Réfugiés : la fracture européenne

Le clivage sur l’accueil des réfugiés concerne toute l’Europe.

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Réfugiés : la fracture européenne

Publié le 21 novembre 2015
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Par Corinne Deloy.

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L’Europe centrale contre les quotas

Le parlement hongrois vient d’adopter, le 3 novembre, par 141 voix pour (27 contre et une abstention) une résolution réclamant à la Commission européenne d’annuler la répartition des réfugiés entre les États membres. Le traité de Lisbonne autorise en effet les États membres à demander à la Commission de revenir sur une décision s’ils peuvent démontrer que celle-ci serait plus efficace en étant prise au niveau national. Cette initiative doit être votée par les parlements d’un tiers des États membres, soit de dix pays, pour que la procédure puisse être lancée.

Le gouvernement de Viktor Orban (Alliance des jeunes démocrates, Fidesz) appuie également la Slovaquie qui envisage, elle, de déposer plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la décision du Conseil européen de répartir 120 000 réfugiés entre les États membres. Les deux États membres doivent se décider avant le 18 décembre, la plainte devant être obligatoirement déposée dans les deux mois qui suivent la décision impliquée.

Depuis des mois, les pays d’Europe centrale se battent contre les quotas de réfugiés que Bruxelles veut mettre en place pour répondre à l’afflux de personnes arrivant de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak et d’autres États du Moyen-Orient ou d’Afrique en Europe.

Le 4 septembre dernier, les quatre pays qui forment le Groupe de Visegrad (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie) ont exprimé leur refus des décisions de Bruxelles. Varsovie s’est ensuite désolidarisé de ses trois partenaires, le président du Conseil européen et ancien Premier ministre polonais (2007-2014) Donald Tusk (Plateforme citoyenne, PO) ayant convaincu la chef du gouvernement polonais de l’époque Ewa Kopacz (PO) de modérer son discours.

La Pologne, qui se voit comme l’un des « grands » États de l’Union et pour laquelle l’impérialisme du grand voisin russe constitue la principale menace pour l’Europe, sait que si elle veut que Bruxelles s’implique dans la gestion de sa frontière orientale, elle doit participer à la gestion des réfugiés venus du Sud.

Du poids de l’histoire

La position des pays d’Europe centrale s’explique en grande partie par leur histoire. Nations formées à partir d’une langue et d’une culture, et parfois d’une religion, par conséquent plus homogènes sur les plans culturel et ethnique que les États d’Europe occidentale, ces pays, qui sont des terres d’émigration, se vivent comme les garants de la civilisation européenne qu’ils ont défendue à plusieurs reprises lorsqu’ils ont dû lutter contre l’empire ottoman, puis lorsqu’ils ont résisté au totalitarisme soviétique. Au nom de cette identité européenne, ils se posent aujourd’hui en rempart contre l’islam, religion de la majorité des réfugiés qui arrivent en Europe, qu’ils voient comme une menace pour la culture européenne.

En Europe centrale, l’arrivée de réfugiés a provoqué un repli des populations, et des élites, de ces pays sur elles-mêmes et plus précisément sur leur souveraineté étatique, à laquelle ils sont d’autant plus attachés qu’elle est une acquisition récente.

Les États d’Europe centrale n’ont pas de passé colonial et ne sont pas des pays d’immigration. Enfermés derrière le rideau de fer durant plus de quarante ans, les Hongrois, Polonais et autres Tchèques et Slovaques n’ont eu que très peu de relations avec des populations extra-européennes. Ils ont une vision très négative des conséquences de l’immigration en Europe occidentale et sont fortement opposés à tout multiculturalisme. « En dépit des apparences, le communisme a eu un contenu ethnique très prononcé. Il n’a pas préparé les gens à se confronter à un monde extérieur, présenté comme suspect et dangereux. Dans des pays comme la Pologne, il a créé une société ethniquement homogène, au moment où la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, pour le meilleur ou pour le pire, se confrontaient au modèle libéral des sociétés multiculturelles » affirme l’historien américain Thimothy Snyder1.

Il ne faut cependant pas caricaturer ni oublier que les pays d’Europe centrale (et orientale) ont à plusieurs reprises accueilli de nombreux réfugiés, venus d’ex-Yougoslavie à la fin du XXe siècle, et aujourd’hui d’Ukraine, d’Albanie, du Kosovo ou de Serbie.

La perception de l’identité européenne est bien le point central à partir duquel se déploient les réactions et les positions des différents États membres, et plus largement des Européens eux-mêmes, face aux réfugiés venus du Moyen-Orient ou d’Afrique. Les États de la partie orientale de l’Union, dans lesquels existe toujours un sentiment d’infériorité par rapport à leurs partenaires de l’Ouest, sont également souvent prompts à s’élever contre tout ce qui peut ressembler à un diktat. La déclaration du ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière (Union chrétienne-démocrate, CDU), qui proposait de priver des fonds structurels européens les pays qui n’accepteraient pas la répartition par quotas n’est sans doute pas la meilleure réponse à apporter au clivage actuel. « Punir des États membres qui exprimeraient une opinion divergente serait la fin de l’Europe » a déclaré le 16 septembre dernier le Premier ministre slovaque Robert Fico (Direction, SMER).

Le clivage sur l’accueil des réfugiés concerne toute l’Europe. La question divise également les populations de l’Ouest du vieux continent même si les dirigeants de ses pays se montrent pour l’heure, solidaires et favorables à une solution européenne. Le refus de recevoir sur son sol les personnes qui fuient la guerre ou des régimes politiques liberticides se mêle à l’euroscepticisme et révèle le malaise actuel de l’Europe, de toute l’Europe. Il ne s’agit pas de punir ou d’imposer mais bien de mettre en place au plus vite une politique d’asile européenne et de développer les capacités d’intégration de l’Union sous peine de voir le projet européen, déjà mis à mal par la poussée des populismes, se décrédibiliser encore un peu plus.

« L’évolution des pays de l’Est vers des identités politiques plus complexes et multiples que la simple identité nationale dépendra en grande partie de la capacité de l’Europe à apporter une réponse collective et solidaire à la crise des réfugiés, à travers une politique commune d’asile et d’immigration. Laisser les gouvernements gérer chacun de leur côté ces questions, c’est ouvrir la voie au populisme » écrit Timothy Snyder2.

Sur le web

Lire aussi sur Contrepoints notre dossier crise des migrants

  1. La Croix, 9 octobre 2015.
  2. Ib.
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  • il ne s’agit pas de punir ou d’imposer……en france , le multiculturalisme nous a bel et bien été imposé et ce depuis 45 ans , sous l’ère giscard ; ce n’est pas une mauvaise chose que d’avoir de l’immigration dans un pays , mais encore faut il que ce soit utile audit pays mais aussi et surtout que ceux qui viennent chez nous , en france , en europe , ne nous impose pas leur façon de vivre et ne refuse pas la notre .

  • Les peuples polonais, hongrois, serbes, roumains .. subissent les moqueries des médias aux ordres, parce que ce sont des peuples qui ont vécu le « socialisme réel » dans leur chair. Ces peuples sont notre bouée de secours face au collectivisme de nos pays et de l’UE.

    On nous FORCE à être solidaires. On prend l’argent des impôts, de la solidarité forcée pour le donner de manière indifférenciée. On empêche des communes de n’accepter que les réfugiés chrétiens. On empêche la solidarité de s’exercer naturellement.

    Solidarité et ethnocentrisme sont liés. On aide plus volontiers ses cousins, ses voisins et ceux qui partagent les mêmes valeurs. Malheureusement pour nous ceci est est contraire aux idéologies « fraternelles » et humanistes de nos maîtres.

    • totalement d’accord. j’ai remarqué que dans les endroits (par exemple campagne) où les gens étaient plus xénophobes, ils avaient tendance à être bcp plus solidaires entre eux (càd envers leurs proches, les gens qu’ils connaissent) tandis que dans les endroits (par exemple grandes villes) où les gens étaient ouverts aux étrangers, ils avaient tendance à ne pas être solidaires envers leurs proches. Les immigrationnistes sont souvent des hypocrites qui n’aident pas leurs propres proches

  • Si je reprends la phrase de l’historien américain Thimothy Snyder cité dans l’article : « …en dépit des apparences, le communisme a eu un contenu ethnique très prononcé… », nous avons là un bel exemple de l’échec non seulement sur le plan humain, social, économique mais aussi de l’idéologie communiste qui se réclamait internationale. C’est une façon de reconnaître que son influence peut avoir des résonances…mais seulement (et encore ?) régionales au sens que nous donnons à cette notion en France.

    Par ailleurs, l’auteure de l’article est comme beaucoup d’intellectuels (tout du moins qui se réclament de l’intellectualité) déconnectée des préoccupations du peuple. D’où les difficultés que nous avons en France dans la mesure où notre pays est géré par des gens de cette nature.

    La doctrine socialiste française, très proche du communisme dans la mesure où chaque jour qui passe nous réserve son lot d’immixtion de l’état dans nombre de nos actes quotidiens (bientôt il faudra demander l’autorisation d’aller aux toilettes et pourquoi pas payer une taxe ?) conduit notre pays à la faillite.
    De plus avec les accents guerriers que nous prenons (seuls, les autres ne sont pas fous…) » la note » humaine sera encore plus salée (elle l’est déjà…).

  • La Pologne est aujourd’hui dirigé par les conservateurs qui doivent leur victoire en partie grâce (à cause) de l’UE qui a obligé le gouvernement polonais à accepter des migrants alors que les polonais n’en voulaient pas. Or les conservateurs ne veulent pas de migrants

    • La Pologne a d’ailleurs à la suite des attentats de Paris dit qu’elle avait l’intention de ne pas respecter ses engagements européens pour les quotas. Le nouveau gouvernement va tout faire pour ne pas avoir de migrants en Pologne

    • « La Pologne, … pour laquelle l’impérialisme du grand voisin russe constitue la principale menace pour l’Europe, sait que si elle veut que Bruxelles s’implique dans la gestion de sa frontière orientale, elle doit participer à la gestion des réfugiés venus du Sud. »

      A science po, on « sait » manier la menace géostratégique !

      La Pologne a fait confiance à l’OTAN et non à l’Europe. Que pourrait-elle attendre en particulier de l’Europe contre le méchant ogre russe ? Ce pays se souvient autant de son voisin de l’Est que de son voisin de l’Ouest…

  • Cette crise migratoire est littéralement entrain de tuer l’UE et Schengen. Le fait de vouloir accepter des migrants alors que la majorité de la population n’en veut pas est suicidaire pour l’UE.
    Si les eurocrates veulent sauver leur UE, ils doivent accepter de remettre en cause leur idéologie immigrationniste

  • L’auteur oublie de souligner qq chose de très important. Pas mal de pays d’Europe de l’Est ont vécu (parfois pendant plusieurs siècles) sous le joug de l’Empire Ottoman qui s’est comporté de manière barbare avec eux ce qui explique qu’ils ne veulent pas de musulmans chez eux.
    C’est particulièrement vrai pour la Hongrie où 3 millions d’hongrois ont été réduits en esclavage par les Ottomans.
    L’histoire de la Hongrie explique pourquoi les hongrois refusent d’avoir des musulmans chez eux.

    « La question divise également les populations de l’Ouest du vieux continent » ha bon ? dans la plupart des états d’europe de l’ouest la majorité de la population ne veut pas de cette immigration

    • Il y a surtout une fracture entre la soi disante élite (complètement déconnectée de la réalité) immigrationniste et le peuple (devant subir cette réalité) qui en majorité ne veut pas de cette immigration.

  • L’Europe de l’Est n’est pas suicidaire et cela agace certains.

    Si la démocratie a un sens, la moindre des choses c’est de respecter l’avis de la population même si cette dernière apparaît comme « réactionnaire » pour les élites dites éclairées.

    Et pour aider les réfugiés il y a des organisations internationales financées, en principe, par tous les pays.

    Si les Allemands dans leur insondable bêtise veulent faire plus, libre à eux mais il faut arrêter de culpabiliser les européens de l’Est qui sont lucides quant aux conséquences désastreuses de l’accueil des réfugiés du Moyen Orient.

  • « Le parlement hongrois vient d’adopter, le 3 novembre, par 141 voix pour (27 contre et une abstention) une résolution réclamant à la Commission européenne d’annuler la répartition des réfugiés entre les États membres. »

    Personne ne devrait être surpris d’une « fracture » quand les politiciens de certains pays européens agissent en faisant fi de la volonté de leurs peuples …

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