Wingly est une startup qui investit l’économie collaborative dans le domaine de l’aviation. Contrepoints vous propose une interview avec son co-fondateur, Bertrand Joab Cornu. Propos recueillis par Ferghane Azihari.
Ferghane Azihari : Bonjour Bertrand. Peux-tu brièvement nous renseigner sur ta startup ?
Bertrand Joab Cornu : Bonjour. Le but de Wingly est de démocratiser l’aviation légère. On permet aux pilotes de proposer des places pour des vols prévus à l’avance. Pour les passagers, l’idée est de leur faire découvrir cette passion soit pour le loisir, soit pour se rendre au même endroit que le pilote. Ce dernier partage ses frais et divise ses coûts par deux voire par trois, ce qui lui permet d’effectuer plus de vols. On a lancé la startup le 9 juillet et bénéficié d’une belle couverture médiatique. Mais celle-ci fait aussi que nous faisons face aux premières tensions réglementaires suite aux polémiques avec Uber. L’économie collaborative fait face à la vieille industrie. Nous avons été attaqués par les lobbies de pilotes de ligne qui nous voient comme une menace. Cependant, ce qu’il faut comprendre, c’est que notre activité de co-avionnage nous rapproche plus de Blablacar qu’Uber. Même si, il est vrai, les enjeux de sécurité sont différents.
Je lisais la dernière fois un communiqué de la fédération française d’aéronautique. Elle semble davantage se préoccuper de la question du travail dissimulé que de la sécurité. Que réponds-tu à cela ?
Ce n’est pas du travail déguisé dans la mesure où le pilote ne fait que partager ses coûts. D’autant plus qu’il y a un cadre légal qui autorise un pilote à partager ses frais avec des passagers. On rentre parfaitement dans ce cadre légal. Parler de travail déguisé ne vaut que si les pilotes font du profit lors des trajets. Nous mettons un point d’honneur à ce que ce ne soit pas le cas. Nous vérifions les prix que les pilotes proposent sur la plateforme et à chaque fois qu’on trouve des petites incohérences, nous les contactons. Ils ajustent tout de suite leurs prix pour rentrer dans ce cadre légal.
Tu fais très bien de préciser que dans la quasi totalité des secteurs de l’économie collaborative, les activités restent légales tant qu’on ne fait pas de profit. Dans le cas contraire, il faut se confronter à une règlementation plus exigeante.
On est accusé d’être un UberPop de l’aviation. Or nous sommes plus un Blablacar. Nous essayons d’optimiser l’utilisation de capitaux aujourd’hui sous exploités : une place dans son avion, une place dans sa voiture, un lit dans sa maison… On est à fond dans cette thématique ! UberPop relève d’une autre logique. Un conducteur UberPop n’avait pas prévu de prendre sa voiture. Cela devient son activité commerciale. Il est certain que cela pose de vraies questions sur le plan économique. Nous n’avons pas de position vis à vis de cela.
Vous avez commencé vos activités en France. Avez-vous des ambitions européennes, internationales ? Comment conçois tu votre développement à travers le monde ?
B : Nous avons une ambition européenne. Aujourd’hui nous nous lançons en France, parce qu’on peut dire que le pays est le leader européen en matière d’aéronautique et d’aviation légère. C’est le terrain le mieux maillé au monde en termes de petits aérodromes. C’est le pays d’Europe où il y a le plus de pilotes ; là où il y a le plus de ferveur et de motivation. Mais c’est aussi un des pays les plus conservateurs vis-à-vis de l’économie collaborative. Nos concurrents en Allemagne ont beaucoup moins de pression réglementaire. Si la France devait laisser passer cette opportunité, ce serait vraiment dommage. Nous comptons nous focaliser pendant plusieurs années sur la France car c’est très compliqué d’arriver à développer un réseau et un maillage du territoire suffisamment dense. Mais il est vrai qu’on envisage de s’implanter dans d’autres pays d’ici un, voire deux ans. Nous avons déjà quelques vols qui partent de la France et qui se rendent à l’étranger.
L’économie collaborative tend aujourd’hui à pousser certains pans de l’industrie vers l’obsolescence. Penses-tu que le co-avionnage a la possibilité de faire de même avec l’aviation civile ? Ou ces deux modèles vont-ils coexister ?
Je pense qu’ils vont coexister. Nous sommes complémentaires. Il ne faut pas comparer un airbus A320 et un avion de 4 places car ils ne font pas les mêmes trajets. Les gens qui les utilisent n’ont pas les mêmes attentes. Pour un Paris-Toulouse on utilisera plus Air France que Wingly ; en revanche pour faire un Paris-Lille ou un Paris-Deauville, là où les compagnies aériennes n’existent pas, on apporte quelque chose de fantastique. Nous n’ambitionnons pas de rendre obsolète l’industrie des compagnies aériennes. Notre vision consiste à combler les vides au sein du territoire français, trop centralisés sur Paris.
J’ai lu votre interview. Je suis pilote privée moi même et e voudrais me faire l’avocat du diable en brisant votre ferveur.
Lecteur régulier de contrepoint, libéral convaincu, la je ne peux que vous alerter.
Non seulement la DGAC a publié une note pour signaler que du co avionnage pouvait s’apparenter à du transport de passager et exigeait donc les licences adéquates. Les aéroclubs ont pour une grande part signalé l’interdiction de réaliser ce genre d’activité. Une grande proportion des avions appartiennent aux aéroclubs ce qui limitera le développement d’activité.
Le cadre légale dont vous parlez précise expressément que les personnes transportées doivent être des amis ou de la famille. Le seul fait de ne participer qu’aux frais du vol de suffit pas.
En vous souhaitant néanmoins bon courage dans votre aventure entrepreneuriale.
« Le cadre légal[e] dont vous parlez précise expressément que les personnes transportées doivent être des amis ou de la famille »
C’est une rumeur très répandue en particulier dans les aeroclubs.
Mais rien dans la réglementation n’interdit au pilote privé de transporter qui il veut y compris un parfait inconnu dès lors que ce pilote paye sa part des dépenses.
De toutes façons je ne vois pas très bien quelle pourrait être la définition légale d’un « ami ».
« Ils ajustent tout de suite leurs prix pour rentrer dans ce cadre légal. »
Vive le cash.