Numérique contre culture : la menace fantôme

Comment les industries culturelles font face au numérique ? La culture est-elle soluble dans la data ?

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Casper le fantôme (Crédits : Stu_wp, licence CC BY-NC 2.0)

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Numérique contre culture : la menace fantôme

Publié le 5 décembre 2015
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Par Farid Gueham.

Casper le fantôme (Crédits : Stu_wp, licence CC BY-NC 2.0)
Casper le fantôme (Crédits : Stu_wp, licence CC BY-NC 2.0)

Pour les entreprises du secteur culturel, ignorer la nécessité urgente de se renouveler et de s’adapter, c’est tourner le dos délibérément à  l’innovation et à la croissance. La multiplication et l’échec des tentatives règlementaires afin de protéger la culture sont les preuves incontestables que l’avenir est conditionné par cette évolution nécessaire. Avec internet, la frontière entre les producteurs et les consommateurs de biens culturels s’estompe chaque jour un peu plus. C’est l’avènement de la production des masses, des partages libres et gratuits, des contenus qui développent de nouveaux modes de création. Non, les nouveaux usages du numérique ne tueront pas la musique, le cinéma, ou le livre mais ils remettent en question les business modèles et les logiques économiques qui ont dominé ces secteurs jusqu’à présent. C’est le message d’Emmanuel Durand, vice-président web marketing chez Warner, dans son ouvrage « la menace fantôme : la menace fantômeles industries culturelles face au numérique », publié aux éditions Presse de Sciences Po, nouveaux débats. Pas de catastrophisme, ni de révolution numérique cataclysmique donc, mais un mémento bienveillant, pour appréhender plus sereinement les nouvelles lois du monde de la production culturelle à l’ère numérique.

Comment les industries culturelles font face au numérique ? La culture est-elle soluble dans la data ?

Tout d’abord, il faut se demander si les industries culturelles ont réussi, ou non, à prendre le train du numérique. Une question d’autant plus complexe qu’il n’y a pas une seule mais plusieurs industries numériques : l’industrie de la musique tout d’abord, celle qui a essuyé les plâtres pour les autres et pour laquelle on ne peut pas dire que la transition fut particulièrement douce. Les nouveaux entrants dans l’industrie culturelle en ont tiré des enseignements : ils nouent des liens directement avec les consommateurs, en prenant des positions très marquées, presque intimes, qui chamboulent les modèles économiques du secteur. Les schémas de valeurs s’en trouvent inversés, ce n’est plus le catalogue qui a de la valeur mais la relation consommateur. Et ces changements de paradigmes sont souvent difficiles à comprendre pour des acteurs qui doivent les intégrer, au pas de course.

Plus une évolution qu’une mutation : dans l’avenir, les grandes entreprises comme Warner seront toujours des producteurs et des distributeurs de contenus.

Dans le secteur de la musique notamment,  les entreprises qui ont survécu sont celles qui ont adopté une stratégie de portefeuille, celles qui ont réussi à diversifier les sources de revenus. Lorsque la musique a commencé à vraiment souffrir de la chute vertigineuse de ventes du CD, puis des MP3, la stratégie gagnante était de voir large, d’étendre les activités de tourneurs, pour les concerts, la publicité et les films. Le secteur de la musique, comme celui des films a été frappé de plein fouet par une perte de valeur initiale : les clients achètent de moins en moins de dvd et s’orientent  volontiers vers la VOD et les abonnements du type Netflix. Comme les autres géants de l’audiovisuel et de la musique, Warner doit diversifier ses sources de revenus. C’est déjà le cas aujourd’hui avec une offre de séries tv, de jeux vidéos, etc… Les groupes misent aujourd’hui sur les licences, comme la franchise « Harry Potter ».  Les consommateurs sont en demande d’une expérience plus étendue que la consommation simple du bien culturel. Ils développent un lien affectif, qu’ils entendent dérouler sur le long terme. Une commande qui reste en bien des aspects dans le cœur de métier des géants des médias, à savoir, raconter des histoires, peu importe le support.

Les datas peuvent aider à concevoir ces expériences sociales d’après-salle, pour accompagner le spectateur.

Les musées n’ont pas attendu pour monétiser, avec les boutiques, qui se placent toujours en fin de parcours. Alors qu’au cinéma, une fois le film fini, on se contente de rentrer à la maison. Et l’exploitant n’a qu’une envie, faire sortir les spectateurs le plus vite possible pour faire rentrer les suivants à la prochaine séance. Les distributeurs de cinéma seront amenés à envisager les investissements d’infrastructures, qui permettront d’offrir un accompagnement numérique du public, pour prolonger l’expérience cinématographique.

La data permet aussi de formater les contenus, de les rendre plus attractifs en intégrant les souhaits des internautes.

La data peut-elle être au service de la culture et de la création ? Le débat passionne. Les défenseurs du jet créatif redoutent une écriture contrainte par les algorithmes. Les scénaristes de la série « House of Cards » confessaient avoir recours et à la création intuitive et à la data dans un ratio de l’ordre de 70 et 30. Les données d’usages du site Netflix, permettaient d’anticiper les attentes des téléspectateurs. Mais jamais la data ne viendra se substituer au génie créatif d’un bon scénariste affirme Emmanuel Durand « la data, c’est un programme qui va permettre de faire des améliorations, à l’intérieur d’un système, mais cela ne permet pas de questionner ce même système. Une bonne création est, avant tout, une rupture, c’est quelque chose qui doit surprendre ». Créer un scénario avec de la data, dictée par les internautes, c’est possible donc. Mais pas forcément heureux. «  La data, c’est d’abord un outil. On peut l’utiliser, bien ou mal, de la même manière que l’on peut se tromper avec une perceuse, il faut bien l’utiliser et dans l’avenir la data, ce sera comme le ménage, cela se remarquera uniquement quand c’est mal fait » ajoute le vice-président de Warner France. Il est vrai que lorsque le logiciel « auto-tune », un correcteur de voix qui faisait son apparition, il y a plusieurs années, on criait à la mort de la création. Les critiques ont rapidement réalisé que même avec de l’aide, n’était pas auteur ou interprète qui veut.

La data, c’est aussi le risque d’une offre uniformisée standardisée.

Car la data impacte la création, mais aussi la distribution. Internet est concentrateur de consommation. Prenons l’exemple de « Spotify », malgré les 2 millions de titres présents sur la plateforme, l’intégralité ou la quasi-totalité des écoutes vont se concentrer sur les 10 ou 100 premiers artistes. Il y a donc un véritable enjeu à exposer correctement une véritable diversité culturelle, pour le bien de la culture, mais aussi pour celui du public qui n’aura plus le choix de sa consommation. De ce point de vue, la data doit être un outil qui doit permettre d’exposer les contenus de façon plus sensée et plus hétérogène.  À l’exception de quelques projets ambitieux, la quasi absence ou faible utilisation des datas par les industries créatives et culturelles, les « ICC » , relèvent d’un double obstacle : une frilosité liée à un manque d’expérience, de savoir-faire ou de moyens pour les utiliser, mais aussi l’impuissance de ces industries à tenir tête aux nouveaux géants, les GAFA, qui captent et drainent les données, sans retour ni réciprocité. Ce rapport de force pourrait évoluer grâce au développement d’une véritable culture de la data. Enjeu culturel, éthique, économique, les industries culturelles devront s’engager non seulement dans des stratégies de valorisation et de partage de la data collectée, mais aussi dans la mise en perspective de la compréhension des algorithmes, désormais parties prenantes de la consommation culturelle.

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