé, de logement, familiales, de chômage, de retraite) devrait disparaître au profit du plein emploi.

    Une interrogation, semble-t-il, toujours d’actualité, consiste à se demander si, dans des conditions économiques satisfaisantes pour tous les peuples, l’émergence d’un Hitler serait possible et s’il y aurait un Heidegger qui se fourvoierait en lui apportant son soutien. De mémoire historique, chaque fois qu’il y a génocide, il y a d’abord des problèmes économiques, vis-à-vis desquels d’aucuns se servent de l’argument identitaire comme d’un prétexte. C’est vrai aussi pour les religions. D’un point de vue rationnel, on ne sait pas si l’univers relève ou non de l’incréé car cette position demeure une affaire de croyance, ce qui laisse entrevoir une zone grise entre les écoles de pensée. Cette zone grise délimiterait, à l’instar de ce type d’interrogation, une sorte d’espace commun et, en tout cas, n’aboutirait pas fatalement au conflit en tant que tel, puisqu’à la possibilité du conflit s’ajouterait également celle de la résolution de la dissonance cognitive, comme dans toute zone grise ainsi définie: par exemple, féministe quand on admet que les femmes ont le droit de travailler et, dans le même temps, antiféministe quand on rejette l’aberration que constituent les théories du genre; ou encore, idéaliste en théorie et pragmatique en pratique, donc jamais cynique, car idéaliste en pratique autant que le pragmatisme le permet en théorie.

    Le corpus heideggérien ne brille pas, il est vrai, par son intérêt pour les sciences ni pour l’économie, ce qui n’enlève rien à son intérêt proprement philosophique, une fois écartée la dépréciation des Juifs, et tout en évitant de déprécier d’autres peuples à leur tour. Sa lecture se complète par d’autres lectures, comme l’autre complète l’être. De plus en plus, on entend des voix s’élever pour enrichir les formations professionnelles, scientifiques et techniques par des lectures philosophiques, plaidoyer en faveur d’un rapport plus éclairé au monde du travail, toujours en prise avec l’expérience vécue par l’individu, à la fois agent économique et singularité existentielle. Il y a bien d’autres auteurs, mais l’on ne saurait ignorer ceux qui, dans la continuité de Nietzsche, se lisent encore comme autant d’invitations à écouter sa propre voix intérieure de façon à trouver sa place dans le monde de manière authentique. Le réalisme n’exclut pas la combativité, dont le négoce, la meilleure arme, entraîne parfois la pacification, à condition d’être un bon manager, c’est-à-dire un homme d’action intelligent.

    (Merci à l’auteur de l’article d’accueillir mon commentaire. Les personnes souhaitant poursuivre cette discussion par mail sont priées de me joindre par le biais des formulaires de contact de mon site.)

  • Intéressant.

    « est l’histoire d’un conflit entre deux grandes visions du monde »
    Kant n’avait-il pas résolu ce conflit en stipulant de réserver les questions ayant pour but de savoir si Dieu existe ou non, si l’Univers est fini ou non, … au rang de croyances donc par essence indémontrable ? Donc d’utiliser notre temps de cerveau à savoir comment nous devions vivre ensemble de manière rationnel. D’où son dernier livre « Anthropologie d’un point de vue pragmatique ».

    « la faculté de l’homme à calculer son intérêt »
    Le problème ne serait-il pas que toutes nos structures nous pousse à calculer notre intérêt dans une vision à court terme et non à long terme ? Ou encore de satisfaire notre intérêt au détriment des autres ce qui engendrent fatalement des problèmes sur le long terme (ce que normalement le libéralisme condamne).

  • Intéressant. Reste a savoir comment l’idylle avec Hannah Arendt a pu se développer dans des conditions pareilles…( On va être obligé de faire appel à CG Jung)

  • Beaucoup semblent ne pas penser que Heidegger ou Nietzsche étaient antisémites.

    Mais à propos de la pensée judaïque dont parle l’article il semble qu’il y ait aussi deux écoles : Shamaï et Hillel. Elles se résumeraient de cette façon :

    Un païen vint devant Shamaï et lui dit:
    – « Je me ferai juif, mais il faut que tu m’enseignes toute la Loi, pendant que je me tiendrai sur un seul pied. »
    Shamaï le renvoya, en le frappant de la règle qu’il tenait en sa main.
    L’idolâtre s’adressa ensuite à Hillel, avec le même souhait; et le maître lui dit:
    – « Ce que tu n’aimes pas qu’on te fasse ne le fais pas à autrui. C’est toute la Loi; le reste n’est que commentaire: va et apprends le. »

    Est-ce que là aussi celà a créé deux type de courant de pensée au sein de la pensée judaïque ou judéo chrétienne ? (je ne cache pas que si je devais approfondir le sujet je me tournerais du côté d’Hillel).

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