Par Jean-Baptiste Noé.

En une semaine, le Panama a fait les unes de l’actualité. D’un côté des fuites de comptes offshore, de l’autre le rachat de Borsalino pour tenter de sauver une marque mythique, qui fabrique notamment les célèbres panamas en paille. Des chapeaux-panama fabriqués en Équateur, d’où provient la paille souple et blanche tissée pour donner ces chapeaux légers. Ces chapeaux d’Équateur ont été utilisés par les ouvriers participant à la construction du canal. Ce serait le président des États-Unis Théodore Roosevelt qui, visitant le chantier en 1906, aurait lancé la mode du panama au-delà de l’Amérique centrale en portant ce type de chapeau lors de sa visite. Voilà comment un couvre-chef d’ouvrier conquit les élégances masculines. Le Panama était indépendant depuis trois ans, après avoir mené une guerre de mille jours contre la Colombie, et ayant bénéficié du soutien des États-Unis, ravi de détacher cet isthme pour assurer la sécurité du canal en cours de construction.
Après les politiques, ce sont les acteurs qui ont donné au panama ses lettres de noblesse. On le porte à Hollywood, où sa blancheur et sa légèreté sont appréciées pour résister au soleil de Californie. Borsalino en fait un produit phare de sa production, si bien que les deux noms se confondent souvent. L’entreprise italienne imprime au panama la forme du fedora, qui est aujourdhui la forme la plus classique des chapeaux, avec ses larges bords et son devant rabaissé. C’est le chapeau d’Humphrey Bogart dans Casablanca, celui des gangsters et des reporters. Or ce nom de fedora provient d’une pièce de Victorien Sardou, célèbre auteur de pièces de théâtre de la fin du XIXe siècle, et membre de l’Académie française.
Il s’agit d’une pièce spécialement écrite en 1882 pour Sarah Bernhardt, qui joue un personnage prénommé Fedora, qui porte un chapeau de style nouveau. Par métonymie, le chapeau prend le nom du personnage féminin et devient l’attribut des chapeaux masculins, détrônant les hauts de forme alors largement portés. Voilà comment les panamas de Borsalino mêlent les chapeaux équatoriens, le savoir-faire italien et le style français. Bel exemple de mondialisation.
Borsalino sait mêler la haute industrie et la culture. Ses panamas en paille Montecristi sont les plus renommés : ils sont si souples qu’ils peuvent être pliés et rangés dans une boîte. De même, l’entreprise a l’art de travailler les feutres les plus délicats. Voilà de quoi plaire aux acteurs et aux cinéastes. En 1970, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo tournent le film Borsalino, où ils jouent deux bandits à Marseille. Si la pègre sévit encore dans la cité phocéenne, elle est moins élégante que les deux dandys armés qui mettent le chapeau à l’honneur. L’entreprise Borsalino est située à Alessandria, dans le Piémont italien. Ville fondée par la ligue lombarde en 1168 pour s’opposer à l’empereur Frédéric Barberousse, elle prit le nom du pape Alexandre III qui la protégeait.
C’est chez elle que naquit le linguiste italien Umberto Eco, qui fit de sa ville le cadre de son roman Baudolino. Après avoir été l’acteur des modes masculines, Borsalino est devenu le spectateur d’un retournement sociologique, celui de l’abandon du chapeau. Alors que depuis toujours les hommes n’avaient pas idée de sortir tête nue, le port du chapeau a presque complètement disparu au cours des années 1970. De quoi mettre à mal le secteur chapelier, y compris les marques établies comme Borsalino.
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Difficile de dire que le Panamá a mené une guerre de mille jours contre la Colombie. La “guerre des mille jours” 1899-1902 est une guerre civile colombienne (le Panamá en fait partie à l’époque) entre les libéraux et les conservateurs. Au mieux, l’indépendance du Panamá, intervenue en 1903, est une des conséquences de cette guerre… Et encore! On dirait plutôt que ce sont les USA qui ont décidé de l’indépendance du Panamá pour s’assurer la sécurité sur le canal qui est stratégique pour eux.