Cette démocratie américaine que nous comprenons si mal

Primaires US, ségrégation, Transgenres : les Européens éprouvent des difficultés à comprendre le débat public américain.

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Jasper Johns MoMa crédits Gary Denham (CC BY-SA 2.0)

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Cette démocratie américaine que nous comprenons si mal

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 9 avril 2016
- A +

Par Guy Sorman.

Démocratie américaine
Jasper Johns MoMa crédits Gary Denham (CC BY-SA 2.0)

Les Américains se querellent en ce moment pour des causes qui échappent à l’entendement des Européens. Considérez la loi tout juste adoptée en Caroline du Nord : elle contraint les gens pressés par des besoins naturels à fréquenter les toilettes correspondant à leur sexe tel qu’il figure sur leur acte de naissance. Bizarre ? Le but véritable et inavoué est d’interdire aux “transgenres” de choisir l’édicule qui conviendrait au sexe qu’ils décident d’assumer plutôt que celui dont ils ont hérité. On n’imagine pas, en Europe, une assemblée nationale ni locale saisie d’une pareille affaire.

Contre le mélange des genres

Mais aux États-Unis, le choix de la Caroline du Nord enflamme les esprits : la cause est devenue nationale. C’est que derrière le caractère anecdotique de cette décision qui, en vérité, concerne très peu de monde, se cache le non-dit que chacun devine : la Caroline du Nord prend ainsi une revanche indirecte contre le mélange des “genres” et particulièrement la légalisation du mariage homosexuel. Le refus d’accepter que la transsexualité existe, que l’on puisse choisir librement son sexe et, finalement, enfreindre le jugement de Dieu, tout cela explique la virulence du débat. Pour mémoire, une moitié des Américains ne croient pas en la théorie de l’évolution selon Darwin et considèrent que le récit biblique de la Création doit être pris au pied de la lettre. La plupart des écoles enseignent en parallèle les deux hypothèses, sans se prononcer.

En face, aussi véhéments, ceux qui soutiennent les droits des transgenres participent d’une tradition tout autant américaine : la défense des minorités, aussi minoritaires soient-elles. Le mariage des homosexuels étant une affaire désormais réglée par la Cour Suprême et non par les élus du peuple, les transgenres constituent un nouveau front de libération. Toilettes pour les transgenres, mariage homosexuel, et évidemment bataille sans fin autour de l’avortement s’expliquent par cette césure profonde entre le Conservatisme religieux, généralement Républicain, – à un degré inconnu en Europe – et les Progressistes, presque toujours Démocrates dits “libéraux”, qui ramènent tout débat de société à une guerre intérieure pour les droits civils.

Droits des minorités

Les transgenres, après les homosexuels, sont les Noirs d’aujourd’hui. À terme, les transgenres seront acceptés, car les minorités aux États-Unis finissent toujours par l’emporter dès l’instant où de bons avocats identifient leur revendication à celle des Droits civils. Mais après qu’ils seront acceptés, avec le droit d’avoir leurs toilettes, nul doute qu’une nouvelle minorité surgira pour mobiliser les deux camps. Pourquoi cette obsession autour des droits des minorités ? Sans aucun doute parce que l’Amérique est hantée par la sinistre mémoire de la ségrégation. À gauche particulièrement, on vit dans la terreur de quelque ségrégation nouvelle, aussi infime soit-elle, et que l’on transforme à la hâte en grande cause. Ces Progressistes libéraux, parfois, sont si excessifs qu’ils appellent en retour l’excès inverse : le racisme déclaré de Donald Trump, par exemple, contre les Mexicains et les Musulmans que nul en Europe, pas même dans les partis d’extrême-droite, n’oserait proclamer avec si bonne conscience.

Paradoxe : ces joutes verbales et légales ont peu d’influence réelle sur la société américaine qui est toujours plus diversifiée, bigarrée, métissée. En témoignent les recensements de population et tous les questionnaires que les citoyens américains doivent constamment remplir à l’occasion de toute démarche officielle : il faut, mais ce n’est pas une obligation, cocher une case correspondant à votre ethnie : Blanc, Noir, Indien, Asiatique, Polynésien… Il est proposé maintenant une trentaine d’options, il s’en ajoute chaque année, et les métis peuvent cocher plusieurs cases. Impensable en Europe ! De ce côté-ci de l’Atlantique, les discours politiques sont, dans l’ensemble, respectueux des différences mais, plus encore, ils les ignorent, comme si elles n’existaient pas. En vérité, en Europe, dans la société réelle, la ségrégation sociale et raciale est sévère comme en témoigne, partout, le chômage de masse des jeunes d’origine arabe.

La ségrégation de naguère explique cette différence américaine mais aussi le Droit constitutif des États-Unis.

Les Européens éprouvent quelques difficultés à comprendre le caractère sacré, inaltérable, de la Constitution, le pouvoir des États et le gouvernement des juges : aucun de ces trois fondements de la nation américaine ne se retrouve en Europe. Le Premier amendement à la Constitution des États-Unis (Bill of Rights, les dix premiers amendements, aussi importants que la Constitution elle-même) autorise à tout dire, sans retenue, ni censure : il est interdit d’interdire, si bien que les contraires cohabitent et se neutralisent. À l’extrême opposé, nous avons en Europe la laïcité française et belge, une véritable religion nationale indiscutable, voire répressive (interdiction du voile islamique, par exemple), qui ne reconnaît que des citoyens égaux alors qu’ils ne le sont pas. Voici pourquoi la société américaine est de mœurs démocratiques, tandis que l’Europe est républicaine mais pas toujours tolérante.

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  • Bonjour,
    Les Etats-unis ne sont pas une démocratie.
    L’électeur américain n’a pas le pouvoir d’élire son président, des « super » électeurs le font à sa place.
    Le culte des minorités aux Etats-unis vient de leur fédéralisme, qui ne peut exister que sur la division de leurs états et de leur population, un peu comme le courant européen.
    Ce modèle se s’imposera pas dans la durée.
    Le fédéralisme est un modèle social qui a vécu, prochainement les Etats des Etats-unis reprendront de l’importance, parce-que leur monnaie commune, le dollars, ne vaut plus rien.
    Il faut attendre que les Etats-unis s’écroulent, et investir chez eux après leur effondrement, pour tirer profit, d’ici 5 ans environs.

      • Super LOL! Le système fédéral est bien plus efficace et réactif qu’un système central unique où Paris, qui n’en a rien à battre, décide pour les Dom!

        L’auteur est gonflé d’affirmer que l’Europe est républicaine alors qu’il y persiste nombre de monarchies dont il ne faudrait pas négliger non pas le pouvoir (elles sont quasi toutes dans des régimes démocratiques représentatifs) mais le rôle et l’action, pour un coût souvent moins important qu’une présidence française au pouvoir personnel exorbitant, catastrophique une fois sur deux!

        Enfin, pour des boursiers INITIÉS, c’est maintenant le moment de faire des coups inespérés, en prenant toujours les mêmes mesures qui limiteront une perte toujours possible, évidemment!

    •  » Bonjour,
      Les Etats-unis ne sont pas une démocratie.
      L’électeur américain n’a pas le pouvoir d’élire son président, des « super » électeurs le font à sa place.  »

      Le vrai pouvoir au niveau fédéral c’est le Congrès qui lui est bien élu par le peuple. Et les gouverneurs des états et leur parlement sont aussi élu par le peuple. pareil pour les municipalité. Bref dire que les USA ne sont pas démocratique faudra repasser votre examen.

      D.J

    •  » parce-que leur monnaie commune, le dollars, ne vaut plus rien.  »

      C’est ce que j’entend sans cesse un peu partout et pourtant cette monnaie qui vaudrait plus rien est toujours la plus prisée par la majorité des investisseurs dans le monde.

       » Il faut attendre que les Etats-unis s’écroulent, et investir chez eux après leur effondrement, pour tirer profit, d’ici 5 ans environs.  »

      ça fait depuis la crise de 2008 que les USA devraient s’écrouler. J’attend toujours. Avant 2008 cela faisait des décennies que l’on évoquait le fameux déclin américains.

      D.J

      • « C’est ce que j’entend sans cesse un peu partout et pourtant cette monnaie qui vaudrait plus rien est toujours la plus prisée par la majorité des investisseurs dans le monde. »

        Le marché a tort, c’est pour cela que les pays socialistes s’emploient à rectifier cela avec des taux fixes.

    • A ARTISTE
      Je cite vos dires »Il faut attendre que les Etats-unis s’écroulent, et investir chez eux après leur effondrement, pour tirer profit, d’ici 5 ans environs. » VOUS parlez de la France, je suppose? si c’est la France, je suis d’accord avec vous…. attendons dans cinq ans ET NOUS RETIRERONS VITE NOTRE ARGENT!, vous voyez ce qui me chagrine c’est d’entendre des jeunes de France me dire: le métier de notaire- ( pas mal de parasites dans ce métier et de fils A PAPA, ON ACHETE UNE CHARGE, UN CONCOURS INUTILE NON RECONNU), de fonctionnaire SONT LES SEULS métierS qui ONT de l’avenir ( pauvres contribuables!)..= Si vous comparez les immigres intégrés aux usa, compares A ceux des Etats Unis, vous verrez la différence. Je comprends vos préjugés, en effet, quand je vois des émissions de FRANCE « LES ENFANTS ADOPTéS sont JETABLES AUX ETATS UNIS,c’est effarant, et moi je vous disET LA FRANCE avec la DDASS? …

      Pour votre information, le Congrès est bien élu par le peuple.. une grande difference…

  • Je ne comprends pas, j’ai laissé un commentaire sous cet article ce matin qui n’a pas été publié.
    Mon commentaire critiquait le fait de parler de « ségrégation raciale » en Europe et reprochait à M.Sorman d’idéaliser la société multiraciale américaine.
    Donc je me demande pourquoi un site qui se dit libéral censure certaines opinions contraires à l’auteur de l’article.
    Je précisé également qu’un de mes commentaires sous l’article « Allemagne : la déconfiture de Merkel attise le populisme » a aussi été censuré.

  • Le chômage d’une partie de la population n’est en aucune manière la preuve d’une ségrégation. C’est une affirmation sortie de nul part.

  • « Pour mémoire, une moitié des Américains ne croient pas en la théorie de l’évolution selon Darwin et considèrent que le récit biblique de la Création doit être pris au pied de la lettre. La plupart des écoles enseignent en parallèle les deux hypothèses, sans se prononcer. »

    Et alors ? Les créationnistes sont ils responsables de la mort de 200 millions de personnes pour qu’ils soient la cible d’une telle hostilité ? Ce qui gène les progressistes, c’est de voir des gens fières, surs de leurs convictions, droit dans le bottes, qui ne lâchent pas un centimètre.

    • oui, je peux vous le dire, ils laissent les etudiants rediger un essai sur les deux theses Bing Bang versus creationnisme. C’est hillarant,, j’approuve, pourquoi pas? j’en ai lu pas mal de copies….et vous divisez la classe les creatiionnistes versus les Darwinistes.. c’est un cours democratique.. je vous assure.. je l’ai fait!!! j’approuve, faites le.. et respectez les opinions sur Darwin et la Bible,!!! il faut etre neutre comme un chercheur, un vrai. le voile, la burqua aussi, je l’ai fait!!!

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