La droite américaine à l’écoute de la société civile

La droite américaine s’inspire de thèmes conservateurs venant de la société civile. Qu’en est-il en France ?

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The jeffersonian County republican party crédits Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)

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La droite américaine à l’écoute de la société civile

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 mars 2016
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Par Émilien Halard

The jeffersonian County republican party crédits Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)
The jeffersonian County republican party crédits Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)

Dans le numéro de décembre de la revue conservatrice National Review, Ramesh Ponnuru faisait remarquer que le débat de la primaire républicaine tendait surtout à déterminer lequel des prétendants est le plus « conservateur » (avec la signification spécifique de ce terme aux États-Unis ; en français, on se demanderait plutôt lequel est « le plus à droite »).

Le journaliste regrette que le débat ne tourne pas plutôt autour des actions concrètes que les candidats s’engageraient à prendre, une fois parvenus au pouvoir.

La situation est d’autant plus paradoxale que la société américaine regorge d’organisations défendant des causes spécifiques et disposant de moyens suffisants pour se faire entendre.

Ramesh Ponnuru relève deux exceptions à cette absence d’exigences précises vis-à-vis des candidats républicains.

Serment de ne pas augmenter les impôts

Ainsi, les « Americans for Tax reform » ont demandé aux candidats de prêter le serment de ne pas augmenter les impôts.

De même, différentes associations de défense de l’économie de marché ont érigé en condition sine qua non de leur soutien la suppression de la Banque d’import/export.

En effet, cette agence de crédit aux exportations américaines, créée par le gouvernement US en 1945, est vivement critiquée outre-Atlantique pour avoir favorisé certaines entreprises au détriment des intérêts des contribuables américains.

Des engagements concrets

Ramesh Ponnuru estime qu’il faudrait aller plus loin. Il expose une série d’engagements que les électeurs devraient demander à leurs candidats.

Ces engagements sont le reflet des questions qui agitent la société américaine. Ils n’ont donc pas nécessairement d’échos dans la société française. Néanmoins, à l’approche des primaires républicaines françaises, il est intéressant de savoir sur quels points les candidats américains sont interpellés par leur société civile.

Le mouvement pro-life

Le premier point soulevé par l’auteur est un grand classique des élections américaines, à savoir la question de l’avortement.

L’engagement attendu des candidats républicains est qu’ils mettent fin au financement public des cliniques pratiquant l’avortement. On notera qu’en France, Marion Maréchal-Le Pen s’était engagée, lors des dernières élections régionales, à mettre fin aux subventions accordées au Planning familial.Toutefois, la raison mis en avant par Marion Maréchal-Le Pen était différente, puisqu’elle accusait le Planning familial d’être une organisation politisée servant à recycler les militants de gauche.

Le Conseil général de Vendée avait également refusé d’accorder des subventions au Planning familial, pour des raisons tenant sans doute aux convictions pro-vie de son président. Mais la question de ces subventions n’avait pas été au cœur de sa campagne électorale.

Autre engagement dans la même thématique pro-vie mais beaucoup moins polémique cette fois : la fin du financement par l’État des recherches sur les cellules souches impliquant la destruction d’embryons humains.

Ponnuru fait valoir non seulement les traditionnels arguments pro-vie mais également les progrès de la science qui permettent désormais d’aboutir aux mêmes résultats sans avoir à détruire d’embryons.

Lors de la révision de la loi de bioéthique durant l’été 2013, Marion Maréchal-Le Pen avait, en tant que député, demandé l’interdiction totale des expériences détruisant des embryons. Une partie de la droite avait quant à elle fermement bataillé pour que la libéralisation de ces expériences n’aille pas trop loin.

La régularisation des immigrés clandestins

Le point suivant est tout aussi clivant mais beaucoup plus en phase avec le débat politique français. Il est demandé aux candidats de mettre fin au statut quasi-légal accordé par Barack Obama aux immigrés clandestins.

On pensera en France à la question de la régularisation des sans-papiers. Ainsi, Alain Juppé propose de conditionner l’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés en France à la régularité du séjour d’au moins un des deux parents au moment de la naissance. Et comme la plupart de ses concurrents, il souhaite durcir les conditions du regroupement familial.

L’importance de ce thème dans les primaires républicaines françaises tient sans doute surtout aux récents scores du Front national.

Liberté de conscience et mariage homosexuel

Sur la question de la liberté de conscience et du mariage homosexuel, la requête de notre journaliste américain est assez modeste. Il évoque une proposition de loi émise par un Sénateur républicain. Cette proposition de loi visait à empêcher le gouvernement fédéral de pénaliser des personnes ou organisations au seul motif qu’elles s’opposent au mariage homosexuel ou à l’homosexualité.

L’un des enjeux implicites de cette proposition de loi est de garantir aux églises conservatrices opposées au mariage homosexuel de continuer à bénéficier des exonérations fiscales accordées aux organisations religieuses.

Cette demande peut paraître peu exigeante vis-à-vis d’un candidat républicain. Mais il faut dire que l’opinion publique américaine a connu un impressionnant changement en faveur du mariage homosexuel.

En France, la situation est assez différente puisque la Manif pour tous constitue le plus important mouvement de société du quinquennat de François Hollande.

En outre, la primaire républicaine a toujours été la raison d’être de la Manif pour tous. En effet, le mariage homosexuel est un des rares sujets à faire consensus à gauche. Il était évident que le gouvernement n’allait pas reculer devant des manifestations composées presque exclusivement d’électeurs de droite. Le seul objectif de la Manif pour tous ne pouvait être que d’influencer la prochaine majorité de droite.

Pour l’instant, le projet de la Manif pour tous est un échec, puisque aucun des grands candidats ne s’est prononcé en faveur de l’abrogation du mariage homosexuel. Seul François Fillon s’est engagé à limiter les possibilités d’adoption pour les couples homosexuels.

Il semble que les candidats républicains pensent anticiper une évolution de l’opinion française vers une plus grande acceptation des revendications LGBT.

Les droits de la défense

Une autre attente de Ramesh Ponnuru concerne la lutte contre le harcèlement sexuel à l’université. L’auteur souhaite l’abrogation de circulaires émises par l’administration Obama.

En effet, ces circulaires demandent aux universités de faciliter la preuve de faits de harcèlement sexuel, en étant moins exigeantes sur la fiabilité des faits dénoncés.

La requête du journaliste américain peut paraître surprenante pour un Français habitué à voir chez les républicains américains le parti de « l’Amérique puritaine et conservatrice ».

Mais il ne faut pas oublier que les droits de la défense font partie intégrante, au même titre que la liberté religieuse (premier amendement) ou que le droit de porter des armes (second amendement), du « Bill of rights », c’est-à-dire des droits protégés par la Constitution, et donc férocement défendus par les conservateurs.

La question des droits de la défense risque de resurgir de façon inattendue dans les primaires françaises. En effet, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé souhaitent tous deux créer un délit de consultation des sites Internet djihadistes. On devrait donc assister à de sérieux débats sur les droits de la défense et la liberté de l’information.

Discrimination positive pour les minorités raciales

Enfin, Ramesh Ponnuru demande à revenir sur une autre série de circulaires de l’administration Obama. Il s’agit d’instructions données aux établissements scolaires sur leurs politiques disciplinaires.

Ces circulaires demandent à ce que les élèves noirs et hispaniques ne soient pas sanctionnés plus souvent que les autres. Et cela quand bien même les élèves noirs et hispaniques auraient plus que les autres des comportements déviants dans certaines écoles.

On est là dans une dimension ouvertement raciale de la discrimination positive. Cette approche n’a jamais été appliquée en France. Chez nous, les politiques de discrimination positive se sont toujours fondées sur des logiques d’aide à des territoires défavorisés.

Même si ces territoires défavorisés ont de facto une forte population d’origine immigrée, le critère ethnique n’est pas utilisé. Et personne ne songe sérieusement à y recourir tant il s’oppose à l’esprit même de nos institutions.

Trois mois après la parution de l’article de la National Review, force est de constater que les débats des primaires se sont focalisés sur la personnalité du candidat Donald Trump au détriment des discussions de fond sur les projets présidentiels.

Il reste à voir ce qu’il en sera lors des primaires françaises à droite.

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  • J’espère qu’à ces sujets mineurs mais « tendances » s’ajoutera une vraie réflexion sur le ibéralisme économique et ses bienfaits.

    Les sujets privés devraient le rester..

    Mare de la dictature de ceux qui décident pour autrui.

  • Les commentaires sont fermés.

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