« Jacques Laurent à l’œuvre » d’Alain Cresciucci

Retour sur l’œuvre d’un écrivain trop rapidement oublié…

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« Jacques Laurent à l’œuvre » d’Alain Cresciucci

Publié le 7 janvier 2015
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jacqueslaurentJacques Laurent (1919-2000) ? Connais pas. C’est la réponse à laquelle il faut s’attendre de la part des contemporains. Car, aujourd’hui, qui connaît Jacques Laurent, hormis les happy few qui l’ont lu de son vivant ? Jacques Laurent n’est d’ailleurs pas méconnu, il est oublié. Lui qui n’était pas vaniteux, mais qui avait l’orgueil de penser non pas que lui-même, mais qu’une partie de son œuvre passerait à la postérité…

Pourtant, comme le rappelle Alain Cresciucci, dans le prologue du livre qu’il consacre justement à son œuvre :

« Jacques Laurent est certainement un des rares romanciers dont personne ne se vante d’avoir lu les œuvres complètes. Sa production est impressionnante. »

Sous son nom, il a en effet publié onze romans de 1947 à 2000 (auxquels il faut ajouter onze essais et deux autobiographies), et, de 1948 à 1987, sous celui de Cecil Saint-Laurent, trente-neuf romans (en principe, car sa bibliographie est embrouillée) sans compter ce qu’il a publié sous ses dix-sept autres pseudonymes répertoriés à la Bibliothèque Nationale de France.

Pourquoi cet oubli ? Parce qu’il était qualifié d’« écrivain de droite ». Pourquoi ? Parce qu’il avait un passé de fonctionnaire de Vichy, et qu’il avait été pro Algérie française… Des crimes impardonnables pour la bien-pensance, qui, quand ça l’arrange, confond l’homme et l’œuvre pour rejeter commodément cette dernière, fût-elle d’importance. On n’a curieusement pas de tels scrupules pour le passé trouble d’écrivains dits de gauche…

À ces taches biographiques infâmantes, il faut ajouter une tache supplémentaire : Jacques Laurent a prôné après-guerre, au contraire d’un Jean-Paul Sartre, le désengagement en littérature, qui, selon lui, ne devait pas être mis au service d’une politique. Alors qu’il s’est engagé personnellement dans l’affaire algérienne, dans les romans qu’il lui a consacrée, Laurent, cohérent avec lui-même, a « essayé de comprendre tous les combattants, et non décidé d’arroser les uns de crème fraîche, les autres de savon noir ».

Quand, dans les années 1950, il crée La Parisienne de ses deniers – grâce au succès de Caroline chérie -, cette revue « est un modèle rare de libéralisme : ses contributeurs venaient de presque tous les bords, en tous cas ne furent jamais choisis en fonction des prédilections réelles ou supposées du patron. Jacques Laurent aimait à le souligner, on pouvait dans le même numéro émettre des opinions opposées sur un sujet ou exercer un droit de réponse… et les controverses externes et internes n’ont pas manqué… »

Bien que représentant de la droite la plus réactionnaire, disait-on, Jacques Laurent a pris des positions sociétales on ne peut plus libérales (sur la libération sexuelle, le divorce, l’avortement) et s’est révélé féministe :

« Dès Caroline, Laurent est fasciné par le pouvoir féminin face à l’illusoire puissance masculine ; même dans les situations subies ou désirées de soumission, la femme reste paradoxalement, maîtresse du jeu alors que l’homme, mécanique et cérébral, est toujours à la merci du fiasco (grand thème stendhalien). »

Le livre d’Alain Cresciucci a le mérite de faire visiter ou revisiter l’œuvre méconnue ou oubliée de Jacques Laurent. Quand il signe sous son nom, ses livres sont plus exigeants littérairement parlant que quand il les signe Cecil Saint-Laurent : même s’ils sont le fruit d’une documentation historique importante, ne les dicte-t-il pas à deux dactylos ?

S’appuyant sur les romans de Jacques Laurent et de son double, ainsi que sur ses œuvres autobiographiques Histoire égoïste et Moments particuliers, l’auteur montre la proximité, voire l’intrication entre les premiers et les secondes. Ce que Jacques Laurent, de son côté, avait relevé chez Henri Beyle, dans son Stendhal comme Stendhal.

Cresciucci souligne également ce trait commun entre Laurent et Stendhal, « le besoin de littérature pour dramatiser son quotidien ». Ces rapprochements permettent de voir à quel point Jacques Laurent, tout comme Stendhal, a essayé de faire de sa vie une œuvre et inversement.

S’il fallait recommander des livres de Jacques Laurent, peut-être faudrait-il citer Les Corps tranquilles, que Laurent considérait comme son roman, Les Bêtises (Goncourt 1971), que Cresciucci considère comme un livre difficile (mais que j’ai lu deux fois de suite à l’époque pour en faire une recension), L’Inconnu du temps qui passe.

Le stendhalien (celui qui est attaché aux plaisirs que procure la lecture de Stendhal) pourrait bien sûr préférer aux livres précédents, La fin de Lamiel, signé Jacques Laurent, auquel Gérard Genette rend justice à sa parution : « Tout cela me semble fort bien venu et d’un esprit plus stendhalien que Stendhal lui-même. »

S’il fallait recommander des livres de Cecil Saint-Laurent, peut-être faudrait-il citer, plutôt que Caroline chérie, Hortense 14-18. Kléber Haedens ne disait-il pas, dans Une histoire de la littérature française, qu’il reste « le meilleur roman sur la Grande Guerre » ?

Alain Cresciucci termine son livre en évoquant la fin tragique de l’écrivain :

« Jacques Laurent s’est suicidé le 29 décembre 2000. La version officielle des agences signalait simplement sa mort à son domicile parisien. »

Cresciucci ne cite pas que le 27 mars 2003, Frédéric Vitoux y fait allusion dans son discours de réception à l’Académie française, où il succède au siège de Jacques Laurent :

« À un journaliste, quelques semaines plus tard, il avoua qu’il venait de lire Le Vicomte de Bragelonne. Celui-ci ne comprit sans doute pas la portée d’un tel aveu. Une façon à peine déguisée de laisser prévoir que le 29 décembre 2000, à trois jours d’un nouveau millénaire dont il se souciait bien peu, un grand écrivain allait prendre congé de nous. »

En effet Jacques Laurent, grand admirateur d’Alexandre Dumas, s’était toujours refusé, jusque-là, à lire ce livre « pour ne pas voir mourir Porthos »…

Mais Cresciucci cite le discours d’hommage d’Hélène Carrère d’Encausse lors des obsèques de Bertrand Poirot-Delpech, le 17 novembre 2006, où elle fait cette allusion sans ambiguïté à la mort volontaire de l’écrivain :

« Nous nous sommes trouvés tous deux, seuls, un jour d’hiver auprès de Jacques Laurent, qui avait décidé d’en finir avec la vie. Arrivés trop tard pour l’en empêcher, nous sommes restés plusieurs heures à son chevet, assurant une veillée funèbre fraternelle pour tenter de compenser la solitude et le désespoir qui avaient conduit notre confrère à la mort. »

Christophe Mercier, ami de Jacques Laurent, en septembre 2011, dans L’Atelier du roman n°67, dévoile cet ultime secret : Jacques Laurent avait décidé, dès 1999, de ne pas franchir le seuil du troisième millénaire…

Quand les querelles se seront tues, le troisième millénaire redécouvrira l’œuvre de Jacques Laurent et lui assurera une gloire posthume…

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  • Je n’ai lu qu’un seul de ses derniers romans, Le miroir aux tiroirs. J’ai le souvenir d’un livre bien écrit mais déjà sombre et profondément introspectif. J’ignorais la vérité sur sa disparition mais elle ne me surprends pas.

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