Par Christian Kpangui Hyppolite.
Après la longue crise militaro-politique qu’a connue la Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara prend effectivement le pouvoir en mai 2011. Il est face à une division des couches sociales et politiques qu’il se doit de juguler. Le parti de l’ex-président Gbagbo avait alors brillé de par son absence lors des élections législatives et municipales qui avaient suivies, délaissant ainsi le jeu politique aux mains de la nouvelle coalition des partis d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié dénommée le RHDP. Ce retrait n’est pas resté sans conséquence pour la démocratie qui devrait se présenter comme une confrontation d’idées.
C’est dans ces conditions que, dans le cadre de la préparation de l’élection présidentielle du 25 octobre 2015, le chef de l’État ivoirien Alassane Ouattara a annoncé le 1er octobre 2015 que la somme de 100 millions FCFA (152.000 euros) serait octroyée de façon exceptionnelle à chaque candidat. Selon le président Ouattara, cette subvention exceptionnelle, permettrait d’aider les candidats lors de la campagne électorale qui s’ouvrait le vendredi 9 octobre dernier. Cette décision étrange prise à l’issue d’un Conseil des ministres extraordinaire est diversement interprétée par les Ivoiriens. Cette subvention est-elle régulière ? Sinon que cache-t-elle ?
Selon les dispositions de l’article 9 de la loi n°2004-494 du 10 septembre 2004, relative au financement sur fonds publics des partis et groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle abrogeant la loi n°99-694 du 14 décembre 1999, une subvention exceptionnelle doit être accordée aux candidats à l’élection présidentielle. Mais, aux termes de l’article 10 de cette même loi encadrant ce financement exceptionnel, son montant doit être inscrit au budget de l’année de l’élection présidentielle. De même, pour profiter de cette subvention, les candidats devront obtenir au moins 10% des suffrages. Autrement dit, elle ne doit intervenir qu’après l’élection présidentielle. Mieux, le montant de ce financement comprend deux subventions : une subvention forfaitaire et une subvention complémentaire. L’article 11 de la loi précitée indique que la subvention forfaitaire, qui équivaut aux 2/5 du financement global des candidats à l’élection présidentielle, est accordée à parts égales à tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés. L’article 12 quant à lui, conclut que : « La subvention complémentaire est affectée proportionnellement au nombre de suffrages obtenus par chaque candidat. Elle représente les 3/5 restants du financement ».Or, dans le contexte actuel, nulle part dans le budget de cette année, n’est mentionné ce montant. Aussi, aucun des députés ne se rappelle avoir voté une telle disposition lors de l’élaboration du budget. Enfin, l’octroi de cette subvention exceptionnelle est antérieur aux résultats des élections. Par conséquent, les conditions d’octroi de ce financement violent manifestement les textes en vigueur, tant dans les modalités et la période de financement, que dans le montant à accorder aux candidats. Car selon la même loi, le montant du financement global serait déterminé proportionnellement au budget de l’année électorale. Cette décision prise le 1er octobre 2015 le président Ouattara ne trouvant son fondement dans aucune loi, ses motivations doivent peut-être être recherchées ailleurs.
Cette subvention dite exceptionnelle est perçue par certains opposants au pouvoir de Ouattara comme un « acte de corruption » qui vise à payer les prestations des « adversaires-partenaires » du candidat Alassane Ouattara à cette « parodie d’élection ». Selon Justin Katinan Koné, ancien ministre du Budget de Laurent Gbagbo, « La prestation en question qui est rémunérée d’avance par M. Ouattara est que ses adversaires-partenaires l’appellent au soir du 25 octobre, où fassent une déclaration pour le féliciter pour sa brillante élection au premier tour. Cela vaut bien une paie ». De plus, quand on sait que certains candidats de la Coalition Nationale pour le Changement (CNC) ont appelé à boycotter les élections au motif que les conditions ne sont pas réunies, on voit clairement que le geste du chef de l’État, plus qu’une décision d’État, pourrait être interprétée comme une stratégie de division. Même si le décret du président est une correction du budget, qui se doit d’être entérinée par le parlement, cette subvention doit se faire après les élections.
Les campagnes électorales qui se devaient d’être financées sur fonds propres des candidats aux fins d’éviter une soumission de ceux-ci à une volonté leur dictant leurs actes est un principe foulé au pied en Côte d’Ivoire. Ce principe se devait d’être inscrit dans le Code électoral ivoirien afin d’avoir une plus grande rigueur. Bien que cette subvention soit diversement interprétée, la Chambre des Comptes ivoirienne, la plus haute institution financière de contrôle du pays, se doit d’être beaucoup plus regardante sur cette subvention pour introduire et exiger la transparence et le suivi des dépenses effectuées par les candidats, mais aussi pour faire respecter le principe d’égalité des chances. Ce sont là les deniers de l’État, et leur allocation doit obéir à des règles claires et prévisibles pour favoriser la reddition des comptes et la responsabilisation des candidats.
Ce geste, faut-il le rappeler, n’a aucun fondement juridique, aucune base légale. Par ailleurs, il est connu de tous que le financement d’une campagne à l’élection présidentielle se chiffre en milliards de FCFA. Elle ne peut, par conséquent, se ramener à une centaine de millions comme c’est le cas du financement exceptionnel accordé par le chef de l’État à ses 9 adversaires. Surtout qu’Alassane Ouattara, alors opposant au président Laurent Gbagbo, recevait tous les six mois pendant les dix années de crise, la somme de 800 millions de FCFA au titre du financement public des partis politiques.
Bref, aucune disposition juridique ivoirienne ne permet au chef de l’État d’offrir à ses adversaires politiques, en pleine campagne, pareille faveur. Ceci constitue un cas de pillage des deniers publics au détriment du contribuable ivoirien. Tout ce que la loi exige c’est le financement des partis politiques tel que prévu par la Constitution et non un acte de compassion-communication de la part du chef de l’État.
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