Par Francis Richard.
Au sud de Genève, côté français, se dresse la masse sombre du Salève. Cet obstacle insurmontable dans le paysage genevois sert de cadre au roman d’Olivia Gerig, qui se déroule dans les communes avoisinantes de ce mont, Bossey, Saint-Blaise, Cruseilles, et à Annecy, au cours de l’année 2009, avec des retours en arrière indispensables, pendant l’occupation allemande, dans cette région de la frontière franco-suisse, en 1942, 1943 et 1944.
Le mot ogre évoque bien sûr les contes de Charles Perrault, Le Petit Poucet et Le Chat Botté, qui avaient suffisamment fortement marqué Jacques Chessex, pour que les titres de deux de ses livres s’y réfèrent plus ou moins directement, L’Ogre et Carabas. Ce mot évoque également le cannibalisme, puisqu’un ogre, c’est bien connu, du moins de tous les enfants qui ont lu ces contes, se nourrit de chair fraîche.
Le commissaire Rouiller est sur le point de prendre une retraite bien méritée. Il lui reste une semaine encore à travailler. Il ne se doute pas que cette semaine sera bien remplie, qu’il aura plusieurs événements majeurs à élucider et que sa carrière s’achèvera sur de fortes émotions, de nature à lui faire rendre sa plaque avec soulagement et à lui faire entrevoir avec bonheur l’avenir radieux qui s’ouvre maintenant devant lui.
Une jeune fille de dix-sept ans, Céline, a disparu. Sa mère l’a attendue en vain à l’arrêt de bus qui fait la liaison entre Saint Julien-en-Genevois, dans le lycée où elle prépare son bac, et Saint-Blaise, où se trouve la ferme familiale. Comme cette jeune fille est sérieuse, il y a de quoi inquiéter ses parents, mais leur inquiétude n’est dans un premier temps pas prise au sérieux par la police, à laquelle sa mère s’est présentée.
Le professeur Jean Pellet, qui enseignait l’histoire à Sciences Po Paris, décoré pour faits de Résistance, a été retrouvé tué d’une balle dans la tête, dans son appartement d’Annecy, au cours de ce qui semble être un cambriolage, sans que tout n’ait pourtant été mis sens dessus dessous. Il tient dans sa main un morceau de papier qui doit provenir d’un livre de son « impressionnante bibliothèque de livres anciens et de divers objets rares datant de la Deuxième Guerre mondiale ».
Sur les flancs du Salève le chien d’un promeneur fait une macabre découverte, un os qu’il lèche devant son maître et qui ressemble étrangement à un tibia… La police alertée aussitôt par ce promeneur se rend sur place et trouve, au fond de la cavité déterrée par le chien, des ossements humains entassés les uns sur les autres, qui très vite vont apparaître comme ceux de jeunes filles, enfouies là au cours des quinze années précédentes.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une femme, Mathilde, qui a couché avec un officier allemand, Hans, et qui a donné naissance à un enfant de lui, est battue à mort par la population de Bossey. À la même époque, une famille de collaborateurs, qui se prétendait favorable à la Résistance, a livré des maquisards, qui, en confiance, s’étaient réunis chez elle, dans le même village de Bossey.
Quittant la grotte du diable, l’ogre court, dans le plus simple appareil, au cœur des bois du Salève : « Il avait mangé comme les autres. Après un tel repas, c’était nu qu’il se sentait le mieux. Sans entraves, il courait et hurlait de toutes ses forces. En fait, il n’était pas vraiment seul… Ses compagnes étaient là, des dizaines, amicales, menaçantes, violentes, douces, maternelles, belles, désirables, sensuelles, insaisissables… »
Peu à peu, le commissaire Rouiller et son adjointe Aurore, vont faire le lien entre les trois événements décrits par l’auteur pour le lecteur, auquel va s’ajouter un quatrième, la disparition d’une autre jeune fille de dix-sept ans, Emmanuelle, et établir le lien de ces événements avec les épisodes de la Deuxième Guerre Mondiale, connus également du seul lecteur.
La doctoresse et profileuse, Justine Reinault, venue exprès de Belgique, à la demande de son vieil ami le commissaire Rouiller, sera d’une aide décisive. En effet ses analyses précises de l’esprit du ou des criminels permettront de comprendre les mobiles pathologiques qui le ou les animent et d’anticiper en partie la suite de cette affaire sordide.
Ogre vient du latin orcus, qui signifie enfer. Et c’est bien d’horreurs infernales que sont capables de commettre des êtres humains sur leurs semblables qu’il est question dans ce livre remarquablement documenté, non seulement en matière de sciences forensiques, mais également en matière de psychologie de tueurs en série et en matière historique sur la Deuxième Guerre mondiale.
Même si le lecteur est informé, en avance sur les enquêteurs, de certains aspects de l’affaire, Olivia Gerig sait le faire languir jusqu’au bout de son récit. À la fin, elle ne lui donne d’ailleurs pas toutes les réponses qu’il se pose devant tant de monstruosités. N’est-ce pas de toute façon mission impossible ? Les motivations d’actes barbares, commis par des monstres, ne dépassent-elles pas l’entendement de personnes dotées d’un esprit sain ?
- Olivia Gerig, L’ogre du Salève, Éditions Encre Fraîche, 232 pages.
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