Au pays de l’or noir et des 1 000 coups de fouet

Raif Badawi a été condamné à 1 000 coups de fouet, dix ans de prison, une amende de un million de ryals et une interdiction de voyager de dix ans pour avoir défendu la liberté en Arabie Saoudite.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Raif Badawi, Saudi Arabian blogger sentenced to 1,000 lashes credits Hicham Souilmi via Flickr ( (CC BY-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Au pays de l’or noir et des 1 000 coups de fouet

Publié le 9 juin 2015
- A +

Il y a quelques jours sortait sur papier et en e-book un petit livre intitulé 1 000 coups de fouet parce que j’ai osé parler librement regroupant les quatorze articles qui ont valu au blogueur saoudien Raif Badawi sa condamnation à dix ans de prison, 1 000 coups de fouet et une amende de un million de ryals (soit environ 226 000 €). C’est grâce au soutien et aux efforts conjugués de sa femme, de son avocat et de l’ONG Amnesty International qu’il nous est possible d’en prendre connaissance. Du fond de sa cellule collective à Djeddah, Raif a même rédigé une préface, patiemment dictée à sa femme, qui nous parle de son rêve de liberté qui s’est fracassé sur la loi islamique extrêmement rigide en vigueur en Arabie saoudite. 

Avant son arrestation en 2012, nous explique-t-il page 14 :

« J’étais tout occupé à tenter de réinventer le libéralisme en Arabie saoudite, pour participer à la diffusion des « Lumières » dans ma communauté, abattre les murs de l’ignorance, effriter l’inviolabilité du clergé, et essayer de promouvoir un embryon d’opposition et le respect de la liberté d’expression, des droits de la femme et de ceux des minorités et des indigents en Arabie saoudite. »

En prison, il entre dans le chaos des voleurs et des assassins, mais il découvre une lueur d’espoir (page 15) :

« Des murs sales, des portes défoncées, rouillées. Me voilà qui tente de m’adapter pour faire face à ce chaos. Et tandis que j’examine avec attention les centaines de graffitis inscrits sur les murs poisseux des toilettes communes de la cellule, mon regard tombe sur la phrase ‘La laïcité est la solution’. Stupéfait, je me frotte les yeux pour m’assurer que je vois bien ce que je vois. »

Il y a de quoi être stupéfait car en Arabie saoudite comme dans tous les pays musulmans de la région, la laïcité est une notion complètement inconnue. Toute tentative de promotion d’une séparation de l’islam et de l’État est un affront fait à Dieu et au prophète Mahomet et reçoit une sanction appropriée, Raif en sait quelque chose.

Âgé aujourd’hui de 31 ans, il a fondé en 2008 le site internet « Free saudi Liberals » c’est-à-dire « Libérez les libéraux saoudiens. » Au fil de ses articles, il fait valoir des positions libérales peu usitées dans son pays, déclarant par exemple que « musulmans, chrétiens, juifs et athées sont tous égaux » ou « Je ne suis pas pour l’occupation d’un pays arabe par Israël, mais, en revanche, je ne veux pas remplacer Israël par une nation islamique qui s’installerait sur ses ruines, et dont le seul souci serait de promouvoir une culture de mort et d’ignorance sur ses fidèles (…) » Sur le plan scientifique, il se moque des prétentions des prédicateurs musulmans qui veulent éradiquer l’astronomie développée par les physiciens occidentaux afin de la remplacer par une astronomie conforme à la Charia (page 19).

Dans un article de blog reproduit intégralement sur le site du Gatestone Institute, think tank new-yorkais spécialisé dans les relations internationales et les questions de défense, Raif déplore la demande des musulmans américains de construire une mosquée dans les abords immédiats de Ground Zero :

« Ce qui me choque le plus, en tant que citoyen de la région qui a exporté ces terroristes, c’est l’audace aux limites de l’insolence des musulmans de New York qui n’ont pas la moindre compassion ni pour les milliers de victimes qui périrent en ce jour fatal ni pour leur famille. »

hollande arabie saoudite rené le honzecC’en est trop. Une fatwa pour apostasie est lancée contre lui et il est arrêté en juin 2012, quelques semaines après avoir organisé une conférence destinée à fêter « une journée du libéralisme. » Sa famille doit quitter l’Arabie saoudite et finit par s’établir au Canada. L’apostasie pourrait lui valoir la peine de mort, mais par bonheur, ce chef d’accusation n’est pas retenu par le juge. Lors d’un premier jugement en 2013, il va s’en tirer avec une condamnation de 600 coups de fouet et sept ans de prison. Comme le relève un journaliste du Washington Post, au même moment le Roi Abdallah annonçait une donation de 100 millions de dollars aux Nations unies afin de lutter contre le terrorisme « pour se débarrasser des forces de haine, d’extrémisme et de criminalité. » Tout cela serait bel et bon si le Roi commençait par se préoccuper de respecter les libertés individuelles dans son propre royaume, plutôt que de jouer le double, voire le triple jeu, de la vertu extérieure, de la violence intérieure, et du soutien indirect au terrorisme, jamais vraiment prouvé, toujours suspecté.

En appel en 2014, la condamnation de Raif Badawi a été alourdie à 1 000 coups de fouet, dix ans de prison, une amende de un million de ryals et une interdiction de voyager de dix ans à compter de sa sortie de prison. Il est prévu dans la sentence que les coups de fouet seront administrés en 20 sessions de 50 coups hebdomadaires, chaque vendredi matin en place publique après la prière. Pour l’instant, seule la première séance a eu lieu, les autres ayant été reportées pour raison médicale. La communauté internationale, à travers l’ONU, de nombreuses associations, des pétitions et des manifestations en faveur du blogueur, a également fait part de sa très forte désapprobation, ce qui a peut-être aussi pesé dans la balance.

Il se trouve que la première séance s’est déroulée le vendredi 9 janvier 2015 alors que la France, sous le coup de la tuerie des dessinateurs de Charlie Hebdo et de plusieurs policiers deux jours auparavant, était en train de vivre la prise d’otages mortelle de l’Hyper Cacher de Saint-Mandé. À mon sens, l’association des deux événements est ravageuse pour l’Arabie saoudite, car ce qui est application de la loi sur ses terres est terrorisme sur les nôtres. Doit-on l’en tenir quitte grâce à des formules du style « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » sans se formaliser davantage ? C’est en tout cas l’impression que le monde entier a donné quelques semaines plus tard à l’occasion des obsèques du Roi Abdallah le 22 janvier 2015. Tous les dirigeants ont salué en lui un homme de paix dont la lutte incessante contre le terrorisme avait été exemplaire.

François Hollande s’est rendu en Arabie saoudite quelques jours plus tard pour présenter ses condoléances au nouveau Roi Salmane. Il n’avait pas ménagé ses efforts, ni ses blagues douteuses, en 2012 et en 2013 auprès du précédent Roi pour faire avancer plusieurs gros dossiers économiques, dont des ventes d’armes au Liban et à l’Égypte grâce au soutien financier de l’Arabie saoudite, ainsi que des projets de trains et de métros.

Le fait est que l’Arabie saoudite est un pays riche grâce au pétrole et que sa démographie très dynamique en fait un marché particulièrement attractif de 28 millions d’habitants. Comme pour le Qatar, ses relations avec les États-Unis se sont distendues récemment. En effet, les pays du Golfe n’ont guère apprécié le soutien américain aux Printemps arabes. Surtout, les pays sunnites ont vu d’un assez mauvais œil les négociations de rapprochement avec le régime chiite de l’Iran et la volte-face de Barack Obama à propos d’une intervention contre les forces gouvernementales syriennes, chiites également. Il y a donc une place à prendre que la France compte bien s’octroyer.

François Hollande déclare systématiquement aux journalistes qui l’accompagnent que les règles sur les droits de l’homme sont valables partout (voir vidéo ci-dessous), mais lors de ses déplacements, en Arabie saoudite, au Qatar ou à Cuba, il est assez discret sur le sujet.

Il s’est à nouveau rendu à Ryad au début du mois de mai, dans la foulée de sa visite à Doha dans le contexte de la vente de 24 avions Rafale au Qatar. Comble de malchance pour lui, il y a eu cinq exécutions par décapitation lors de son séjour, de quoi lui faire regretter, peut-être, sa blague sur le « sabre dont il aurait bien besoin ». Aurait-il également besoin d’un fouet ? Quand je lis les textes emprunts de liberté de Raif Badawi, qui est en prison et qui a subi la souffrance de la flagellation, je suis triste et consternée de voir que François Hollande est peut-être celui de nos Présidents qui pousse la Realpolitik le plus loin et avec tant de gourmandise satisfaite.


Sur le web

Voir les commentaires (13)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (13)
  • Et pendant ce temps là la gauche française se met en ligne pour huer Poutine en se drapant fièrement dans ses convictions de façade à géométrie variable. La Russie a suspendu la peine de mort (sans l’abolir il est vrai) dernière execution en 96.

    • Qui accompagne Pale Rider pour aller expliquer ça à Anna Politkovskaïa, et bien d’autres ?

      • @Nick de Cusa Je soulignais juste le 2 poids 2 mesures de nos bien pensants

        • Entièrement d’accord avec pale rider sur le 2 poids 2 mesures.

          Quant à la politique étrangère, désolé de devoir rappeler une évidence : elle doit avant tout être au service des intérêts Français.

          • @guillaume_rc , tout à fait d’accord aussi sur le 2eme point . Et c’est là aussi qu’il serait interessant de se demander si ce sont bien les nôtres que nous défendons , ou bien ceux de notre puissant suzerain américain…mais nous n’avons peut être plus le choix . Pour avoir le choix il faut en voir les moyens et le courage , nos dirigeants ont ruiné le premier et n’ont jamais eu le second …

      • J’accompagne bien volontiers Pale Rider. Aux USA, ce grand pays totalitaire, pardon, démocratique, la peine de mort est toujours d’actualité, sans parler de Guantánamo et des prisons sous traitées dans des pays peu regardants sur la dignité humaine, pratiquant des interrogatoires qui feraient passer ceux de l’inquisition pour des séances de thalassothérapie . La Russie, est un pays dont il convient d’étudier l’histoire en ne faisant pas de sa date de naissance, le seul point de repère…
        Il y a 4 poids et 12 mesures.

      • …petite question: Nick de Cusa, est-ce votre vrai nom? je suis un peu curieux; comme excuse, voilà ce que j’avais écrit le 30 mai: « (…) un cardinal de l’Eglise romaine, à savoir mon compatriote Nicolaus Cusanus, né tout comme moi sur les rives de la Moselle allemande »,
        http://www.contrepoints.org/2015/05/29/209107-entretien-avec-un-libertarien-thierry-falissard

  • L’Arabie Saoudite est un Daesh qui a réussi.

    • Encore un zemourien qui ne sais pas de quoi il parle…

    • Je trouver que c’est légèrement exagéré.C’est une dictature extrêmement sévère ( la Chine ou la Russie est du pipi de chat à coté ) mais qui n’atteint pas le degré de cruauté de « daesh » ou l’état islamique…

      • effectivement, la couleur donnée à l’Arabie Saoudite ‘N’EST QUE’ jaune (‘severe persecution’)
        https://www.opendoorsusa.org/christian-persecution/world-watch-list/

        …c’est quoi, la charte des Netions-Unies? — réponse: un morceau de papier

        …c’est quoi, l’article 18 de Article la charte des droits de l’homme? [pour rappel: Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites] — réponse: on s’en contrefiche

        …c’est quoi, un signataire à cette même charte + déclaration? réponse: l’Arabie Séoudite, plus les autres 49 (!) pays repris sur la liste

  • Voilà le modèle démocratique par excellence: Arabie, Qatar, Emirats …
    Vous savez ces pays courtisés par Bismuth premier et par Méduse premier …
    Méduse et son pédalo ont même offert la légion d’honneur à un éminent « pacifiste démocrate » qatari.
    Quand à Bismuth il va avoir du mal dans ses invitations de dictateurs au 14 juillet vu qu’il y en a quelques uns qui ont été proprement occis ou déchus. Il va devoir se rabattre sur les roitelets africains …

    Deux éminents défenseurs de ce qu’il est convenu d’appeler « les droits de l’homme »

  • Anna Politkovskaïa : rien n’est sûr ; quand il y a mort d’un intellectuel en Russie, les medias foncent et trouvent des écrits qu’ils se font traduire et qui sont insultants sur le dirigeant : alors ils pensent que l’assassinat est conséquence de ces insultes. On l’a vu plus récemment avec un assassinat immédiatement attribué à Poutine, alors qu’il était le fait de Tchétchènes : l’opposant faisait imprimer et distribuer à tour de bras les caricatures de Charlie et demandait aux militants de ne plus jeter des têtes de porc dans les lmieux de cultes, mais des caricatures de Charlie « car cela leur fait plus de mal ! ».
    A Grozny petite ville, il y a eu un manifestation anti-France et anti-Charlie de plus de 850 000personnes (pas 2 ou 3 timbrés, comme on aime à le dire en France, mais 850 000).
    Le Russe est ordurier dans ses propos.. et les écrits sont truffés d’insultes et de haine;; Poutine est habitué, la presse écrit comme cela sur lui depuis des années..
    Alors le media européen vient, se fait traduire, et comme il ne connaît rien de la vie politique en Russie, pense que c’est l’insulte au président qui déclenche un meurtre .
    En Russie celui qui réussit est espionner et souvent victime de chantage, par de petites frappes qui n’hésitent pas à faire l’exemple. C’est un pays compliqué et vouloir calquer notre monde ici, serait une erreur.
    Con, abruti, vampire, salopard… Il l’avait entendu et nous aussi, lors de la cérémonie du Koursk, relayée dans le monde entier.
    Il n’a pas besoin de tuer qui que ce soit : il a une popularité sans pareil. Et continu de se faire insulter chaque jour dans tous les medias Russes.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Bien que le récent rapport choquant d'Amnesty International sur les tortures sexuelles infligées aux détenus de la révolte de 2022 en Iran ait mis en lumière la cruauté du pouvoir clérical en Iran, rares sont ceux qui, dans ce pays, aient échappé à cette violence d’État venue du fond des âges.

La première confrontation des combattants de la liberté avec les mollahs remonte à 1980 quand Téhéran et d'autres villes étaient le théâtre d'une lutte pacifique en faveur des libertés et des droits fondamentaux. Lorsque Khomeiny a vu que les fe... Poursuivre la lecture

Un article de Cyrille Bret, Géopoliticien.

Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.

Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou. Dans le même temps, la relatio... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles