Nuit Debout, dommage collatéral de l’université française ?

L’université est le cœur du problème dont Nuit Debout est l’épiphénomène : mais comment la réformer en profondeur ?

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Nuit Debout Paris_Nicolas Vigier_Domaine public

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Nuit Debout, dommage collatéral de l’université française ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 avril 2016
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Par Éric Verhaeghe.

Nuit Debout à Paris. Une conséquence des échecs de l'université publique française ?
Nuit Debout Paris_Nicolas Vigier_Domaine public

 

La « Nuit Debout » nourrit beaucoup de fantasmes directement hérités du romantisme révolutionnaire cher à de nombreux journalistes. La presse subventionnée regorge de ces soixante-huitards attardés qui retrouvent, place de la République, le lointain souvenir de leurs années barricades. Peut-être même rêvent-ils d’y retrouver leurs années festives, leurs années hippies.

En lisant l’intéressant article de la sociologue du CNRS Monique Dagnaud paru sur Slate, il n’est pourtant pas inutile de regarder, au-delà du stéréotype romantique (assez faux au demeurant, mais je ne reviendrai pas aujourd’hui sur ce point), les racines sociales du mouvement que j’ai déjà suggérées. Les étudiants français présentent en effet des caractéristiques originales qui expliquent probablement en partie les bizarreries de la contestation en France par rapport à ses homologues ou cousines étrangères.

Les étudiants français ou la génération déçue

Monique Dagnaud souligne à juste titre le paradoxe français en matière d’accès à l’université. D’un côté, la France est la championne de l’OCDE en matière d’ascension éducative :

« 40% des 25-34 ans ont atteint un niveau de formation plus élevé que leurs parents, pour les deux tiers en passant par l’université, contre 32% en moyenne dans l’OCDE ; 50% ont un niveau de formation identique à celui le plus élevé atteint par leurs parents, contre 52% en moyenne OCDE ; et seulement 10% n’ont pas pu égaler le niveau de formation de leurs parents, contre 16% en moyenne OCDE. »

D’un autre côté, le taux de chômage parmi ces jeunes diplômés est le plus élevé de la banane bleue :

« En 2014, le taux de chômage des 25-34 ans diplômés du supérieur est de 7%, soit à peu près celui de l’année 2000. Il est de 3,4% en Allemagne, de 2,9% en Grande-Bretagne et de 3,9% aux États-Unis ; en France, ce plein emploi post-université est uniquement atteint par les recrues des grandes écoles. »

Il existe donc un effet ciseau entre l’espérance de l’ascension sociale procurée par l’accès au diplôme d’une part, et la déception économique induite par les conditions d’insertion sur le marché du travail de l’autre. Ce phénomène se vérifie tout particulièrement pour les détenteurs d’une licence dont le taux de chômage est de près de 15% trois ans après l’obtention du diplôme, soit un taux équivalent au baccalauréat.

L’université et le déclassement social

On ne peut évidemment comprendre la contestation étudiante en France, qui est au cœur de la Nuit Debout, sans avoir à l’esprit le poids du plafond de verre qui bloque la promotion sociale et dont la réaction nobiliaire constitue l’autre versant. Plus que jamais, l’accès à l’élite et aux postes de décision s’est crispé autour des anciens élèves des grandes écoles, dont la fonction de reproduction sociale est farouchement préservée. L’accès à un diplôme universitaire ne permet ni de rebattre les cartes efficacement, ni d’améliorer de façon décisive le niveau de vie par rapport à celui de ses parents, ni de préserver du chômage.

L’université est au cœur du déclassement social qui crée le malaise de notre jeunesse. De ce point de vue, les analogies entre mai 68 et la Nuit Debout sont biaisées. Mai 68 était un mouvement de jouisseurs optimistes. La Nuit Debout est un mouvement de frustrés angoissés par l’avenir. La Nuit Debout ne veut pas changer la société pour échapper à ses contraintes, elle veut la changer pour pouvoir s’y insérer.

D’une certaine façon, la Nuit Debout constitue l’avatar d’une société déceptive où l’amélioration moyenne du niveau d’études ne délivre pas les promesses dont elle était porteuse. Le sentiment qu’il faut désormais être titulaire d’un « bac+5 » pour occuper un emploi subalterne est au cœur de la contestation.

Réformer l’université pour renouer les liens avec la jeunesse

Dans ses discours électoraux, François Hollande avait mis l’amélioration du sort de la jeunesse en tête de ses préoccupations. Quatre ans plus tard, son bilan parle de lui-même. Son erreur a d’abord consisté à imaginer qu’il pouvait faire abstraction d’une réforme en profondeur de l’université, entamée par Sarkozy avec la loi sur l’autonomie, mais demeurée largement inachevée.

Le sujet essentiel de l’université tient à la professionnalisation intelligente qui y devient cruellement indispensable. L’université française souffre en effet de deux maux majeurs qui constitueront autant de handicaps de moins en moins surmontables dans les années à venir.

Le premier mal s’appelle l’absence de sélection. Il conduit les universités à consacrer des moyens importants à des filières sans avenir où les étudiants s’entassent dans des amphithéâtres lépreux en attendant l’attrition naturelle, puis l’obtention d’un diplôme inutile. Alors que la France manque cruellement de scientifiques, de mathématiciens, de linguistes, les unités de psychologie sont bondées.

Le deuxième mal s’appelle l’incurie des universités en matière d’insertion professionnelle. Alors que la loi Pécresse leur avait confié cette mission, les universitaires s’estiment toujours aussi étrangers à la question de l’insertion de leurs étudiants sur le marché du travail, et les préparent toujours aussi peu à la vie en entreprise. D’où la réticence des employeurs à intégrer en toute confiance de jeunes diplômés qui sont autant d’extra-terrestres étrangers aux logiques de rentabilité et de productivité.

Comment réformer l’université ?

Ces constats ne sont malheureusement pas nouveaux. Ils présidaient déjà à la loi Devaquet en 1986, qui fut tuée dans l’œuf par la mort du jeune Malik Oussekine lors d’une manifestation. Trente ans plus tard, la situation s’est dégradée, et ces trois décennies sont autant de temps perdu dans le sursaut français.

Une question est évidemment incontournable ici : l’université, dans son format actuel, est-elle capable de se réformer ? Je me souviens ici d’un pédocrate qui m’expliquait qu’une bonne réforme ne pouvait se faire en moins de dix ou quinze ans, sans quoi elle suscitait trop d’oppositions. Dans un système ultra-administré aux proportions gigantesques, la taille des structures interdit probablement de faire mieux.

Tout notre sujet est de savoir si nous avons encore le temps d’attendre dix ans pour faire la moindre réformette. Peut-être sont-ce les structures et les tailles qu’il faut changer.


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  • Deux propositions simples à mettre en oeuvre :

    – Demander à Pole Emploi de faire des statistiques sur les diplômes obtenus par des chômeurs de plus d’un an. Après trois années de statistiques montrant l’inadaptation d’un diplôme (tel niveau, telle spécialité dans telle université) au marché du travail, couper les crédits de financement à l’université concernée pour cette formation.

    – Remettre en place le fléchage des moyens pour les formations qui, au sein des universités, pratiquent un enseignement spécifique avec horaires lourds et préparation professionnelle des étudiants (IUT, licences professionnelles…). Petit à petit, année après année, ces moyens sont détourné par les universités pour maintenir, voire créer, des formations débouchant sur le chômage.

    Pour faire simple : financer les universités en évaluant l’employabilité des diplômés, filière par filière. Autre moyen d’évaluation : faire le bilan du taux d’emploi dans le métier des ex étudiants, quelques années après leur diplôme. Ne pas comptabiliser évidemment les diplômés de sociologie qui sont devenus plombiers !

  • Les unités touchent du pognon au nombre d’étudiants. Donc, ils n’ont aucun intérêt à clairsemer les rangs de leurs formations, même si elles ne débouchent sur rien.

    Trop de scientifique ? Cela m’étonne… on forme une tripotée de biologistes, biochimistes, ingés agros et autres scientifiques du vivant qui ne trouvent pas d’emploi.
    Par contre, oui, on forme peu de physiciens mécaniciens, de pharmaciens, et d’hydrologues.

    • Biais d’observation. Vous êtes biologiste.
      Si vous avez une Clio vous trouvez qu »il y a beaucoup de Clio sur les routes.

  • quand je vois le classement de l’ecole polytechnique en Europe parmi les 100 universites, je me pose des questions maintenant.. Et Hec, je ne veux pas offusquer les gens ici, mais demandez a un Indien, ou A un Americain qui ont fait Harvard, s’ils connaissent HEC, ils vous disent »NON ». Je ne comprends pas, c’est la meilleure ecole en France? Et ce n’est pas un ou deux, c’est plusieurs personnes…
    .. Mais bon ce qui me rassure c’est que la France a une bonne reputation avec ses Ingenieurs qui partent, malheureusement..je crois que la France a cree des Castes tu sors de l’ecole X,,,, ta carrierre sera… elle n’a pas su innover et’s’adapter au monde global..Je le vois tous les jours..
    il faudra du temps, mais ici on ne veut pas investir en France A cause des Syndicats qui bloquent tout. on ferme les sites de production..

    • En même temps, combien d’écoles en Allemagne, Canada, Inde, Italie ou en Chine connaissez-vous? Je suis personellement incapable de citer la moindre école en Allemagne, Inde ou en Italie.
      Il y a des centaines de formations à travers le monde, mis à part quelques écoles de la Ivy League, la plupart des écoles vous seront inconnues si vous n’avez pas passé quelque temps dans le pays où sont implantés ces écoles. Cela ne veut pas dire pour autant que ces écoles sont mauvaises.

    • Ces classements ne sont pas adaptés à la comparaison d’universités de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants et d’écoles avec seulement un ou deux milliers. Les grandes écoles françaises gardent une excellente réputation à l’étranger dès qu’on interroge des gens du domaine, suffisamment même pour qu’on fasse des propositions si intéressantes aux jeunes qui en sortent que beaucoup s’expatrient. Suffisamment aussi, hélas, pour que ces écoles soient considérées comme élitistes et dans le collimateur du Ministère. C’est aussi parce qu’à l’étranger, on juge une école sur les gens qu’on connaît qui en sortent, et ces gens sur leurs qualités et leur instruction, et sur la recherche qui sort de ses labos. Ceci dit, vous avez globalement raison.

      • +1 un proche de ma famille prépa math sup math spé polytechnique et doctorat en electric je sais pas quoi bref tout ce qui concerne la micro et nano et la il donne des cours à chicago en plus de ses trvaux de recherche, je préise qu’il est fils de boursier à haut échelon donc quand on veut on peut

  • Le troisième mal est le manque d’autonomie. Les universités belges survivent dans un milieu étrangement similaire d’étatisme forcené, à une différence près: elles sont beaucoup plus autonomes (du moins jusqu’ici). Surprise, elles font bien mieux (7 universités dans le top500 pour la Belgique et 22 pour la France, 4 dans le top200 contre 8, mais pour une population 6x inférieure environ). La planification centrale de type soviétique ne fonctionne pas, que ce soit pour vendre des aspirateurs ou des cours de psycho.

  • Nuit debout est aussi un dommage collatéral de l’université francaise dans le sens où ces jeunes ont subi un véritable lavage de cerveau de la part de l’éducation nationale et puis des universités. L’enseignement francais est un lieu de propagande socialiste.

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