Par Jean-Baptiste Noé.
Une belle aventure entrepreneuriale, où des étrangers s’éprennent de la France et en font le domaine de leur expansion. L’histoire des thés Kusmichoff est celle d’une entreprise qui va de flamboyance en perdition, mais qui demeure toutefois un grand du thé. Tout commence en Russie quand Pavel Kusmichoff fonde une boutique de thé à Saint-Pétersbourg en 1867. Les Russes ont une approche du thé différente des Anglais : c’est celle des samovars, des thés qui infusent longuement, et surtout des mélanges. Thés noirs et verts se conjuguent avec des agrumes, de la bergamote et des fleurs. L’entreprise prospère si bien que la famille possède une cinquantaine de magasins en Russie au début du XXe siècle. Elle ouvre des boutiques à Londres et assure sa présence financière à Paris, pour mieux contrôler les grandes places du thé et les marchés à haut potentiel. Les années 1900 sont vraiment celles où le thé prend une grande ampleur et entre dans les habitudes de consommation des Européens, non sans mal.
1917 fragilise l’entreprise. Les boutiques sont bien sûr fermées, les capitaux sont menacés et la famille Kousmichoff perd son terrain de vente. Prévoyant des difficultés, notamment dues au conflit mondial, Viatcheslav Kusmichoff avait créé la marque Kusmi tea à Paris, au début de 1917. Quand les Rouges prennent le pouvoir il est ainsi possible de transférer une partie des actifs, et surtout sa famille, à l’abri de la capitale française. L’entreprise peut continuer à vivre et à proposer ses mélanges, avec un décor de boîte quasiment inchangé aujourd’hui. Ce sont les années 1960-1970 qui la voient sommeiller. Il est vrai que le thé est moins prisé. Elle décline tellement qu’elle manque de disparaître, avant d’être rachetée en 2003 par les frères Orebi, spécialisés dans le commerce du café et du cacao. Ils veulent faire de cette marque un des grands noms du thé, et ils affichent publiquement leurs objectifs. Pour cela, ils ouvrent des boutiques modernisées, sur le style Nespresso et ils amplifient la gamme des thés. On y trouve toujours les classiques : Prince Vladimir, Anastasia, et un Earl Grey étonnant. Mais à côté d’eux la marque propose des types de thés plus branchés et plus en vogue : des detox, des thés aux algues ou à la fraise.
Kusmi thé soigne à la fois ses produits, son image et son histoire. L’ouverture récente d’un restaurant sur les Champs-Élysées se veut une nouvelle façon d’aborder le concept des boutiques : pas seulement un lieu où l’on achète les produits, mais aussi où l’on peut les consommer, avec des gâteaux voire des plats salés. Pour moderniser son image, de nouvelles boutiques ont ouvert dans les quartiers à la mode, comme Beaugrenelle et la gare Saint-Lazare à Paris. L’image des boîtes en fer attire : elles sont à la fois reconnaissables et en même temps inscrites dans l’histoire de la marque. En plus du thé, Kusmi vend toute une gamme de produits qui permet de créer un univers intime et personnel : théières, tasses, accessoires à thé. Il s’agit d’appliquer au thé les recettes qui ont fonctionné avec le café, notamment pour la marque Illy. Thé et café se livrent, en Europe, une concurrence sentimentale acharnée depuis le XVIIIe siècle, et Kusmi thé essaye de redonner l’avantage à la feuille de Chine. Le chocolat chaud, quant à lui, a perdu la partie. On le cantonne au petit-déjeuner des enfants. Peut-être reviendra-t-il un jour ; il peut y avoir là un nouveau marché à prendre.
Au-delà des goûts de chacun (certains préfèrent Mariage frères), l’aventure Kusmi est intéressante à deux titres. Tout d’abord dans la façon dont la marque s’est relevée : en jouant complètement la carte de son histoire et en créant un imaginaire attirant autour d’elle : la Russie, la révolution, les mélanges entre l’Asie et l’Europe, la rencontre des thés et des saveurs. C’est cette racine historique que les frères Orebi ont su tout à la fois reprendre et capitaliser. Dans un autre registre, cela me fait penser à Moleskine. Marque en perte de vitesse, quasiment disparue, et qui a repris l’imaginaire de ses carnets de voyage en déclinant un nombre important de carnets et en s’ouvrant désormais aux sacs et à de multiples accessoires. D’abord l’imaginaire et ensuite la déclinaison.
Deuxième aspect intéressant dans l’aventure Kusmi, le fait de créer une marque style de vie. On ne boit pas du thé, on boit du Kusmi, et cela se fait avec les accessoires vendus par l’entreprise. Nespresso a fait cela dans son domaine, ainsi qu’Illy, et Kusmi essaye de faire de même : créer une appartenance à la marque, pour qu’un style de vie s’en dégage, et pour que ceux qui boivent ce thé le fassent à la fois pour ses qualités gustatives et pour l’image de vie qu’il véhicule. Ce n’est pas la seule marque à jouer de ces effets, mais cela montre que l’histoire et l’identité sont bien au centre des stratégies d’entreprise et de leur développement ; que ce soit dans l’informatique, dans l’automobile, et dans la gastronomie du thé et des boissons chaudes. La marque Kusmi tea à bientôt cent ans, et elle semble toujours innover à partir de son histoire et de ses racines.
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Affaire de goût mais je n’aime pas trop Kusmi tea, niveau des parfums je préfère mariage frères mais mes préférés sont ceux du palais des thés ( des moines, du hammam et des amants). En plus, Kusmi tea, on peut l’acheter à monop, c’est nul, moi j’aime bien mettre mon nez dedans pour choisir 🙂
L’ auteur a raison le chocolat chaud reviendra ( peut etre plus facilement avec des laits « végétal »
La dernière phrase est à méditer
et tout l’ article est intéressant