Les territoires, une nouvelle lutte des places ?

Quelles réformes pour une ruralité française en train de s’effriter ?

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Les territoires, une nouvelle lutte des places ?

Publié le 10 juin 2015
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Par Jean Sénié.

L'égalité des territoires une passion française Philippe EusèbeParmi les nombreuses exceptions françaises, la permanence d’un imaginaire de la ruralité n’est pas le moins surprenant. Alors que les démographes et les géographes s’accordent aujourd’hui pour dire que la population est, dans son écrasante majorité, urbaine, le mythe d’une France des champs continue d’enthousiasmer les Français et surtout les élus de ces communes rurales. Ce choix historique est aujourd’hui en train de s’effriter. Plusieurs géographes portent ce constat et réfléchissent sur les nécessaires adaptations qu’il implique1. C’est aussi à partir de cette situation qu’entend raisonner Philippe Estèbe2. En établissant un diagnostic de la situation, d’une part, il permet de saisir l’urgence des réformes et, d’autre part, il s’aventure à proposer ce qu’il juge être les meilleures réponses à ce problème.

Une France rurale mythifiée, aujourd’hui remise en question

L’attachement des Français et de leurs dirigeants à l’égalité entre territoires est pour Philippe Estèbe le résultat de l’imbrication de trois facteurs historico-géographiques :

  • Un pays faiblement peuplé (tout du moins comparativement à ses voisins) mais où la population s’est répartie de manière équilibrée sur l’ensemble des territoires.
  • Un pays de villes petites et moyennes où les grandes villes ont eu du mal à émerger.
  • Une préférence politique assumée pour le rural qui aboutit à un contrat social implicite en faveur des petites communes rurales et de leur territoire.

Cette situation a développé et renforcé une des formes de cette passion française qu’est l’égalité, à savoir l’égalité entre les territoires. Or, comme le dit Philippe Estèbe, « ce principe exigeant fait sentir ses effets à travers toutes les strates de politique publique »3. L’organisation territoriale s’est ainsi  effectuée en fonction de l’idéologie de l’égalité, de la proximité. En forçant le trait, on peut dire que ce choix a abouti à la création de milliers de petites patries.

Or, depuis une trentaine d’années, cette construction historique est remise en question. Premièrement, la crise des finances publiques rend difficile la redistribution en direction de tous les territoires, d’autant plus que cette égalité coûte cher. Ensuite, on assiste à un « ébranlement des monopoles »4. Les nouvelles technologies et les nouvelles pratiques afférentes changent en les remettant en cause ; c’est, par exemple, le cas du difficile entretien des petites lignes ferroviaires par la SNCF qui se fait à fonds perdus. La mobilité accrue des individus est aussi un facteur croissant d’inégalités entre les territoires5. Enfin, le phénomène de métropolisation, c’est-à-dire « le mouvement de concentration de populations, d’activités, de valeurs dans des ensembles urbains de grande taille »6, aboutit à bouleverser définitivement la hiérarchie des territoires, obligeant à s’interroger sur l’égalité de ces derniers. Ces divers « hoquets » constituent une remise en cause du principe d’égalité des territoires qu’il faut intégrer afin de pouvoir la regarder en face et réfléchir à la manière la plus optimale d’accompagner les territoires dans leurs trajectoires, ce qui présuppose d’ailleurs d’accepter que les territoires puissent avoir des trajectoires divergentes.

D’une égalité verticale à une égalité horizontale

Pour résumer la pensée de l’auteur, disons qu’il en appelle à un « nouveau contrat territorial nouveau »7. Notons d’emblée qu’il refuse d’accepter la disparition de toute forme d’égalité entre les territoires8. En revanche, il faut acter l’échec de toute perspective uniformisatrice, d’ailleurs chimérique au vu de l’histoire et de la géographie.

Parmi les solutions que préconise l’auteur, ou plutôt les exemples positifs qu’il met en avant, il faut retenir un plaidoyer pour une décentralisation réelle, c’est-à-dire qui ne dépendrait plus de Paris pour ses subsides, développant des modes de gouvernance originale, à savoir que ces derniers ne doivent pas reproduire à l’échelle micro le fonctionnement étatique. C’est alors que les périmètres ne seraient pas élaborés en fonction de préconception politique mais en fonction des besoins réels9. On voit que l’auteur promet d’une part une décentralisation ambitieuse, ce qui peut apparaître comme convenu et, d’autre part, réelle, ce qui doit faire réfléchir sur les réalités d’application de cette politique depuis les trente dernières années. On ne s’étonnera pas qu’il défende aussi une démocratie participative au niveau local10.

Par ailleurs, on remarquera que l’auteur entend sauver la notion même d’égalité entre les territoires, refusant la désertification de certaines régions au profit des grandes métropoles et autres villes intégrées dans la mondialisation. Cette position l’amène à défendre une « égalité de situations et de relations où ce sont les individus et les groupes sociaux qui doivent être les destinataires finaux et explicites du programme égalitaire »11. Même si on peut trouver cette conclusion encore trop timorée, il n’en demeure pas moins que ce livre pose de manière convaincante et claire les impasses dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les politiques locales d’aménagement et d’équilibre. Elle montre aussi que, plutôt que de tourner le dos à la mondialisation en s’arc-boutant sur une France mythifiée, il convient d’en prendre la mesure pour s’y adapter.

Sur le web

  1. Parmi une bibliographie pléthorique, on peut citer Davezies Laurent. La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses, Paris, Seuil, 2008. ; Id., La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, 2012. ; Id., Le Nouvel Égoïsme territorialLe grand malaise des nations, Paris, Seuil, 2015. ; Levy Jacques,  Réinventer la France : Trente cartes pour une nouvelle géographie, Paris, Fayard, 2013. ; Veltz Pierre, Paris, France, monde : repenser l’économie par les territoires, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2012.
  2. Estèbe Philippe, L’Égalité des territoires, une passion française, Paris, PUF, 2015, p. 4 : « mais cette superstructure se trouve, depuis plusieurs décennies, confrontée à des séismes et à des plissements qui voient s’affirmer les grandes villes, circuler les personnes, les biens, les informations, et se transformer profondément les visages de la « ruralité » ».
  3. Ibid., p. 22.
  4. Ibid., p. 42.
  5. Ibid., p. 46.
  6. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/metropolisation. Voir aussi Veltz Pierre, Mondialisation, villes et territoires : une économie d’archipel, Paris, PUF, 2014 (1re éd. 1996).
  7. Estèbe Philippe, L’Égalité des territoires, une passion française, Paris, PUF, 2015, p. 81.
  8. À cet égard, il prend ses distances avec Jacques Lévy qui dans un célèbre article s’interrogeait de manière provocatrice pour savoir s’il fallait « oser le désert ? ».
  9. Ibid., p. 82-83.
  10. Ibid., p. 78-79.
  11. Ibid., p. 85. Voir aussi http://www.lexpress.fr/emploi/la-crise-a-redistribue-les-cartes-du-territoire-francais_1284749.html: « La vraie question, c’est l’égalité sociale et pas l’égalité territoriale! Le territoire n’est qu’un instrument pour y arriver. En quoi peut-il être un frein ou un accélérateur dans les trajectoires individuelles ou la promotion sociale? Le territoire pose d’abord la question des gens qui y vivent. Faut-il renflouer celui où les gens ne trouvent pas de travail ou aider les gens à le quitter ? »
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  • En même temps, la ruralité et la pauvreté des campagnes relativement aux villes moyennes est flagrante.

    L’argent se perd dans le mille feuille public. Pas de politique d’entreprise crédible.

    Cela se traduit par une offre immobilier naturellement abordable…

    Les villes ne sont pas prêtes en terme de logement et d’infrastructure ou d’industrie a supporter un dernier et absurde exode rural.

  • Trop de gaspillages. Des élus qui sont très loin des habitants des villages.

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