Par Stéphane Pere, Chief Data Officer de The Economist.
Le monde a vu exploser la collecte de données. Nos localisations, nos comportements, nos habitudes et nos interactions sont tous transformés en données. Dans le passé, récolter des données coûtait très cher mais la possibilité qu’ont aujourd’hui les entreprises de le faire facilement et à un moindre coût leur redonne tout leur intérêt.
Pour preuve, nous sommes passés d’un monde de la causalité à celui de l’exploration des corrélations. Prenons par exemple Walmart, qui a utilisé la data pour prévoir les tendances d’achat. Quand un orage était annoncé, Walmart savait que les lampes de poche se vendaient bien et anticipaient cette forte demande en achetant plus de stock. En exploitant son Big Data, le distributeur a aussi découvert un phénomène plus étonnant : il se vendait aussi beaucoup plus de Pop Tarts, ces petites grillardises aux parfums très divers, à ce moment-là. La causalité voudrait qu’on constate que les gens achètent des lampes torche quand le temps est orageux. La mise en corrélation des données montre, elle, qu’ils achètent aussi ces friandises.
Pour libérer tout le pouvoir de la data, les entreprises se doivent de lutter contre la territorialité et de briser les silos en matière de données. Et pour explorer ces corrélations, ces dernières doivent aller encore plus loin en couplant autant de données qu’elles le peuvent : clients, prospects, digitales, comportementales, transactionnelles, marketing, « third-party », etc.
Problème : ces données appartiennent généralement à des départements différents et ceux qui y travaillent ont tendance à être trop possessifs, comme atteints par le syndrome de Gollum. On les entendrait presque chuchoter « mes clients, mes contacts… mon précieux ».
Un atout d’entreprise indéniable
Nous savons que le Big Data représente un atout stratégique et qu’il peut très rapidement devenir une partie intégrante de l’évaluation boursière d’une entreprise. Beaucoup ont utilisé cette expression d’ «enjeux de marque ». Si on regardait la valeur boursière d’une entreprise, environ 40 % de cette dernière étaient alloués à la marque. En 2014, Coca-Cola était à 45 % évaluée grâce à la marque par exemple.
Mais, fait intéressant : la valeur de marque de Google était de 28 %, celle d’Apple et d’Amazon de 16 % et celle de Facebook de seulement 6 %1/ Doit-on penser que ces entreprises, mieux connues sous le nom de GAFA, ont un problème de marque ? Absolument pas. Ont-elles un problème d’évaluation boursière ? Peut-être.
Mais, on peut surtout se dire que la force de ces entreprises réside dans leurs facultés à contrôler, récolter et à donner un sens aux données à grande échelle.
Influer sur les revenus
Chez The Economist, le produit, le public, le client, le consommateur en général et les résultats des campagnes sont de véritables leviers ; et nous nous appuyons sur nos capacités de ciblage et de personnalisation afin d’être de bons marketers et de fournir à nos partenaires publicitaires des solutions marketing efficaces.
Cette démarche nous aide à accroître nos revenus publicitaires, promouvoir notre marque, réduire nos coûts d’acquisition et à fidéliser nos clients. D’ailleurs, elle nous sert aussi à identifier de nouveaux business, des flux de revenus et des opportunités produit.
Où commencer ?
Avec le Big Data, on doit voir les choses en grand, mais commencer petit. Un éditeur débutera idéalement son aventure en investissant sur les capacités de données qui génèrent un revenu : la publicité. Avec l’avancée de la programmatique et du RTB, le secteur de la publicité devient un marché automatisé et guidé par la data. Les espaces publicitaires au CPM sont en baisse à cause de l’explosion de l’offre en rapport à la demande et des problématiques de visibilité et de trafic non-humain. Les marques elles-mêmes veulent devenir des éditeurs, et la data leur sert parfois à transformer ces tendances en opportunités.
Et la Data Management Platform (plate-forme de gestion des données) est d’une grande aide puisqu’elle les aide à vendre des formats, combinés à la data dans un environnement programmatique, à cibler et à monétiser leurs audiences au-delà de leurs propres plateformes. Ils peuvent s’appuyer sur leurs data en propre, celles qu’ils récoltent de leurs audiences et puiser dans les data « third-party » à disposition sur le marché. Grâce au ciblage sur les réseaux sociaux, les plateformes vidéo et mobile, les éditeurs qui possèdent des audiences décisives peuvent aspirer à de plus gros investissements en matière de publicités. Ils peuvent aussi produire et promouvoir du contenu à destination de marques et mesurer la portée effective de leur campagne et l’engagement qui s’en suit.
Toute cette démarche peut ensuite servir de levier à l’acquisition de nouveaux clients. The Economist a d’ailleurs reçu un Lion de bronze dans la catégorie Meilleure utilisation de la Data lors des derniers Cannes Lions.
Pour identifier nos clients potentiels, nous avions étudié d’abord notre cœur d’audience. Les données nous ont aidés à cartographier leurs intérêts et à identifier leurs attributs de profil. Ensuite, nous avons pu cibler leurs « lookalikes » dans un contexte adapté et avec des contenus créatifs pertinents. Par exemple, un client potentiel, qui chérirait des causes libérales et la technologie, et qui lirait un article au sujet de la NSA sur le site d’un autre journal verrait apparaître cette bannière « Cette publicité sait qui vous êtes. Alors, comment vous sentez-vous ? A/ Spécial B/ Espionné. » Après avoir cliqué, il serait redirigé sur une page spécifique avec un article de The Économist sur la confidentialité et le suivi de données. Il serait alors libre d’en découvrir plus ou de souscrire un abonnement.
En plus d’identifier les prospects, nous utilisons aussi la data pour optimiser la conversion. Nous étions capables de comprendre quels attributs et contenus créatifs conduisaient à une plus grande conversion. Nous avons même créé des poules de « clients en devenir » que nous pouvions cibler à nouveau avec des offres spéciales.
La connectivité est la clé au sein du Big Data : pas seulement celle entre les données et les différentes technologies mais surtout celle entre les gens.
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Stephane Pere, @stephanepere, est le Chief Data Officer de The Economist.
- Ratio de la valeur de marque établie par le classement Interbrand 2014 et de la valorisation d’entreprise en fin décembre sur le marché boursier ↩
A force d’écrire quotidiennement en anglais, on finit par donner l’impression d’une mauvaise traduction en français (je ne vous en veux pas, ça m’est aussi arrivé). J’ai toutefois aussi un reproche sur le fond : je retrouve dans cette vision du traitement du big data la même position que celle de nos politiciens, le « nous savons mieux que vous comment faire votre bonheur avec vos sous/données et vous verrez que vous nous en remercierez ».
En tant que consommateur de base, ça n’est pas les Gollum en haut lieu que nous devons craindre mais ceux qui veulent notre bonheur insoutenable : faire de nous des THX 1138.
Etant moi-même consultant en BI Agile et Big Data, je ne peux que souscrire à cette analyse, particulièrement vraie dans les entreprises françaises où l’on peut constater ces comportements :
-la donnée m’appartient, je ne veux pas que vous (les autres départements) y accédiez sans contrepartie voire pas du tout car j’ai eu des mots avec votre n+5.
-la donnée m’appartient, je veux bien vous aider à faire votre travail -ne serait-ce que pour qu’on ne puisse pas me le reprocher- cependant rien ne se fera en automatique car vous pourriez mal interpréter les chiffres.
-le Big Data m’enthousiasme, je connais au moins les trois premiers V sur le bout des doigts. Mais pas question d’investir quelques k€ dans une architecture idoine permettant de gérer quelques centaines de millions d’enregistrement ou pire encore des milliards.
le tout sur fond de bisbilles entre métiers, MOE et MOA…