Zebraska, d’Isabelle Bary

Un roman d’anticipation sur la nature humaine et le droit à la différence.

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Zebraska, d’Isabelle Bary

Publié le 10 octobre 2015
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Par Francis Richard.

Isabelle Bary Zebraska« L’amour est le triomphe de l’imagination sur l’intelligence. »

Cette épitaphe placée en exergue au dernier roman d’Isabelle Bary, Zebraska, est de Henry Louis Mencken, ce libertarien américain de Baltimore qui aimait bien choquer, qui était un peu trop élitiste à mon goût, mais qui avait assurément le sens de la formule (« Un bon politicien est aussi impensable qu’un cambrioleur honnête »).

Quoi qu’il en soit, cette épitaphe résume très bien le propos de l’auteur. Le lecteur aura tout intérêt à s’en servir comme fil conducteur, pour deviner assez vite, en lisant entre les lignes du livre, où l’auteur veut gentiment et sûrement le mener, sans connaître pour autant avant la fin tout le chemin qu’elle lui fera emprunter pour y aboutir.

Martin Leroy est né le 24 mai 2035. Il a quinze ans. C’est un surdoué, un enfant intellectuellement précoce, un HP (haut potentiel). Il a un cerveau qui n’arrête pas de mouliner… Sa grand-mère paternelle, Mamiléa (elle se prénomme Léa), l’appelle affectueusement mon zébron, de la même façon qu’elle appelait son père quand il était enfant.

Quelques mois plus tôt, la veille de Noël 2049, son père, Thomas Leroy, lui a justement remis de la part de Mamiléa un cadeau insolite, un livre, un livre écrit par elle, à son intention. Ce qui, au début, ne l’a guère réjoui, parce qu’un livre c’est désuet et inutile (pour s’informer et se distraire, il y a déjà les tablettes).

Ce livre devrait le faire réfléchir (comme s’il ne réfléchissait déjà pas assez !). Aussi Martin n’ouvre-t-il pas tout de suite cet objet importun. Quand il se décide enfin, vingt-quatre heures plus tard, une des premières phrases qu’il lit, sous la plume de Mamiléa, est celle-ci : Je te souhaite la bienvenue à Zebraska, le monde qui refuse d’abandonner l’imaginaire à la réalité.

En fait la grand-mère de Marty – elle seule emploie ce diminutif qui n’en est pas un pour s’adresser à lui – lui raconte une histoire dont son père,Thomas, est le héros, un héros qui lui ressemble et qui lui en a fait voir à elle, de toutes les couleurs, parce qu’il était différent des autres enfants, non pas physiquement, mais intérieurement, parce qu’en un mot il était un zèbre.

Elle annonce d’entrée de jeu la couleur : Le héros va s’en prendre plein la figure pour s’en sortir indemne, voire avec un petit supplément d’âme. C’est exactement ça le pouvoir de l’imaginaire : la capacité de revisiter l’histoire pour qu’elle nous emporte, l’air de rien, vers une fin glorieuse.

Zebraska inspire Marty, qui se met parallèlement, et tout naturellement, non sans mal, à écrire en le lisant : D’abord, mes pouces surdéveloppés et très peu habitués à l’écriture handicapaient la manipulation du stylo. Les taches, les pressions inutiles et les jurons s’étalaient grossièrement sur mes pages.

Le Zebraska de Mamiléa se distingue du Zebraska de Marty par la typographie – ce qu’elle écrit est mis en italiques. Ils se distinguent aussi nettement par le style, qui est l’expression de chacun des deux dans son époque. Mais les deux Zebraska sont écrits à la première personne du singulier. Ce qui convient fort bien à l’expression des confidences de l’une et de l’autre.

Si le Zebraska de Mamiléa est le récit des tribulations, dans les années 2010, d’une mère confrontée aux difficultés relationnelles, que son fils a avec elle et avec les autres, le Zebraska de son petit-fils est le récit, trente ans plus tard, des réflexions personnelles que lui inspire celui de sa grand-mère.

Au début de Zebraska, Mamiléa dresse un tableau apocalyptique des années 2010. Le monde manquait d’ailes (L’avenir semblait sombre et on le défiait) et le bon plaisir commandait pour ceux qui pouvaient se l’offrir : Consommer, vite, sans partage. Se consumer. Pour cela on trimait dur, jusqu’à la folie parfois. On savait l’énergie de plus en plus rare, la famine grandissante, mais on consommait etc.

Le monde des années 2040 est maintenant à l’inverse de celui des années 2010 : Chaque époque a ses folies. Nous n’avions plus de destin, nous étions individualistes, mais nous possédions une richesse qui vous fait défaut : nous avions des racines, des légendes à raconter. Notre cerveau global était cliniquement malade, mais il possédait encore de belles histoires !

Dans l’intervalle, en 2022, il y a eu la Grande Bascule et Mamiléa dit à Marty : Depuis, une autre vie s’est amorcée. Tu as toujours été libre dans la tête. Car la révolution ne fut pas qu’énergétique, elle fut aussi mentale et physique. Un peu plus loin elle résume ce qui s’est passé, sans trop en dire encore. L’Âge d’or du stéréotype est mort cette année-là : La différence est devenue alors une sorte de privilège.

Tout est-il donc dit dès les premières pages ? Non, bien sûr. Et c’est là que l’on mesure à quel point Lao-Tseu avait raison, qui disait dans le Tao-Te-King : Le but n’est pas seulement le but, mais le chemin qui y conduit. Car c’est bien le comment, guidé par l’amour, qui importe dans le livre d’Isabelle Bary et qui lui donne toute sa saveur démonstrative en faveur de l’imaginaire et, ce n’est finalement pas contradictoire, en faveur de la mesure.

On peut ne pas être d’accord avec le bilan que l’auteur dresse des années actuelles. On peut ne pas être convaincu qu’aura lieu un jour la Grande Bascule telle qu’elle la décrit à la fin de son livre ou que le monde finira par être complètement oublieux de ses racines. Mais comment ne peut-on pas apprécier cette formule emblématique du livre : La différence est la seule énergie renouvelable de la nature humaine ?

  • Isabelle Bary, Zebraska, Éditions Luce Wilquin, 224 pages.

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