Facebook Instant Articles : un pacte avec le diable ? (2/2)

Entre les bonnes intentions affichées par le géant américain et les accusations d’OPA hostile sur la presse, que faut-il penser de la nouvelle fonctionnalité de Facebook ?

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Lil devil credits Darwin Bell via Flickr ( (CC BY-NC 2.0))

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Facebook Instant Articles : un pacte avec le diable ? (2/2)

Publié le 26 juin 2015
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Dans la première partie, nous avons expliqué le principe de Instant Articles, la nouvelle fonctionnalité par laquelle Facebook pourra proposer des articles de journaux partenaires directement intégrés à sa plateforme tout en cédant l’ensemble des recettes publicitaires aux journaux fournisseurs de ce contenu. Le géant de Palo Alto voulant officiellement fluidifier et rendre plus esthétique l’expérience de lecture des utilisateurs en centralisant les articles dans son propre système.

Par Pierre Schweitzer.
Un article de l’Institut Économique Molinari

Lil devil credits Darwin Bell via Flickr ( (CC BY-NC 2.0))
Lil devil credits Darwin Bell via Flickr ( (CC BY-NC 2.0))

Les journaux doivent-ils craindre le détournement de trafic joliment empaqueté par Facebook ? On peut raisonnablement le penser. Rien ne garantit, en effet, que les règles assurant le contrôle éditorial des journaux et le maintien de leurs recettes publicitaires ne changeront pas un jour, cela s’est déjà produit dans le passé1. Les journaux qui délaisseront leur site web pour se concentrer sur Instant Articles prendront un risque considérable : dans une économie de l’attention, il ne faut pas être dépendant d’un tiers en amont ou en aval de son contenu. Être l’éditeur d’un contenu numérique ne fait pas tout, encore faut-il en maîtriser l’accès. Facebook a la capacité et le droit de priver les éditeurs de toute visibilité du jour au lendemain. La réalité du rapport de force entre les éditeurs de presse et Facebook est rude : il est bien plus facile pour Facebook de devenir éditeur de contenu que pour un éditeur de contenu de devenir un nouveau Facebook. L’effet de réseau, c’est-à-dire la valeur ajoutée d’un réseau de communication qui possède de nombreux membres par rapport au même service mais sans la force du nombre, joue clairement en faveur du leader, à tel point que même un concurrent aussi puissant que Google a lamentablement échoué à concurrencer Facebook.

Les journaux doivent-ils donc refuser d’entrer dans le nouveau service Facebook Instant Articles ? Probablement pas, car le service risque bien de se développer malgré tout, de sorte que la menace à long terme demeurera. Dans ces conditions, il serait dommage pour eux de se priver des nombreux lecteurs et des recettes publicitaires rétrocédées par Facebook. Comme le souligne le podcasteur high-tech Patrick Béja, la stratégie optimale pour tout éditeur de contenu consiste à être présent partout où c’est possible tout en faisant des efforts pour récupérer un maximum d’internautes sur son propre site ou sa propre chaîne. La complémentarité est le maître mot du web actuel, et l’isolement ne paie guère. On peut donc penser que certains éditeurs sont bien conscients du piège que peut représenter Instant Articles mais sont plus ou moins forcés d’y entrer en espérant qu’il ne se refermera pas sur eux.

Facebook Instant Articles s’inscrit dans le sens inverse de la tendance du retour au modèle payant pour la presse en ligne. Si pour les journaux en ligne gratuits, il est intéressant d’offrir du contenu à Facebook en échange de visibilité et de recettes publicitaires, c’est loin d’être le cas pour des titres payants tels que Médiapart ou semi-payants comme Le Monde, Le Figaro et consorts. Et contrairement au cas de Google News les journaux payants ne bénéficieront même pas de l’apport considérable de trafic que peut représenter un extrait d’article renvoyant vers leur site (c’est le principe de Google News) puisque Instant Articles vise précisément à faire rester l’internaute là où il est, dans ce royaume de la gratuité apparente qu’est Facebook. Les journaux payants devront redoubler d’efforts pour imposer leur modèle face à cette nouvelle offensive de gratuité.

Il existe pourtant une solution simple au problème de la dépendance à Facebook, et elle réside dans le pouvoir absolu des consommateurs en économie de marché soumise à concurrence. Si les lecteurs de journaux d’information veulent assurer l’indépendance de ces organes de presse face aux géants du numérique, il leur suffit de penser à se rendre directement sur les sites de journaux, au lieu de se reposer passivement sur du contenu proposé par Facebook. De nombreux logiciels, services web et applications mobiles2 offrent la possibilité de se créer un portail d’informations personnalisé. Encore faut-il faire l’effort de se « déscotcher » de Facebook dans l’intention d’aller s’informer, ce qui n’exige jamais qu’un seul clic supplémentaire, mais un clic difficile à obtenir de l’internaute moderne. On peut le comprendre, cet internaute ! N’importe quel propriétaire de smartphone est quotidiennement sollicité à chaque heure de la journée, parfois à chaque minute par des notifications qui l’invitent à toutes sortes de lectures pour lesquelles il n’a guère le temps. Seule une frange de la population un peu plus sensibilisée à l’information a encore une démarche active pour aller s’informer.

L’indépendance de la presse en ligne (et donc de la presse tout court, puisque le papier n’en finit pas de mourir) est potentiellement en danger, et la seule manière de l’éviter implique pour les lecteurs de journaux de renoncer à un service de qualité gracieusement offert par Facebook. Rien de neuf finalement : exercer sa liberté individuelle de consommateur exige souvent l’abandon d’une part de son confort. Reste à voir combien de « Charlie » sont prêts à faire un effort pour s’informer autrement que par la solution de facilité qu’offrira Facebook Instant Articles.

Sur le web

 

  1.  Cela a été le cas des pages Facebook, l’équivalent du profil pour une institution, une célébrité ou une entreprise. Du jour au lendemain Facebook a exigé un paiement en échange d’une visibilité potentielle des publications par 100% des abonnés. Les entreprises qui avaient déplacé leurs efforts de marketing vers leur page Facebook en pensant que les abonnés à leur page étaient acquis en ont été pour leurs frais, car le seul maître des abonnés d’une page s’appelle Facebook, et il est bien normal que le réseau social fasse payer à au moins un versant de la plateforme l’accès à l’autre versant. En l’occurrence, les entreprises payent désormais pour atteindre les utilisateurs qui eux profitent de Facebook sans débourser un euro.
  2.  Des outils tels que Reddit, Feedly, RSS Feed, Paperli et des dizaines d’autres plus ou moins similaires permettent de se voir proposer du contenu adapté à ses centres d’intérêts en fonction des sites retenus à l’avance par l’utilisateur ou encore des recommandations que les utilisateurs d’un même service se font entre eux.

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