La sagesse de l’argent, par Pascal Bruckner

« Il est sage d’avoir de l’argent, il est sage de s’interroger sur lui. » Dans La Sagesse de l’argent, Pascal Bruckner s’interroge sur les préjugés et la mythologie construite autour de l’argent.

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La sagesse de l’argent, par Pascal Bruckner

Publié le 13 mai 2016
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Par Francis Richard.

Dans l’introduction à son essai, La sagesse de l’argent, Pascal Bruckner résume en une phrase son propos :

« Il est sage d’avoir de l’argent, il est sage de s’interroger sur lui. »

Et il s’interroge de manière tellement foisonnante et documentée que l’on a quelque scrupule à donner les grandes lignes de l’ouvrage, au risque de le simplifier alors qu’il est tout en nuances.

 

Adorateurs et contempteurs

Pascal Bruckner opère une petite revue d’histoire.

Si Platon est un puritain de l’argent, pour Aristote l’argent fait partie des nécessités de la vie et doit être couplé avec la vertu et l’amitié.

Pour les stoïciens, « mieux vaut être sain et fortuné que malade et démuni. »

Pour les chrétiens, il faut choisir entre Dieu et Mammon et le prêt à intérêt est proscrit.

Pour les catholiques, la parure des églises et l’ascèse personnelle ne sont pas contradictoires ; l’être humain est faillible et mérite mansuétude ; la fortune doit être méprisée et il faut être altruiste pour échapper à l’enfer ; Bossuet parle « de l’éminente dignité des pauvres. »

Pour les protestants, travailler c’est prier ; la réussite terrestre est le moyen de se justifier à condition de ne pas s’étaler impudemment ; Calvin parle de « la sagesse du contentement ».

Pour Zola, l’argent est drainé sur tout le travail et la sueur de la France.

Pour Marx, l’argent est la confusion des choses.

Pour Mounier, l’argent expulse l’homme de lui-même.

Pour l’auteur, en considération des positions extrêmes qui peuvent être prises sur l’argent :

« Toute la sagesse, s’il y en a une, implique de refuser à l’égard du vil métal l’adoration et la détestation, pour leur préférer une jouissance apaisée. »

 

L’argent aux États-Unis et en France

Il fait un parallèle entre les États-Unis et la France :

« Le credo américain, Greed is good (la cupidité est bonne) s’oppose au culte français des plaisirs. Les États-Unis sont obsédés par la déloyauté conjugale quand la France, horrifiée par le triomphe du matérialisme, manifeste envers les égarements de la chair une tolérance devenue un art de vivre. »

En France, l’argent est donc tabou :

« Ce que les Français récusent, c’est d’abord l’inégale répartition des revenus. Mais ils se méfient également du succès, toujours suspect et résultat, selon eux, d’une connivence […] au moment où l’on fustige l’argent-roi, c’est plutôt l’argent rare qui prédomine… Et il y a chez nous condamnation formelle de la richesse à condition que nous puissions jouir de ses avantages… »

En Amérique, la monnaie est spirituelle :

« Le dollar puise à une double source : dans le passé avec l’effigie des Pères fondateurs, au ciel avec l’invocation au Seigneur […] Les Américains remplacent leur suspicion de l’érotisme par un appétit pour le gain, lequel traduit la sympathie que le Créateur leur manifeste […] Ce qui bride outre-Atlantique l’appétit égoïste de bien-être, c’est le patriotisme messianique et la religiosité, qui rassemblent la nation aux heures du danger. »

 

Trois mythes sur l’argent selon Pascal Bruckner

Il y a trois mythes sur l’argent.

Il serait le maître du monde :

« S’il peut beaucoup, il ne peut pas tout, il est toujours aux ordres de nos caprices, jamais à leur source. Ce n’est pas lui qui crée le narcissisme, la volonté de puissance, le prosélytisme religieux ou politique, les inégalités de classe, les mobiles de l’amour-propre. »

Il rendrait malheureux :

« D’une part les riches ne sont pas malheureux, et encore moins repentants. […] D’autre part, l’ennui, ignorant les barrières de classe, s’est largement étendu de nos jours à l’univers du travail et le fait d’être actif ou chômeur ne prémunit pas du bâillement et de l’effroyable monotonie. »

Il tuerait l’amour sublime :

« Dans un mariage heureux, passions et intérêts convergent. L’argent ne suspend ni les solidarités, ni la charité, ni l’amour : cupidité et concupiscence peuvent faire bon ménage […] La vie conjugale moderne ressemble aux navettes diplomatiques d’une ambassade : sous l’allure d’une improvisation constante, tout est négocié tout le temps, depuis le sommeil jusqu’à la répartition des courses, les tâches domestiques, la garde des enfants, les entractes érotiques. »

 

S’enrichir, s’appauvrir

La bourgeoisie est devenue la classe dominante après la Révolution. Pour le bourgeois, d’abord collet monté, après les années 1960, « le but n’est plus seulement de travailler, il est de consommer en vue du bien-être. »

Il y a des bobos de gauche et de droite, qui se ressemblent :

« Les uns comme les autres veulent la justice pour tous et le maintien des privilèges pour eux seuls… »

Le vrai bourgeois d’aujourd’hui « méprise sa propre classe, joue au rebelle et tire gloire de s’auto-déprécier en permanence. » Aussi ce que l’on peut reprocher aux riches, « ce n’est pas de vouloir régir le monde, c’est de manquer d’ambition, c’est d’avoir troqué une vaste mission pour des jouissances à courte vue. »

Il n’est pas criminel de s’enrichir, ni vertueux de s’appauvrir :

« Pour toute une gauche morale, condamner les puissants la dispense de réfléchir aux moyens d’arracher des millions d’hommes à la maladie, la famine, l’insécurité […] une chose est de choisir la frugalité pour des raisons d’ordre privé ou spirituel, une autre d’imposer à tous des ambitions racornies. »

 

La main qui prend, la main qui rend

Enfin, Pascal Bruckner s’interroge sur la main qui prend et sur celle qui rend, autrement dit sur la quête et l’aumône, sur le pourboire et l’offrande :

« Le don est domination quand il consacre une réciprocité impossible : comment rendre à celui ou à celle qui vous couvre d’or parce que votre mine lui a plu ? »

C’est pourquoi il pense que « donner devrait s’enseigner comme les arts de la table et la politesse. »

C’est sans doute ce qui l’amène à penser que les trois acteurs actuels de la charité, les nouveaux philanthropes, l’humanitaire classique et les pouvoirs publics, sont concurrents et complémentaires :

« Il est essentiel d’articuler ces trois instances qui se corrigent, se défient, en distinguant l’urgence du court et du moyen terme. »

Pour ce qui concerne les pouvoirs publics, il donne un argument qui, justement, n’emporte pas la conviction, parce qu’il conduit inéluctablement à la servitude. Il trouve en effet un intérêt au don anonyme de l’État-providence :

« Moins dégradant que la donation directe d’un particulier, puisqu’on n’y est l’obligé de personne. »

C’est ce qu’on voit, aurait dit Bastiat, ce qu’on ne voit pas c’est qu’on est l’obligé de tous, consentants ou pas…

 

Conclusion

« La fortune n’est que la métaphore de la vie, si belle, si fragile. Accepter que tout ce qui nous fut accordé puisse nous être repris ; en retirer malgré tout un immense sentiment de gratitude. Telle est l’ultime sagesse. »
Oui, mais cela ne veut pas dire qu’il faille attendre qu’elle nous tombe toute cuite dans les mains, ni qu’il faille accepter qu’elle nous soit reprise par des prédateurs…

 

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  • l’argent , il serait le maitre du monde ….il l’est ; ce n’est pourtant qu’un bout de papier avec un chiffre imprimé , , il peut être propre , il peut être sale , mais ça reste un bout de papier ; c’est un moyen d’échange , mais la cupidité , l’avidité de l’homme en ont fait une arme de destruction pour une grande partie de la population mondiale ; l’argent rend fou et complêtement abrutis ceux qui sont incapables de s’en servir intélligement ; l’argent asservi ;je suis comme tout un chacun bien obligé d’en avoir mais je ne porte pas l’argent dans mon coeur ; raison pour laquelle la richesse des autres ne m’intérresse pas et je ne jalouse pas les riches ;

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