La Grande-Bretagne en pleine crise brexistentielle

Les conséquences du Brexit menacent l’existence même de la Grande-Bretagne en tant qu’espace politique et économique unifié.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
La Grande Bretagne en pleine crise brexistentielle- By: Karen Roe - CC BY 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La Grande-Bretagne en pleine crise brexistentielle

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 juillet 2016
- A +

Par Colin Hay.1

Grande Bretagne en crise brexistentielle
La Grande Bretagne en pleine crise brexistentielle- By: Karen RoeCC BY 2.0

 

Le Brexit est une blessure que les Britanniques se sont auto-infligée. Ses conséquences sont véritablement ontologiques, car elles menacent l’existence même de la Grande-Bretagne en tant qu’espace politique et économique unifié. Le plus tragique, c’est que ceux qui ont bouleversé l’ordre britannique en votant en faveur du Brexit, le 23 juin dernier, n’ont certainement pas pris la mesure des conséquences de ce choix. La sortie de l’Union européenne va sans doute précipiter dans la récession une économie britannique déjà fragilisée – ce qui pourrait alors conduire à l’éclatement de la Grande-Bretagne. Pendant ce temps, l’Écosse se prépare à un second référendum sur son indépendance. En clair, la crise du Brexit est existentielle.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Dans un contexte d’austérité, d’incertitude du marché du travail, de fracture sociale, d’inégalité et de fragilité économiques, la propension à tenir les autres pour responsables peut devenir irrésistible. Parmi ces autres, on trouve les travailleurs immigrés avec qui les nouveaux travailleurs précaires se sentent en compétition face à la pénurie d’emplois, par ailleurs mal rémunérés. Mais aussi les eurocrates de Bruxelles qui n’ont pas su anticiper la crise de la zone euro et ont plongé l’Europe du Sud dans la misère tout en compliquant les mouvements des travailleurs immigrés au sein de l’Union. Enfin, parmi lesdits « responsables » figurent la classe politique et ses experts qui prétendent savoir ce qui est le mieux pour nous…

La volonté de Brexit, en d’autres termes, était forte. Elle l’a été d’autant plus chez ceux qui rejetaient les discours alarmistes de ces mêmes experts : critiqués pour n’avoir vu les précédentes crises survenir, ces derniers ont tenu à être les premiers, cette fois-ci, à alerter des dangers d’un vote en faveur du Brexit, une perspective qui leur paraissait inéluctable. Hélas, il semble bien que, dans ce cas précis, ils aient vu juste.

Où en est la Grande-Bretagne ?

En un mot comme en mille, dans les limbes. Elle semble avoir pénétré dans une sorte de zone transitoire, à l’instar du célèbre « équilibre catastrophique » de Gramsci. C’est le moment – souvenez-vous – où l’ancien est en train de mourir alors que le nouveau n’est pas encore né – période où l’on retrouve « une grande diversité de symptômes morbides ».

Ce qui surprend le plus, c’est que de nombreux chefs de file du camp du Leave, en particulier Boris Johnson, semblent bloqués dans une phase de déni mêlé de stupéfaction depuis le référendum. Les partisans du Brexit commencent à réaliser que leur vote pourrait ne pas tourner à leur avantage. C’est le cas, paradoxalement, de nombreux défenseurs fervents du Leave, dont Johnson lui-même donc.

Mais revenons aux experts, qui pourraient profiter de ce contexte pour prendre leur revanche. Ils semblent opérer une subtile marche arrière sur les revendications fondamentales liées au Brexit, ainsi que sur la physionomie possible de la sortie de l’UE. Les principaux brexiteurs du parti conservateur s’efforcent ainsi de se montrer conciliants afin d’obtenir l’accès au marché unique européen comme base de négociation des futures relations entre la Grande-Bretagne et l’Europe ; peu importe les concessions qu’elle devra accepter sur l’immigration.

Il y a, bien sûr, une logique économique à l’œuvre derrière cela, la vengeance des experts, en quelque sorte, mais aussi un vrai risque politique : en effet, l’UE n’autorisera l’accès privilégié au marché unique qu’à condition que la Grande-Bretagne respecte la liberté de circulation des travailleurs immigrés. Or c’est justement pour rejeter une telle possibilité que la plupart des brexiteurs pensaient voter, suivant ce que leur a fait croire la campagne pro-Brexit. Leurs attentes ne seront donc pas faciles à satisfaire.

Car, avouons-le franchement : ils se moquent bien des échanges commerciaux. Ce qui leur importe, c’est l’immigration. Par conséquent, plus la situation de Brexit ressemblera à celle que connaissait autrefois la Grande-Bretagne membre de l’UE, moins la volonté d’en sortir aura été satisfaite, et moins ceux qui ont voté pour le Brexit auront le sentiment d’avoir été entendus.

Cela ne peut que générer plus de compétition politique, opposant ceux qui affirment exprimer la voix authentique du Brexit, et qui tiennent à la faire pleinement respecter, à ceux qui ont été convaincus par la possibilité d’un Brexit allégé. Il est facile de deviner de quel côté de la barrière UKIP se positionnera, même sans son ancien leader, Nigel Farage, et comment il saura exploiter à son profit ce nouveau paysage politique.

Qu’en est-il du traumatisme brexistentiel ?

La situation est critique. L’Écosse et l’Irlande du Nord ayant clairement voté pour rester dans l’UE, il paraît difficile de concevoir le Brexit sans un éclatement consécutif de la Grande-Bretagne, bien que le résultat d’une telle séparation soit encore plus difficile à imaginer.

Prenons l’Écosse, la situation géographique empêchant de cerner correctement la complexité du scénario post-Brexit pour l’Irlande du Nord. Si le vœu de la majorité de ses habitants est exaucé, alors l’Écosse restera dans l’Union européenne. Or, ce ne sera possible qu’en rompant avec l’union britannique.

Cette rupture pourrait se dérouler de deux façons. Premier scénario, peu probable selon moi, Bruxelles respectera le souhait de l’Écosse, comme certains membres de la Commission européenne l’avaient suggéré avant le vote. Dans ce cas, c’est le vote pro-Brexit lui-même qui produira de facto l’indépendance, puisque l’Écosse restera soumise à la législation européenne, tandis que le reste de la Grande-Bretagne ne le sera pas. Dès lors, la souveraineté sur les domaines de compétences concernés sera transférée de Westminster à Holyrood (siège du Parlement écossais). Dans un tel cas de figure, l’indépendance de l’Écosse se produira sans besoin d’un référendum.

Mais ce qui paraît acceptable au nord de la frontière anglo-écossaise est peu probable au sud. D’ailleurs, les voix favorables à cette option au sein de la Commission européenne se sont tues depuis la publication des résultats du vote. D’où la seconde option, quasi incontournable : un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse.

Alyn Smith, député écossais au Parlement européen, demande à l’UE de ne pas laisser tomber l’Écosse.

Les répercussions de tout cela sont considérables. Une « post-Grande-Bretagne » n’est pas une perspective séduisante ni politiquement, ni économiquement parlant, sans même parler des dommages collatéraux sur le continent européen et au-delà. Par ailleurs, l’Angleterre et le Pays de Galles semblent lancés dans une interminable querelle sur la nature même du Brexit, tandis que leur économie part en lambeaux. Et pendant ce temps, l’Écosse, et vraisemblablement l’Irlande du Nord, font face à un avenir incertain, essayant de s’adapter à un Espace économique européen « post-britannique » qu’ils n’ont pas choisi de leur plein gré.

Traduit de l’anglais par Diane Frances.

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons CC BY-ND 4.0.

  1. Professeur des Universités, Sciences Po – USPC.
Voir les commentaires (15)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (15)
  • Il me semble qu’il manque dans cette opinion la contrepartie expliquant en quoi le Brexit ne serait pas un rejet légitime d’une UE envahissante et incapable de tenir ses promesses de prospérité. Une post-Grande-Bretagne reste plus séduisante qu’une UE kafkaïenne et dictatoriale, voilà ce que nous disent les électeurs, les difficultés indéniables du Brexit ne sont que les ecchymoses et les fractures qu’on risque en sautant en marche du train fou qui fonce dans un tunnel bouché.

    • Sachons rester froids et objectifs, pour dire si l’UE n’a pas apporté de prospérité, il faudrait comparer les 27 états aujourd’hui avec les mêmes 27 états aujourd’hui sans l’UE. Ce qui est évidemment impossible et qui nécessairement alimente toutes sortes de débats qui ne sont au fond que des opinions indémontrables. Attendons juste un peu, les peuples étant souverains, si la démocratie joue, l’Ecosse et L’Irlande resteront ou redeviendront européennes et l’Angleterre et le Pays de Galles seront indépendants sous peu. On saura alors juger de la prospérité de chacun au bout de quelques exercices. On comparera alors facilement les ecchymoses des uns et des autres.

  • « car elles menacent l’existence même de la Grande-Bretagne en tant qu’espace politique et économique unifié »… euh non. Ce sont les politiques de destruction des états-nations telles que mises en place par l’UE qui veut leur substituer des régions indépendantes (enfin, sauf de Bruxelles évidemment) qui sont ici à l’oeuvre.
    Quant on y réfléchi, il est quand même un peu gros que des exécutifs et des parlements adoptent des textes dont les fondements et les conséquences sont l’abrogation des espaces politiques dont ils tiennent leur mandat, et la sanctuarisation de politiques et de moyens spécifiquement dédiés à cet effet.
    Nicola Sturgeon est probablement bien moins écossaise en ce sens qu’elle n’est militante de cette europe des bureaucraties, dont le jeu consiste à imposer non démocratiquement des cadres législatifs tout en promouvant une subsidiarité contrôlée destinée à renforcer le pouvoir local d’une coterie de circonstance qu’elle aura permis d’émerger pour son plus grand profit.

    • Entièrement d’accord. La délicieuse ironie est que Mme May l’a mise en check mate en moins de 48 heures.
      Qui finance qui et comment. Le programme socialiste du SNP est voué comme toutes les inepties socialistes a l’échec. Mme Sturgeon doit convaincre ses potentiels partenaires EU qu’elle serait capable de tenir un budget responsable et conformes aux traités en vigueur (enfin, presque en vigueur) tout en continuant a faire miroiter des mirages et promesses intenables a son électorat. Mais qu’elle y aille! Elle sait a quoi s’attendre des contribuables Anglais, mais également des contribuables Européens post crise Grecque. Mme May l’a immédiatement mise en face de ses responsabilités et contradictions, tout en allant au coeur du problème: l’Ecosse n’a pas voté avec le reste du royaume depuis 50 ans. Le nier et les priver de leur légitime frustration est le meilleur moyen d’envenimer la situation. Quitte a se livrer a l’exercice de la communication, qu’un cynique qualifierait d’hypocrite, autant le faire bien: l’article 50 ne sera enclenché qu’avec leur autorisation. Politiquement, c’est fort bien joué.

  • « Le plus tragique, c’est que ceux qui ont bouleversé l’ordre britannique en votant en faveur du Brexit, le 23 juin dernier, n’ont certainement pas pris la mesure des conséquences de ce choix. »

    Patronising git.
    La semaine précédant le vote, les conséquences avancées étaient beaucoup plus nombreuses. L’auteur semble l’avoir oublié. Les chiens et les chats allaient en pâtir. Le réchauffement climatique s’accélérer. La recherche scientifique se réduire, of course. Mais n’oublions pas les arbres, les pauvres, qui auraient eu beaucoup de mal a grandir sans l’EU. Il faut savoir ce qu’on veut. Une campagne positive du remain aurait certainement mieux permis de cerner les conséquences fondamentales, et on peut le regretter. L’auteur a parler au nom des autres et a mettre leur clairvoyance en doute ne fait que souligner son manque d’honnêteté intellectuelle.
    C’est toujours le même biais, et en fin de compte, toujours le même mépris et toujours le même procès d’intention.
    Est il a ce point inconcevable que MALGRE ces conséquences, et en toute connaissance de cause, nous avons pris une décision rationnelle?

    Le reste de l’article n’est cependant pas a jeter, mais j’aimerais beaucoup savoir sur quelle base l’économie galloise ou anglaise part « en lambeaux ».
    La seule conséquence directe du brexit pour l’instant est la perte de 8 points de l’indice de confiance. C’est énorme, mais voyons comment cet indice évolue. Il est certain en revanche qu’avoir des déclaration infondées de ce type ne fait rien pour alléger le climat anxiogène.

    Il faut savoir ce que l’on veut. L’auteur n’assume rien, ni passé, ni présent, ni futur. A t’il fini de grandir? J’en doute.

    • « La seule conséquence directe du Brexit pour l’instant est la perte de 8 points de l’indice de confiance » un poil gonflé quand même !
      Ce n’est qu’une conséquence du vote, celles du Brexit nous les attendons impatiemment mais il semble que nous devrions attendre encore pas mal de temps.

      Mais outre cet indice, il y a le décrochage du Sterling, les bureaux de placement des chômeurs n’ont plus beaucoup d’offres, certains investissements sont gelés, certaines entreprises ont annoncé leur départ et d’autres un transfert de certains services sur le continent, l’immobilier grelotte déjà alors que c’est la canicule, le gouvernement a annoncé une baisse de la fiscalité des entreprises…Je pense que tout ça est en partie spéculatif et psychologique, mais limiter les conséquences du vote à l’indice de confiance c’est un peu « autruchien » !

      • Dans une économie rationnelle, oui. Nous sommes dans l’irrationnel depuis longtemps, partout. C’est pourquoi ma préférence va pour cette indice, qui est avant tout émotionnel, bien d’accord avec vous d’ailleurs. Autruche, oh que non, et on parle de mes sous la. C’est plutôt que n’importe quelle crise va broyer les modèles économiques les plus fragiles. Pour l’instant, du placement immobilier a partir de spéculation immobilière en Chine, sans trésorerie, aie. Les lowcost, également, sans trésorerie, hasta la vista baby. Brexit, fluctuations monétaires et maintenant crise Turque, tout ce qui est en haute fréquence sans tréso, ca va faire très mal. Mais parce que certains ont pris de très gros risques. Paris perdus. Et alors?
        Nous n’avons pas de lignes budgétaires avant the autumn budget. ca risque de tanguer encore un peu. Mais comment ne pas voir l’aspect positif de proposer a un marché d’un demi milliard d’individus un produit hors EU globalisé tout en y gardant un- très gros- orteil?
        Le risque existe, bien sur, mais la proposition est un no brainer par définition.
        Et on en revient aux differences fondamentales entre une économie libérée et une économie administrée.
        Aurons nous mal? Oui. Serons nous perdants? Wait and see.

        • « Economie rationnelle » le bel oxymore que voilà. Ma définition préférée du mot économie, est celle qui dit qu’elle est la description de ce que les hommes font. Dit comme ça, pas certain que ce soit une science dure. Nous verrons, jusque là ce vote ne m’aura été personnellement et professionnellement que favorable, mais je me garderais bien de faire de ces effets une tendance.

      • Pierre w ,

        N’oublions pas pour nos amis britanniques que , sortis de l’Europe , le réchauffement climatique va diminuer et le refroidissement climatique s’accelèrer et que les britanniques pourront relancer la chasse au renard …

  • Je ne sais pas si les brexiteurs sont en pleine crise existentielle, mais les Bremainers le sont, ça c’est sûr. Et j’ai l’impression que l’auteur projette sur le camp d’en face ses propres sentiments de confusion et de peur de l’avenir.

  • Une question soulevé de-ci de-là : quid de la monnaie d’un Écosse européenne mais plus membre du RU ? Idem pour l’Irlande…

    • Ils devront créer une Livre écossaise avant de passer à l’Euro.

      • pourquoi ils devraient ?
        Je suppose que l’Irlande serait de facto réunifiée et adopterait l’Euro comme actuellement la République.
        L’Écosse pourrait revenir à la banque libre, ou laisser circuler aussi bien l’Euro que la livre sterling, où adopter l’Euro directement à l’instar du Monténégro

        • Utiliser la GB £ ne sera pas gratuit. Autant passer directement à l’Euro si le Monténégro l’a fait c’est possible, mais là il faudra un budget plus ou moins tenu.
          Cela n’empêchera pas les commerçants d’accepter la £.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d'innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l'Union européenne perçoivent différemment l'industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d'innovation. L'Union européenne, qua... Poursuivre la lecture

Dès qu’il s’agit du Brexit, cet affront fait à l’Union européenne, la pensée désidérative ou wishful thinking décide dans la plupart des rédactions de l’angle des articles et de la titraille.

Tout se passe comme si la ligne éditoriale dépendait de croyances basées sur ce qui est agréable à imaginer pour un globaliste opposé par principe aux nations libres, plutôt que sur des faits réels, vérifiables ou rationnels. À la moindre occasion, les politiques et les médias mainstream voient poindre la fin du Brexit. Mais la Grande-Bretagne ne ... Poursuivre la lecture

Au début du mois, la ministre britannique aux Affaires et au Commerce, Kemi Badenoch, a signé l'Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique (CPTPP), un nouvel accord commercial conclu avec 11 pays d'Asie et du Pacifique, couvrant une zone commerciale d'environ 500 millions de personnes, soit 15 % du PIB mondial. Et ce, avant l'adhésion de la Thaïlande et de la Corée du Sud. Peut-être qu'après tout, à un moment donné, les États-Unis, qui, sous la présidence de Trump, ont décidé d'abandonner l'accord, pourraient également cho... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles