Mario Vargas Llosa, romancier de la liberté

Portrait de Mario Vargas Llosa, un écrivain dont l’œuvre dérange les critiques de gauche depuis cinquante ans.

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Mario Vargas Llosa By: Daniele Devoti - CC BY 2.0

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Mario Vargas Llosa, romancier de la liberté

Publié le 26 avril 2016
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Par Guy Sorman.

Mario Vargas Llosa
Mario Vargas Llosa By: Daniele DevotiCC BY 2.0

 

À 80 ans, Mario Vargas Llosa connaît une sorte d’apothéose que même le Prix Nobel de littérature ne lui avait pas conférée. Le voici fêté à Madrid, à Paris, où son œuvre complète est publiée dans la collection prestigieuse de La Pléiade, à Washington où lui est décerné le Prix de la Légende vivante par la Bibliothèque du Congrès. Ces célébrations baignent dans un parfum de scandale, Mario Vargas Llosa confessant avoir découvert “l’amour fou”, à un âge inattendu. Oublions cette vie privée qui ne nous regarde pas pour revenir à l’écrivain et son œuvre qui dérangent les critiques de gauche depuis cinquante ans.

Deux Mario Vargas Llosa distincts ?

Ces critiques laissent croire en l’existence de deux Mario Vargas distincts : le premier serait le grand romancier incontestable et l’autre, un personnage plus obscur, activiste politique et idéologue. Ceux qui accréditent ce dédoublement de personnalité n’ont – au choix – pas lu l’écrivain, pas écouté le militant ou ne l’ont ni lu ni écouté. Car il n’existe qu’un seul Mario Vargas Llosa : ce qui devrait nous éblouir est l’unité absolue de l’œuvre, de l’auteur et de son militantisme libéral. J’invite, pour en convaincre les paresseux ou les pressés, à lire son dernier roman, qui ne sera pas l’ultime, Un héros discret. Ce héros est un homme ordinaire, un modeste entrepreneur, en quête de bonheur et de prospérité. Un entrepreneur héros, positif, c’est rarissime dans la littérature occidentale ! Contre lui s’acharnent les forces du mal, des anti-héros, hantés par la jalousie, l’appât du gain, le goût de la violence et du pouvoir. Mario Vargas Llosa prend le parti de son héros discret : celui-ci est loin d’être parfait, mais ses imperfections constituent son humanité même. Ce héros discret n’est pas destructeur, il n’est pas nuisible, il n’interdit pas aux autres de vivre comme ils l’entendent : le héros discret est, en vérité, une allégorie de la philosophie libérale telle qu’elle naquit au Siècle des Lumières en France, en Allemagne, en Écosse, en Espagne. Le libéralisme (le mot apparaît initialement en Espagne), se fonde sur une reconnaissance de l’humanité telle qu’elle est vraiment : l’homme est, à la fois, bon et mauvais, avaricieux et généreux. Le miracle est que l’ensemble de ces qualités et défauts s’agencent d’une manière telle que ces hommes, tels qu’ils sont, parviennent à constituer ensemble une société qui fonctionne et  progresse.

Les penseurs libéraux, dont Mario Vargas Llosa fait partie, comprennent que le pire serait, au nom de la perfection, de vouloir “changer l’homme”, de manière à créer une société plus parfaite. À l’inverse, les idéologues prétendument progressistes du XIXe et du XXe siècles, qui ont tenté de forger cet homme nouveau pour atteindre une société idéale, n’ont généré que les catastrophes que l’on connaît. En forme d’allégorie ou de mythe, c’est ce que les romans de Mario Vargas Llosa racontent : la littérature s’avère sous sa plume une forme plus persuasive que tout traité de philosophie ou d’économie.

Pourquoi le militantisme politique de Mario Vargas Llosa ?

Le militantisme politique de Mario Vargas Llosa n’est donc que la traduction par l’engagement physique, de la littérature en philosophie, et de la philosophie en politique, cet instrument nécessaire. L’engagement de l’auteur est enraciné dans son pays, sa civilisation, sa langue, mais pas seulement parce que Mario Vargas Llosa appartient au monde latino-américain : il se trouve que ce continent, depuis un siècle  –  je prends pour point de départ la Révolution mexicaine –, aura été un laboratoire des épidémies idéologiques qui ont décimé les héros discrets. Des caudillos se réclamant de l’économie de marché, au Chili et au Pérou, ou du Progrès maîtrisé, au Brésil, n’ont, depuis un siècle, cessé de rivaliser avec d’autres caudillos se réclamant, du marxisme à Cuba, au Nicaragua, ou ne se réclamant que de leur génie personnel sans référence à une quelconque idéologie, de l’Argentine à Saint-Domingue.

Sur tous ces fronts, Mario Vargas Llosa est présent, depuis un demi-siècle, par ses romans, ses chroniques, ses prises de position publiques, ses engagements militants : il est Un, tout d’une pièce, à prendre ou à laisser.

Il est aussi remarquable que le héros discret de Mario Vargas Llosa n’appartient pas à une ethnie, une culture, une langue, une religion particulières. Dans le fil de la pensée libérale, l’homme est un homme et tous les hommes sont frères, avec les mêmes aspirations à vivre comme ils l’entendent, libres de leurs choix. L’œuvre de Vargas Llosa est anti-raciste autant qu’anti-totalitaire : il réfute toute tentative d’enfermer un individu, un peuple, une culture dans un infantilisme décrété par le haut, qui légitimerait la fonction de tuteur, du colonisateur, du caudillo et de l’idéologue.

Mario Vargas Llosa vit maintenant à Madrid, après le Pérou de sa jeunesse, puis Paris, Londres et New York. S’il est partout chez lui, voyons-y une preuve non pas de déracinement mais d’humanisme : partout on trouve des héros discrets, mais avant Mario Vargas Llosa, ils n’étaient pas des héros de roman. Voilà qui est accompli.

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