ET-D5, cancer et crowdfunding

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Recherche scientifique (Crédits : Novartis AG, licence Creative Commons)

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ET-D5, cancer et crowdfunding

Publié le 12 février 2015
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Même en France, même lorsque les clowns au pouvoir font à peu près tout pour saboter le pays, on a parfois de bonnes surprises. C’est ainsi que je suis tombé dernièrement sur l’histoire de Ecrins Therapeutics, une petite start-up pharmaceutique, qui a découvert une molécule de synthèse très prometteuse capable de traiter certains cancers (rein, pancréas, foie).

Cette molécule, ET-D5, est le sujet de recherche d’Aurélie Juhem, l’une des fondatrices d’Ecrins Therapeutics, sur laquelle elle travaille depuis maintenant sept ans et qui a la particularité de bloquer la division cellulaire (mitose) des cellules cancéreuses (ce qui stoppe la croissance de tumeurs) et d’également détruire les vaisseaux sanguins qui les alimentent, ce qui provoque leur mort. Voilà qui est prometteur, mais mieux encore, les tests sur animaux ont montré que la molécule est compatible avec les chimiothérapies habituelles, et peut même être administrée par voie orale.

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L’avenir semble donc bien engagé pour la petite entreprise pharmaceutique grenobloise. Cependant, et c’est là que les choses prennent un tour intéressant, nous sommes en France. Ce qui dans un pays normal aurait probablement abouti à d’épais financements de la part ou bien des autorités publiques, ou bien de business angels courageux, se développe doucement en parcours du combattant pour la nouvelle pousse : frilosité des investisseurs locaux, difficultés de financer une société auprès du capital risque, misères fiscales ou prudence devant un Bercy jamais à cours d’une fourberie pour récupérer des thunes ? Difficile en tout cas d’avancer car pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, la société a besoin de réaliser des essais cliniques, et nécessite donc des fonds (on parle de 500.000 euros) pour achever la dernière étape réglementaire afin de pouvoir administrer le produit aux malades le plus rapidement possible. En accord avec ce besoin, la solution originale mise en place par le triplet de chercheurs (et loin des canons habituels) est de faire appel au crowdfunding au travers d’une plate-forme d’investissement participatif, Wiseed, dont on peut trouver la présentation ici.

J’ai trouvé cette aventure intéressante à plus d’un titre. Quoi qu’on puisse penser de la solution proposée (ce n’est en fait pas l’objet du billet), et même si je ne peux évidemment que souhaiter le maximum de succès aux chercheurs dans leur entreprise, il m’a semblé nécessaire d’insister sur l’aspect relativement novateur du passage par le crowdfunding pour la recherche pharmaceutique. Ce n’est probablement pas le premier cas de recherche médicamenteuse qui se financera de la sorte, mais force est de constater que le nombre d’exemples précédent est ténu ; en gros, la tendance au financement participatif dans ce genre de domaine, à la fois très pointu et extrêmement gourmand en fonds, ne date guère de plus de deux ans, et le nombre de projets financés qui peuvent montrer des résultats est donc en conséquence très faible.

Car s’il est bien un domaine particulier au crowdfunding, c’est bien celui-ci. D’un côté, les besoins de financement sont énormes. Entre la paperasserie gigantesque, les essais cliniques extrêmement coûteux, les matériels et personnels rarement bon marché, les phases de recherches généralement étendues sur plusieurs années (et se comptant parfois en décennies), tout est rassemblé avant d’avoir un produit commercialisable pour que la facture finale soit potentiellement monstrueuse. De l’autre côté, les débouchés d’un médicament éventuel sont très importants. Qu’il s’agisse des cancers ou des maladies cardio-vasculaires, le nombre de personnes susceptibles d’avoir recours au produit est effectivement très grand, et les moyens financiers de ces populations sont, là encore, particulièrement vastes (rien que pour la France, les montants gérés par la Sécurité Sociale donnent tout de suite une excellente idée des forces financières en jeu ici).

testicular cancer

Jusqu’à présent, tant la présence de corporations imposantes qui se font une concurrence exacerbée, que la haute technicité du domaine, ou que la réglementation particulièrement touffue, auront empêché l’émergence naturelle d’un environnement économique facilitant la rencontre directe des consommateurs (ici, des malades ou des familles de malades) avec les producteurs (ici, les équipes de recherches pharmaceutiques). L’arrivée du crowdfunding dans ce domaine abaisse progressivement les barrières entourant ces deux acteurs, et, de fait, une partie des coûts structurels de cette recherche et développement. Si l’on oublie, quelques instants, les invraisemblables barrières fiscales et comptables que le gouvernement met en place à tire-larigot dans le domaine de crowdfunding, ce type de financement participatif pourrait très clairement permettre de trouver de façon efficace des moyens financiers pour des recherches alternatives, ou des voies thérapeutiques innovantes sur les maladies orphelines, peu ou pas rentables pour les grosses firmes dont les coûts de structures limitent les mouvements, et – bien sûr – les maladies plus courantes. Par exemple, menée en juin 2013, l’expérience de crowdfunding d’un journaliste du Telegraph a permis de lever 2 millions de livres sterling pour une cure de cancer neuroendocrinien actuellement en cours de développement.

Et de façon générale, on peut raisonnablement penser que l’introduction d’une nouvelle concurrence dans ce domaine apportera un renouvellement des stratégies scientifiques, politiques et commerciales des différents acteurs dont beaucoup se sont surtout concentrées, ces dernières décennies, à utiliser le levier du lobbying afin de protéger leur pré carré plutôt que celui de la recherche pour l’accroître. On ne peut s’empêcher de penser que si une partie des réglementations légales entourant les essais thérapeutiques est indispensable pour éviter les évidentes dérives éthiques ou limiter les risques d’une mise sur le marché d’un médicament délétère, une autre partie n’agit qu’en corset légal étouffant et bien trop serré, dont le but inavoué a surtout été d’empêcher de nouveaux entrants dans un domaine où les profits sont pourtant extrêmement motivants.

cancer chuck norris

L’exemple d’Ecrins Therapeutics marque peut-être, en France, le retour de la recherche pharmaceutique au contact des patients, et permettra peut-être (soyons fous, soyons optimistes) au législateur de prendre conscience des efforts à faire pour favoriser autant que possible le développement de solutions de financement innovantes telles que le financement participatif.

En tout cas, je ne peux, de mon côté, que saluer la bonne idée de cette start-up, et leur souhaiter un succès rapide, tant dans leur levée de fonds que dans leurs résultats cliniques.
—-
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  • J’aime bien le crowdfunding, mais ça reste du domaine du sparadrap et de la diversion : le problème est celui du financement des start-ups et des ETI qui n’est pas assuré par les canaux normaux de business angels et de sociétés disposant de fonds à investir. En laissant se développer un peu de crowdfunding, très limité, l’état brouille la notion de risque et de récompense du choix pertinent d’investissement à risque. Le crowdfunding amalgame les bons choix avec les mauvais en évitant à l’investisseur de perdre gros (et de gagner gros) et en gardant au fisc sa « légitimité » pour taxer les gros gains qui devraient en fait compenser les petites pertes bien plus nombreuses. Surtout, il se dispense de régler le problème des business angels, sur lesquels on tire à vue en France.

  • Encore un bel article, dans le domaine de la recherche médicale, la mafia étatique a malheureusement un pouvoir énorme qui bloque le service rendu au malade. Pour pouvoir avoir la bénédiction de l’afsaps et de l’ansm, ainsi que l’amm il faut avoir d’abord l’aval d’un professeur universitaire de medecine dont on mesure le titre à la quantité de publications dans des revues ou le le comité de publication regorge de copains, ensuite être copain avec le bon député, et ensuite être estampillé inserm et recherche étatique, en passant par des amis bien placés des big pharmas en place qui attendront patiemment que ses recherches tombent dans le domaine public. En tous les cas bonne chance à elle…

  • On peut en effet opposer la recherche récréative et festive délicieusement recouverte de caramel chaud associatif et le crowdfunding.
    Le premier cas dévore 75% des thunes pour faire le show alors que le 2ème cas essaye d’apporter une solution à un probleme d’une façon courageuse et ambitieuse.

    Qui de un ou de 2 aura de meilleurs résultats en France ?

    Bah, le 1 !

    Car si le 2 réussissait par malheur, l’Etat serait là, pour trouver des pailles dans la botte de foin administratif.
    L’etat ne supporte pas la concurrence.

    • Avant de pouvoir aboutir au crowfunding pour le développement de cette molécule, il a d’abord fallu passer par le caramel chaud associatif pour une recherche qui n’a pas du n’être que récréative et festive

      • je suis toujours étonné par le comportement des investisseurs, entrepreuneurs, chercheurs, ceux qui ont une plus valie réelle à apporter….pourquoi veulent ils faire cela en France ?

        Il est tellement plus simple de le faire ailleurs !
        Le gain peut être tellement supérieur.

        L’attachement à un pays foutu est dans ce cas tres paradoxal et contestable.

        Si il faut en passer par le caramel pour ensuite se faire du crowdfunding, je souhaite à cette société d’avoir l’intelligence de partir ou de se vendre avant la catastrophe.

        Simple hypothèse basée sur beaucoup de stats:
        La France n’est pas viable pour le travail, elle l’est en revanche pour le récréatif et le festif.

        Question de choix.

        • Vous n’avez pas compris mon propos. La cible d’ET-D5 est une protéine appelé PP1 qui a été isolée dans les années 70-80 à partir de muscle de lapin (plutôt festif non???. Pour cibler cette molécule il y a d’abord trente années de recherche (pour des centaines de publications) afin définir sa structure sa fonction et son importance dans certaines pathologies (via entre autre du financement caramel associatif et probablement via des recherches qui n’ont pas été festives et récréatives).
          la caricature est facile mais les molécules pharmaco ciblant des pathologies ne tombent pas toutes seules du ciel, par l’opération du saint esprit.
          Pour votre info, ET-D5 est née d’une coopération entre universitaire et chercheurs INSERM (secteur public hé oui!!!)
          Autre info: il est également possible qu’ ET-D5 cet inhibiteur de PP1 puisse également nous aider à ne pas perdre la mémoire: PP1 : Sur les traces de la protéine de l’Oubli
          http://web.expasy.org/prolune/dossiers/009/
          Peut être un coup double pour leur molécule ET-D5 en tout cas bon vent à eux

          • En 1999 ce sont les américains et non les français qui ont découvert la relation entre pp1 et angiogenese Protein Phosphatases 1 and 2A Maintain Endothelial Cells in a Resting State, Limiting the Motility that is Needed for the Morphogenic Process of Angiogenesis
            Mais bon c’était il y a 15 ans, le techniques de génomiques et de biologie cellulaire ont évolué en 15 ans… Les américains et les chinois ont des recherches beaucoup plus poussées et les connaissances sur l’angiogenese sont exponentielles, après on veut nous vendre les mérites de la recherche étatique, c’est bien continuez on a 20 ans de retard… esprits novateurs barrez-vous…

            • Je ne dirai pas le contraire mais soyez objectif sur la molécule ET-D5. Il s’agit bien d’une collaboration université INSERM Institut Curie Non?? alors sans vanter les mérites de la recherche publique, on peut y voir une collaboration qui s’est faite (peut être avec une dose d’opportunisme ) dans un monde très compétitif et cela semble avoir fonctionner. Le reste c’est du blah blah…
              Il n’y a pas que les Americains (OK) et les Chinois (cela reste à vérifier) qui ont des recherches poussées dans le domaine de l’angiogenèse, il y a également des équipes françaises, japonaises etc…. Ce qui est navrant c’est le mur auquel est confronté maintenant ces chercheurs (qui ne sont pas forcément des experts en entrepreneuriat) afin de développer et valoriser leur molécule et comme le souligne cet article, il faut beaucoup d’argent pour financer des essais qui prendront des années, s’ils tiennent jusque là…

  • Et la BPI alors ? c’est free-money en ce moment, un petit business plan en mettant : social, éthique, développement durable et ça passe easy, le contribuable recevra la facture dans 5 ans.

  • On aimerait bien que vous nous écriviez sur Lemonde et suissleaks …

  • Quelle honte, ce n’est pas le crowfunding qu’il leur faut, c’est la BPI, où est-e-elle ?

  • La plume de Vincent Bernard est certes tranchante pour dénoncer la morale que veut enseigner « Lemonde ». N’y aurait il pas des doutes par rapport au contenu des « leaks » et de l’impartialité du choix des coupables avant de parler des conclusions à tirer ?

  • Histoire d’ investissement : ds les années 90 il y avait au second marché une sté pharma spécialisée ds les tests diagnostic OHF les actions ont atterri à 0 si je me souviens bien ils utilisaient un brevet Sanofi sans droits
    C’ est donc risqué ds ces métiers d’ investir à moins d’ etre spécialiste ou « initié  » éviter ou ne placer que des sommes en rapport avec son épargne disponible

  • le crowdfunding , vendre un idée stupide au plus grand nombre et surtout a ceux qui n’y comprennent rien , avec l’effet de masse cela rapporte gros.. 😉

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