« Bataille à Seattle » ou le piège de l’image…

Un bon storytelling s’inscrit dans le temps – jusqu’à faire coïncider, dans le meilleur des cas, l’histoire qu’il véhicule et l’Histoire avec un grand H… Au risque de mélanger fiction et réalité…

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« Bataille à Seattle » ou le piège de l’image…

Publié le 11 décembre 2014
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Film Bataille à Seattle

Bataille à Seattle est un film réalisé par Stuart Townsend en 2007 – sorti en France en 2008 -, fiction retraçant les événements de 1999. En novembre/décembre de cette année-là, plusieurs dizaines de milliers de militants altermondialistes se sont rassemblés à Seattle pour protester contre le sommet de l’OMC qui s’y tenait. Cette date est symbolique dans l’histoire du mouvement alter : elle marque l’une des premières mobilisations vraiment importantes des militants organisée à l’échelle internationale, et leur offre surtout une très large médiatisation, à hauteur de cette organisation.

C’est justement sur ce deuxième point que l’agitation de 1999 représente un changement majeur : dans la mise en scène de ces événements, dans leur construction médiatique tant par les journalistes que par les altermondialistes eux-mêmes et leur quasi-mythification dans le récit que ces derniers en font – cette mise en scène atteignant donc son point paroxystique à travers le film Bataille à Seattle -, et non dans ce que ces événements furent en soi, en tant qu’action. Car dans le fond, il ne s’est surtout agit que d’une grosse manifestation, entraînant toutes les dérives habituelles sans pour autant renverser le système.

Mythification de la lutte sociale

Dans le film, cette manifestation est dépeinte comme une véritable guérilla. Les militants se prennent pour des soldats, prêts à affronter la mort ou la pire des violences policières, engagés dans une guerre totale contre un système d’oppresseurs et de destructeurs surpuissants. Ces oppresseurs et destructeurs, ce sont les multinationales, les groupes pétroliers, les établissements financiers, les constructeurs automobiles et les chaînes de fast-food, tous les agents du capitalisme mondial et fiers représentants de ce « big business » qui progresse avec la complicité des États « néo-libéraux », essentiellement occidentaux, contre le reste du monde. La mondialisation est un processus global dont les répercussions locales sont désastreuses, tant sur le plan humain qu’environnemental. La course au profit généralisée conduit les agents économiques à exploiter et saccager les ressources de toute la planète, et met en péril l’humanité entière…

Le raisonnement est un peu simple mais résume bien la vision des altermondialistes. De là découle leur credo : ils veulent littéralement sauver le monde, rien de moins. Ils prétendent ressentir la destruction de la planète dans sa totalité comme nous pouvons ressentir la destruction d’un objet qui nous appartient, et ils en sont directement affectés.

Leur leader, toujours dans le film, a une chevelure mi-longue et les yeux clairs, ce qui n’est pas sans rappeler les représentations iconographiques d’un certain Jésus… Jay, c’est son nom – incarné par l’acteur néo-zélandais Martin Henderson. Il se fait d’ailleurs remarquer par son incroyable capacité à pardonner. Pris à parti par un agent de police, il est durement frappé puis conduit au poste ; mais dans son infinie gentillesse, il accorde son pardon au violent policier : « Je ne vous blâme pas. Je veux dire, je le fais, mais… Merde. Ce n’est pas vous le problème. Vous faites seulement votre travail, je suppose. Les gens que j’essaye réellement de combattre sont ceux qui détruisent… qui détruisent tellement de choses et gâchent tant de vies. Pas juste une. Littéralement, des millions de vies. Et personne ne pointe jamais une arme sur eux. Vous savez, ils semblent si… inaccessibles, intouchables. Et vous, putain… vous et moi on se retrouve à se battre entre nous, alors qu’on devrait être ensemble pour se battre contre eux… »

Son regard à la fois tendre et apitoyé semble presque implorer le Très-Haut – ou la Très-Haute ? Ceux qui ne le suivent pas, ceux qui ne rejoignent pas le mouvement alter n’ont décidément rien compris. Mon dieu, Sainte-Gaïa, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.

La plus déterminée des convictions et la plus convaincue des déterminations semblent le caractère obligé de chaque militant pour mener à bien cette mission de rédemption. Pourtant, dans leur tentative d’enrayer le processus destructeur des politiques néo-libérales et du capitalisme mondial, leur action à Seattle est en elle-même parfaitement inutile. Et ils le savent bien. Leur stratégie est clairement affirmée et assumée à travers les dialogues du film : ils n’envisagent pas sérieusement de renverser le système, leur seul objectif possible étant de faire parler d’eux. C’est là le véritable renversement signifié par ce film, et par toutes les actions militantes de ces dernières décennies. Les individus qui se placent ainsi en position de rebelles savent bien qu’ils n’entameront en rien le pouvoir auquel ils prétendent s’opposer. En réalité, ils ne cherchent peut-être même pas à déclencher une vraie révolution ; implicitement, ils acceptent tout autant que le système se conserve, reste en place, comme un cadre transcendant au travers duquel eux-mêmes conservent leur statut si fièrement proclamé de « rebelles ». Ils ne croient plus à la révolution, ils n’en rêvent même pas. Ce qu’ils visent tient en fait dans le slogan scandé à plusieurs reprises lors des manifestations que reconstitue le film, aux accents tout narcissiques – « Le monde entier nous regarde ! Le monde entier nous regarde ! »

Mutation de la conscience historique

Par-delà le discours visant à porter et à justifier leur action, cette dernière ne prend pourtant son sens que dans la perspective moderne d’une véritable « conscience historique ». C’est là que se noue le paradoxe du militantisme altermondialiste – en tant que forme de la politique au sens large du terme. Pour Gadamer, l’apparition de la conscience historique marque le passage à la modernité. Il explique ainsi : « Nous entendons par conscience historique le privilège de l’homme moderne : celui d’avoir pleinement conscience de l’historicité de tout présent et de la relativité de toutes les opinions. » (cf. Le problème épistémologique des sciences humaines, conférence de 1958).

D’une certaine façon, la conscience historique est la conscience que nous pouvons faire la révolution, et, à partir de là, imposer le système de notre choix ou la vision du monde que nous voulons. La conscience historique est une forme de reconnaissance de notre « capacité révolutionnaire » : nous nous envisageons nous-mêmes acteurs du changement, provocateurs d’événements, auteurs de l’Histoire avec un grand H. Il y a donc une tension entre la prétention militante altermondialiste, dans ce type de manifestation de masse telle qu’à Seattle en 99, et la retenue de chaque militant dans l’espoir limité voire inexistant qu’il a de la portée véritable de son action, selon la logique avouée dans le film. Les militants prétendent vouloir « changer les choses », et c’est précisément cette perspective qui les pousse à agir ; cependant, l’action qu’ils planifient alors n’a pas expressément pour but de changer les choses, mais simplement de les faire apparaître eux-mêmes comme porteurs de cette revendication. Ils communiquent sur leur volonté sans jamais chercher directement à la réaliser.

En fait, ces dernières années marquent peut-être le pas vers une nouvelle étape de la conscience historique : l’avènement d’une « méta-conscience » historique.

La métaconscience historique serait une sorte de conscience de la conscience historique. La conscience historique était la conscience que nous étions l’Histoire, dans les événements que nous pouvions nous-mêmes générer. La métaconscience historique consiste en ce que nous avons toujours conscience de l’Histoire, conscience que nous sommes l’Histoire à travers les événements, cependant non plus dans ce que sont en eux-mêmes ces événements mais dans leur publicité – au sens de l’image que nous cherchons à en donner, dans la représentation que nous nous en faisons.

À l’époque de la surmédiatisation de tous nos rapports, jusqu’à la virtualisation, nous nous agitons pour « faire parler » et n’agissons plus pour « faire » tout court. Par médiatisation ou surmédiatisation des rapports sociaux, il faut entendre le fait de moins en moins les charger d’un contenu réel et direct, et signifier de plus en plus leur existence à travers des symboles, des images et des discours. C’est une interprétation possible de ce que Norbert Élias a analysé comme « processus de civilisation ».

À ce titre, Bataille à Seattle se révèle exemplaire. Il ne s’agit pas de parler d’un événement qui a vraiment changé les choses ou marqué le début d’une nouvelle ère politique, mais, en en faisant un film, d’en faire parler comme tel, et, de là, de le faire devenir tel. Il s’agit de mythifier l’événement. Il s’agit de renvoyer aux militants l’image qu’eux-mêmes veulent donner – pensent donner, se donnent à eux-mêmes -, et leur faire vivre leur « lutte » de cette façon exemplaire. Désormais, les militants pensent d’avance leurs actions dans l’idée qu’elles ne comptent plus en elles-mêmes, mais seulement dans la façon dont elles vont être présentées à travers la publicité qui en sera faite. Ils se projettent déjà dans la retranscription médiatique de l’événement, vivent l’événement dans la représentation qu’ils s’en font, ou qu’ils imaginent que certains médias pourront en faire. Cependant, par cette distanciation, les initiateurs de ces événements en réduisent par là-même tout l’impact possible. Ils n’envisagent même plus que ce genre d’événement peut avoir une véritable portée révolutionnaire. Personne n’agit plus directement sur la réalité ou dans la réalité. Tous agissent à travers des étages de sous-réalités interposés. Nos actions ont de là chaque fois moins d’effets sur la réalité.

Acceptation tacite des règles du jeu

Nous sommes alors conduits à un degré supérieur du paradoxe de cette métaconscience historique. La métaconscience historique, pour résumer, caractérise donc la tension entre la volonté d’agir et le désir d’une certaine représentation de l’action ou, pour le dire autrement, entre le fantasme et la « capacité » révolutionnaire. Tenus par ce désir, emportés dans cette projection, les partisans d’une cause sont d’autant moins efficaces dans l’instant : leur action en est d’autant moins percutante – et devrait donc a priori avoir moins de chance d’être représentée de façon efficiente. En guise de correctif de cet effet, le cinéma se révèle peut-être l’un des plus puissants médias, quand ceux-ci sont majoritairement soumis aux flots incessants de l’actualité. Un réalisateur partisan offre en effet la meilleure possibilité de romancer l’action ou ses différentes phases et d’en assurer la publicité – comme le montre Bataille à Seattle à la fois dans son contenu et en tant qu’objet culturel. Cependant, ce désir ou ce fantasme, découlant d’un certain idéal teinté de nostalgie du projet révolutionnaire, se retrouve à son tour en contradiction avec la désillusion totale quant à l’idée de révolution.

Les militants, observant leur propre jeu dans la perspective de leur métaconscience historique (traduisant par là le caractère réflexif de cette forme de conscience), se résignent spontanément à l’idée qu’ils ne feront jamais éclater le système par la succession de leurs petites sauteries sur la place publique. Ils savent d’ailleurs bien qu’ils n’auraient alors rien à proposer. Ils développent un art du militantisme particulièrement élaboré, mais abandonnent l’étude de l’art du gouvernement. Leur politique à eux se mène dans un rapport dialectique avec celui-ci. Seuls, ils n’auraient plus rien à faire, et ne sauraient certainement plus quoi faire. Ils se placent eux-mêmes en situation de subordination. Ils n’essayent même pas d’atteindre leur propre réalité ou le monde tel qu’ils le veulent ou qu’ils le voient, mais se maintiennent dans une sorte de cadre fictionnel – le cadre politique, de l’État, du gouvernement… Ils s’adonnent à une activité soumise à des règles précises : non pas qu’ils se soumettent à ces règles, mais ne peuvent prolonger leur état de rébellion qu’en rapport implicite avec elles. Une « activité soumise à certaines règles », que ce soit dans le but de se divertir ou pas, n’est autre que la définition d’un jeu.

Ces militants n’agissent donc même plus dans une perspective authentiquement révolutionnaire – qui, à défaut d’être honorable, était au moins « sérieuse » -, mais s’engagent dans leurs actions comme dans un jeu. Ils se pensent eux-mêmes en train de jouer, et s’en amusent tout à fait ! Ils jouent à la lutte sociale comme on jouait aux cow-boys et aux indiens. Leurs rapports avec les forces de l’ordre ne sont qu’une version à peine plus mature de leurs jeunes années passées à jouer au gendarme et au voleur. La rue est simplement vécue comme extension de leur cour de récréation. Il faut vraiment les voir, ces cortèges de lycéens, et toute cette piétaille adolescente, qui se rassemblent à chaque annonce de manifestation, et font mine de défier les CRS en proférant de vaines insultes ou dressant le majeur dans leur direction. Les plus taquins osent jusqu’à leur lancer des poignées de gravillons, triste parodie d’une improbable « guerre des pierres » en ces lieux. Ils n’y croient pas, c’est évident, ils jouent et ils le savent. Et les CRS aussi le savent, et résistent sans haine ni crainte. Ils assument ce rôle de gardien de la paix face à une excitation juvénile qui ne représente aucunement une menace pour l’ordre public. Cependant, en leur offrant tout de même une petite résistance, ils insufflent aux manifestants le sentiment d’exister pleinement. Ils leur donnent, à coup de matraques et de flash-balls, le temps d’une journée, dans un halo de gaz lacrymo, la sensation grisante de pénétrer dans l’Histoire.

Médiatisation totale

L’annihilation des effets de ce genre d’agitation est en réalité dramatique. Elle est symptomatique, comme évoqué plus haut, du mal plus profond de notre société résultant de la médiatisation à outrance de tous nos rapports. Nous sommes dépossédés de la réalité elle-même. Nous nous dépossédons nous-mêmes. Avant, quand on avait de l’amour ou de la haine pour ou envers quelqu’un, on allait lui faire l’amour ou… lui faire la haine, le frapper, le provoquer en duel. Puis s’est imposé un très civilisé système de déclarations préalables, avant toute tentative d’action. Voilà ce que signifie la médiatisation de nos rapports. On ne fait plus directement l’amour ou la guerre, on fait d’abord une déclaration d’amour ou une déclaration de guerre.

Aujourd’hui, ces déclarations ne sont même plus des préalables à l’action : certains se contentent de déclarer, sans rien faire en suivant. C’est la médiatisation à l’extrême. La déclaration seule peut d’ailleurs elle-même produire son effet, comme forme particulièrement subtile d’énoncé performatif – ou provoquer suffisamment de plaisir à celui qui la formule, parfois dans l’idée même de frustrer son récepteur en ne lui donnant aucune suite concrète. Au niveau microsocial, les exemples, pour le moins triviaux, illustrent d’autant mieux le mécanisme : c’est le règne des « allumeuses », qui semblent inviter, mais restent toujours fermées ; c’est le règne d’un certain genre de voyous, de racailles, agressifs dans leurs gestes et dans leurs mots, agressifs dans leur expression et non toujours physiquement, et qui s’amusent d’impressionner de la sorte les fils de bonne famille, par la seule parole et leur ton violents.

Le stade ultime de la médiatisation, c’est la virtualisation. On déclare l’amour ou la guerre par sms ou à coup de smileys sur Internet. On ne se rencontre même pas. On commence et termine une relation, qui n’est qu’un échange de petits mots tronçonnés en sms, en tweets, en statuts facebook, par écrans interposés, sans jamais se voir, caché derrière un avatar ou un pseudo. Et l’on en parle comme d’une romance magique ou d’un dur conflit.

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que toute action semble se dérouler dans le cadre d’un jeu, et semble elle-même un jeu. Toute rencontre de l’autre, tout contact avec l’extérieur, toute sortie de son petit monde à soi et la déconnexion momentanée de nos écrans Internet devient une expérience un peu surprenante en soi, recelant de fait cette authenticité qui finit par nous manquer. Les discours qui appellent à ces expériences oubliées – qui, plus simplement, invitent à l’action -, ne sont plus que des excuses pour retrouver les autres, les voir, les sentir, les toucher, redécouvrir un petit peu de réalité. Ils deviennent d’étranges « idéologies justificatrices », selon l’expression de Raymond Aron, mais dont la visée n’est pas la conquête ou l’accaparement du pouvoir, mais une forme paradoxale et insidieuse, résignée ou inconsciente, de soumission à celui-ci.

Avant, la camaraderie s’éprouvait au centre aéré ou dans les MJC. Maintenant, et parce que nous n’avons plus le même âge, ce sont les altermondialistes qui deviennent les organisateurs d’activités pour les jeunes désœuvrés de la réalité. Il faut faire une banderole : peu importe ce qui est écrit dessus, c’est d’abord un chouette bricolage ! On se rassemble devant la préfecture ou la mairie : c’est comme faire une ronde et danser ! Les sit-in sont propices aux rencontres, les manifestations deviennent de longues balades conviviales dans la ville. L’odeur des merguez grillées dans les cortèges de la Confédération Paysanne est la même qu’à la fête foraine. Peu importe le sens de ces actions, c’est déjà tellement bon d’avoir l’occasion de sortir jouer. Les groupes altermondialistes rivalisent d’imagination quand il s’agit d’organiser un événement : happenings, luttes festives, soirées déguisées… Le livre Un nouvel art de militer recense ces différents moyens d’expression, assimilés à des moyens d’actions, et tous basés sur l’humour, le plaisir de la farce et la convivialité. Le comble du genre est atteint avec la « Brigade Activiste des Clowns » – notez l’acronyme, la BAC -, assumant pleinement la transformation du théâtre des opérations manifestantes en scène de cirque comique ou burlesque.

Au point que certains parmi les rangs des altermondialistes eux-mêmes en viennent à se demander s’il s’agit encore de militer ou seulement faire la fête. La question se posait également dans divers articles et discussions sur le réseau Indymedia. Dans Bataille à Seattle, on voit par exemple un cortège de manifestants déguisés en tortue, singuliers défenseurs de ce charmant petit animal. Quel plaisir ont-ils dû prendre à concevoir ces costumes et à les revêtir, comme quand nous étions petits les jours de Mardi gras ou d’Halloween !

Ces nouvelles formes de militantisme, exagérément qualifiées de révolutionnaires, ne sont plus que fictions, jeux, représentations. Lorsque certains arrivent enfin à renouer avec la réalité, qu’ils se rendent soudain compte du ridicule de leur jeu – qu’ils prennent seulement conscience qu’il ne s’agit que d’un jeu, d’un amusement -, le genre de film qu’est Bataille à Seattle permet alors de redonner un peu de sens à leurs actions, les teintant d’une certaine gravité, les faisant apparaître comme réellement engageantes au regard de l’Histoire dans son immensité. Et le jeune altermondialiste se rend au ciné comme d’autres se rendent au temple pour se galvaniser, autant de lieux suprême de la représentation symbolique.

Questions en passant…

Toutefois, quitte à prendre ces jeux au sérieux, demandons-nous si cette action militante n’en est pas moins cohérente. Existe-t-il pire supercherie que ces affrontements impossibles, entre policiers surentraînés et manifestants désarmés ? La « théorie du complot » est une croyance assez répandue chez les contestataires, qui pensent se battre contre un ordre invisible instauré par les puissants de ce monde. Mais si complot il y a, peut-être ses pourfendeurs devraient-ils envisager que les réactions policières visent moins à étouffer leur contestation qu’à les maintenir eux-mêmes dans cette situation. En vivant dans l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, dans la mise en scène de cette contestation, dans le jeu de ces manifestations, ils font de leurs actions une sorte de rituel, voire de cérémoniel, qui finit par être parfaitement intégré à l’ordre en place.

Le développement d’une authentique stratégie – qui viserait le renversement de cet ordre – nécessite une réflexion préalable à toute action. Or, en excitant le bouillon contestataire, ceux qui s’y livrent sont empêchés de tout recul, pourtant indispensable en vue d’une réflexion de ce niveau.

Le meurtre absurde de Carlo Giulani par un gendarme italien, lors des émeutes à Gênes contre le sommet du G8 qui s’y tenait en 2001, s’inscrit presque trop bien dans cette perspective invraisemblable. Pour les gouvernements en place, il n’y a peut-être pas de meilleurs moyens de contrôle de la population que d’offrir à celle-ci l’illusion de la contestation, et la favoriser en y répondant notamment par des moyens policiers disproportionnés – qui semblent ainsi en accréditer la valeur.

Le propos, ici, n’est pas de dire qu’il y a un complot mondial ou des raisons d’y croire. Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans l’idée d’un complot mondial, si certains y croient, le meurtre de Carlo Giulani devrait moins être considéré comme une réaction des auteurs de ce complot – en vue d’assurer leur sécurité, ou protéger leur secret -, que comme une action de ce dit complot en vue même de susciter des réactions à son encontre, et maintenir les plus actifs des contestataires dans cet état de révolte. Car la révolte ne suffit généralement pas à renverser l’ordre en place. La révolte n’est pas une révolution. Elle ne s’inscrit pas dans un plan stratégique et s’expose toujours au risque d’être finalement guidée par les États auxquels elle prétend s’opposer. Le changement ne s’opère qu’au sein même de ces États, ceux-ci se prolongeant donc dans ce qu’ils ont de fondamental.

Les luttes sociales contemporaines s’emprisonnent et s’étouffent dans la propre image qu’elles se donnent, dans la mise en récit que les militants font eux-mêmes de leur propre histoire. Un statut de « méta-spectateur » que Debord aurait à peine osé imaginer. Devenir acteur au sein d’un spectacle autoproduit, dont la représentation fantasmée n’est donnée à voir qu’à ces mêmes acteurs par le jeu de miroirs déformants des médias et du cinéma… Le storytelling fait exister nos idées, il peut aussi nous piéger.

Avec la complicité de (=S=)

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  • ce film pire que médiocre ne mérite pas autant d’analyse. A la limite la seule chose importante c’est la romance quasi obligatoire dans un film, c’est dire la vacuité du truc, qui aurai pu (du ?) s’appeler « coup de foudre à la manif » 🙂

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