L’Afrique face au défi de l’égalité

Comment les sociétés africaines postcoloniales pensent-elles l’égalité et la liberté ?

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Artisanat Touareg credits Alain Bachellier via Flickr ((CC BY-NC-ND 2.0))

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L’Afrique face au défi de l’égalité

Publié le 22 juillet 2015
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Par Nafy-Nathalie.

Artisanat Touareg credits Alain Bachellier via Flickr ((CC BY-NC-ND 2.0))
Artisanat Touareg credits Alain Bachellier via Flickr ((CC BY-NC-ND 2.0))

 

En Afrique noire précoloniale les notions d’égalité et de position de l’individu dans la société sont différentes de celles que nous connaissons en Occident. Ces différences tiennent principalement, de mon point de vue, à la conception animiste initiale du monde qui a survécu puisque les religions musulmanes ou chrétiennes se sont superposées sur sa tradition sans l’effacer totalement toutefois.

Par exemple, en Occident, il est question d’un monde ou univers unique dans lequel nous serions, alors qu’en Afrique traditionnelle on en conçoit plusieurs. Jacqueline Roumeguere, anthropologue spécialiste de l’Afrique, ancienne directrice de recherche au CNRS s’est intéressée à la question. Elle en définit jusqu’à trois que l’on peut résumer par :

  1. Celui de création associée à l’énergie pure non maîtrisée (chaos), à la destruction, la destruction amenant à la création d’autre chose. Cet univers est celui de la femme qui est celle qui donne naissance.
  2. Celui de l’ordre associé à l’énergie maîtrisée qui organise le monde. Ce monde appartient à l’homme, qui est le contraire de la femme, et se rattache au pouvoir.
  3. Celui visible dans lequel nous vivons qui est le résultat de la rencontre ou lutte entre les deux autres. Il est important de contribuer à maintenir son équilibre fragile et agir pour que les forces de l’ordre l’emportent toujours.

La logique qui en découle est plurielle. Baigné par elle, l’Africain précolonial pose la différenciation à l’origine de tout. Les différences lui semblent naturelles puisqu’elles assurent la complémentarité et la solidarité. La notion d’égalité entre homme et femme est dépourvue de sens et comparer leur statut dans une idée de classification hiérarchique n’a aucun intérêt. Chacun occupant un rôle distinct et complémentaire avec celui de l’autre. De même la personnalité juridique de l’Africain traditionnel, par le biais des rites de passages, va évoluer de sa naissance à sa mort, le mort dit « ancêtre » restant une personne à part entière de la société. Les droits à la vie, de se protéger d’une agression sont garantis. Il est à conclure que le droit naturel acquis à la naissance chez les libéraux s’inscrit chez l’africain précolonial dans une acquisition évolutive temporelle qui n’est complète qu’au décès.

Quant à la conception de la communauté, ce serait une erreur de l’associer au collectivisme. Elle se base sur l’idée d’un partage d’espace (langue, ancêtres, quotidien…), de spécificités (les différentiations sont indispensables à l’équilibre) et de décision (palabre, consensus). Personnalité morale organisant les rapports des vivants entre eux et avec les morts, elle permet l’existence d’une personnalité juridique individuelle au travers du statut que l’on a en son sein. La liberté individuelle, même inscrite dans la communauté, est garantie.

Concrètement, cela donne par exemple une notion différente du droit foncier au Sénégal. La terre ou les droits sur la terre appartiennent traditionnellement à la communauté représentée par un individu (chef) qui a la charge de la/les gérer en assurant un partage équitable. Il est à préciser que l’équité n’est pas conçue comme le fait de distribuer une part égale à tous mais plutôt d’allouer à chacun une part proportionnelle à son statut. Chacun peut disposer ensuite à sa guise de ce qu’il produit. Ce droit est donc un droit communautaire qui tend à s’individualiser.

Le communautarisme induit également un pouvoir dit « consensuel » parce qu’il résulte de l’adhésion volontaire de chacun. Il n’est pas coercitif et ne peut en aucun cas être abusif. L’individu suit les règles par conviction. Le processus de décision par la palabre permet une liberté d’expression sans limite et une décision qui est un compromis accepté par tous. L’absence de privation de liberté physique dans ces systèmes est notable.

La différence principale réside donc plus dans l’ordre de mise en œuvre que dans le contenu intrinsèque des valeurs. L’occidental, d’abord individu privé indépendant, cherche en premier à protéger ses droits individuels sans avoir toujours conscience de la responsabilité qui lui incombe envers la société. Le libéral occidental aura également la pleine conscience de ses droits individuels mais aussi de la responsabilité inhérente. L’africain traditionnel se définit en premier lieu en tant que membre de sa ou ses (puisque rien ne lui interdit d’appartenir à plusieurs) communauté(s). Il va donc s’attacher d’abord à être responsable envers elle(s) et donc remplir ses devoirs avant de s’inquiéter de ses droits.

Cela induit également un droit traditionnel en perpétuel mutation jusqu’au moment de la décision. La coutume dont on fait état constamment n’est pas le droit. Elle reste une indication concrète, un standard auquel se référer sur la manière de se comporter dans telle situation pour assurer l’équilibre du groupe. Les comportements abstraits du genre «bon père de famille» sont absents. L’équité est recherchée avec pour but de punir, faisant abstraction des statuts individuels, l’intention criminelle. Son processus de fabrication et d’application reste identique pour tous. Tout n’est pas parfait cependant.

Cette logique de différentiation de la société poussée à son paroxysme peut avoir des effets pervers. Ainsi dans l’Afrique de l’Ouest, Soundiata Keita structure, par besoin de l’organiser et de la pacifier, la société autour d’un système clanique (Charte du Kurukan Fuga). Les clans étaient égaux. Dans chaque lignée un savoir propre et des secrets se transmettaient aux descendants. Les particularités sublimées par les mythes font la fierté du groupe. Avec le temps, cette différenciation s’est formalisée et la société s’est stratifiée de manière rigide sur la base d’une hiérarchie entre les clans amenant le développement de comportements racistes. Le changement des modes de transmission du savoir (école extérieure au clan) modifie doucement ces comportements dans le monde professionnel mais ils restent malgré tout profondément ancrés dans la vie quotidienne notamment au niveau des mariages qui sont conçus comme des alliances.

Il n’est pas étonnant de constater que, dans de telles structures sociétales, les actions qui tendent à uniformiser ont beaucoup de mal à fonctionner. Elles sont perçues comme source de violence et de destruction d’équilibre. Ainsi par exemple une des prérogatives essentielles de la femme touareg est d’être la dépositaire de la culture et de la tradition. Elle connait l’écriture et la lecture qu’elle transmet à ses filles. Le fait de développer une école accessible à tous, peu importe le sexe, fragilise son statut vis-à-vis de l’homme. Lui devient dépositaire de ce savoir également et gagne une prérogative qu’il n’avait pas en devenant vecteur de transmission à son tour. Elle, attachée au foyer traditionnellement et donc sans possibilité d’exercer à l’extérieur, en perd une. La modernité se superpose donc à la tradition sans l’effacer, ce qui crée pour le moment de nombreux bouleversements et paradoxes.

Les sociétés africaines post-coloniales se retrouvent ainsi confrontées à la difficulté de trouver un équilibre nouveau entre la vision traditionnelle dont elles sont encore beaucoup imprégnées et des règles ou valeurs, calquées de l’Occident, qui reposent sur des concepts dont l’appréhension leur est parfois étrangère.

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