La saga Alstom ou la traduction d’une frilosité bien française

Intervenir ? Ne pas intervenir ? La saga Alstom représente à elle seule les errements français face aux politiques de régulation du marché.

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TGV en gare de Barcelone (Crédits Aleix Cortés, licence Creative Commons)

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La saga Alstom ou la traduction d’une frilosité bien française

Publié le 14 novembre 2014
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Par Luc Tardieu.

TGV en gare de Barcelone (Crédits Aleix Cortés, licence Creative Commons)

Mercredi 5 novembre, Emmanuel Macron, ministre français de l’Économie, entérinait l’accord du gouvernement sur le rachat par le groupe américain General Electric de la branche énergie d’Alstom. Si la volonté de vendre et le nouveau propriétaire étaient connus de longue date, le groupe français dès lors amputé semble patauger en eaux troubles quant à son futur.

La saga Alstom représente à elle seule les errements français face aux politiques de régulation du marché. Intervenir ? Ne pas intervenir ? Le groupe tricolore spécialisé dans les transports a connu les deux. En 2004, tandis que Nicolas Sarkozy était ministre de l’Économie, la France faisait le choix d’entrer au capital d’Alstom, alors au bord de la faillite. Deux ans plus tard, le géant français du BTP, Bouygues, rachetait les parts de l’État – 21,03 % –, lui permettant d’ailleurs de réaliser une belle plus-value. Le plan de sauvetage esquissé par le locataire de Bercy se voyait couronné de succès ; les finances étatiques connaissaient une légère embellie. Sauf que, début 2014, Alstom se rapproche à nouveau dangereusement du gouffre, et les offres de rachat fleurissent pour un (ex ?) fleuron national en péril. L’Américain General Electric (GE) et l’Allemand Siemens-Mitsubishi sont alors pressentis au rachat.

Refuser d’entrer au capital d’Alstom pour mieux l’intégrer après la bataille

Mais contrairement à il y a 10 ans, la France privilégie en juin dernier l’amputation à l’administration de soins palliatifs et l’accompagnement d’un groupe souffrant. Une méthode qui a le mérite de la clarté et de la simplicité, là où une énième entrée au capital aurait jeté quelque incertitude sur le devenir des investissements de l’Etat. Pourtant, tandis qu’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, a officiellement autorisé, mercredi 5 novembre, le rachat de la branche énergie par l’américain GE, on apprend que la France pourrait entrer de nouveau au capital du délesté Alstom.

Ainsi le gouvernement se laisse-t-il 20 mois, une fois l’acte de vente paraphé – premier semestre 2015 –, pour acquérir 20 % des parts du groupe sur le marché ou auprès de Bouygues. Si l’on pouvait encore se demander, en 2014, si tout tournait rond sous l’ère Hollande, cette annonce a le démérite – ou le mérite – de nous indiquer qu’il y a bel et bien un problème. Comment interpréter la participation future de l’État, alors que la bataille est déjà terminée – et dans un sens perdue –, si ce n’est comme la volonté pernicieuse du chef de l’État de ne pas faire du Sarkozy, déclaré ennemi de la nation socialiste en 2012 ?

Un « Airbus des transports » qui ne verra sans doute jamais le jour

L’économie ne serait ainsi qu’un jeu dont le but est de ne surtout pas imiter son concurrent pour satisfaire quelque égo de politicien. Un jeu qui, si l’on peut se permettre, M. le président, met en balance des milliers d’emplois et une indépendance énergétique – donc économique – tant vantée au plan mondial. Rien que cela. Résultat des courses, le gouvernement agit à contresens et rate surtout le virage européen qu’aurait pu emprunter l’affaire, si nos dirigeants – comme ceux d’Alstom – avaient joint, pour une fois, des actes à leurs paroles, celles d’europhiles convaincus mais peu convaincants. Car la saga Alstom eût assurément été le commencement d’une fructueuse politique industrielle européenne en matière de transports et d’énergie, sans cette frilosité regrettable.

Politique fiction. Début 2014. Alstom va mal. L’État intègre comme au bon vieux temps son capital en rachetant les parts d’un Bouygues qui n’en demandait pas tant – grand perdant dans l’affaire bien réelle et contemporaine du rachat de Numericable – et devient ainsi l’actionnaire majoritaire du groupe. Cela lui permet de convaincre Patrick Kron, le PDG d’Alstom en bisbille avec Siemens – qui aurait vaguement tenté de faire couler l’industriel français dans les années 2000… – que l’offre de l’Allemand représente une chance inespérée de voir un « Airbus des transports » et un géant de l’énergie émerger un jour en Europe. Un conglomérat qui plus est en bonne santé, tandis que Siemens, qui souhaite se recentrer sur ses activités premières, affiche des bénéfices en hausse cette année.

Malheureusement, la réalité rattrape et dépasse une fois de plus la fiction. Alstom se verra bien dépecé de ses activités énergétiques en 2015, et l’État, incapable de trouver les moyens de ses ambitions européennes, embarquera à bord d’un navire au naufrage annoncé. Annoncé par un manque de visibilité – quant aux pertes d’emplois, quant à la part des 12,35 milliards d’euros d’achat qui viendra remplir les poches des actionnaires –, et des résultats bien plus que moroses – les bénéfices de la branche transport ont chuté de 72 % en un an. Et si l’on venait de gâcher un potentiel franco-allemand au service de l’Europe ?

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  • Encore un article “pondu” par quelqu’un qui ne connait pas le sujet !
    Regretter que Siemens n’ait pas racheté Alstom le démontre largement.
    Ce ne sont pas les “bisbilles” du PDG, qui dateraient de 2000 qui sont en cause.
    Siemens est un concurrent direct d’Alstom sur TOUTES ses lignes de produits et donc l’avenir d’Alstom était tout tracé au-delà de l’engagement sur 5 ans de ne pas licencier=>Alstom alllait purement et simplement disparaitre et Siemens faisait une double bonne affaire: 1_Il refilait son TGV malade et 2_ il supprimait son plus gros concurrent mondial.
    Au contraire, avec GE, il n’y a pas de concurrence, mais QUE des complémentarités de produits et de clientèles; mieux GE a les finances que n’avait pas Alstom pour se développer.
    Interrogez 500 Cadres d’Alstom, tous vous dirons la même chose.
    Quand à l’interventionnisme (provisoire ou non) de l’Etat que vous préconisez, là on rêve …..
    Que l’Etat fasse son boulot au niveau de sa propre organisation et ne se mêle pas des affaires des entreprises: il ne sait pas faire et toute notre histoire le démontre.
    Quant à “l’Airbus des transports” ce n’est qu’un rêve, qui certes aurait pu prendre il y a 15 ans quand les rapports de force “financiers” entre Alstom et Siemens étaient équilibrés, mais pas en 2014 où Siemens est en état, une fois encore, de se tailler un joli monopole.

    • En effet, la « chance inespérée » d’un « second airbus du copinage » aura été manquée. Comment peut-on ne pas s’en réjouir ici ?

    • Si vous connaissiez le sujet sur le fond, vous comprendrez pourquoi le PDG et les dirigeants d’Alstom préfèrent GE à une offre française ou à Mitsubishi (Siemens n’a pas fait d’offre sur l’ensemble des activités uniquement sur les turbines à gaz après rachat partiel de Mitsubishi) :

      http://www.ecosociosystemes.fr/voyou.pdf

      Vente d’Alstom: l’enjeu caché de la corruption / 27 mai 2014 | Par Fabrice Arfi et Martine Orange

  • Dans cette histoire deux erreurs politiques se sont fait jour, qui démontre les incompétences de l’état français en matière d’économie :
    1) le recentrage d’Alstom sur le transport alors que les deux deux acheteurs potentiels sont des géants de l’énergie. Pour faire simple : pour faire rouler des trains il faut de l’électricité. Et qui va fabriquer et vendre cette électricité ?
    2) « l’airbus du transport »… Le marché du ferroviaire est un marché de niche. Il faut des infrastructures importantes et coûteuses dont la rentabilité est longue. Et la majorité des sites qui pouvaient être équipés le sont déjà dans les pays industrialisés. Dans les pays en voie de développement, l’argent manque pour ce type d’infra. Et les états visent plutôt le développement des … centrales électriques et réseau routier…

    Deux solutions viable s’offrait à Alstom:
    – Un rachat total par GE, si l’état français ne s’était pas emmêler, ceci aurait été possible.
    – Un rachat de l’activité transport et un recentrage sur l’activité électrique.

    C’est le contraire qu’a choisi l’état français….

    A pleurer !

  • Effectivement, que l’Etat rentre au capital est idiot, imaginer qu’il y entre pour en plus diriger la strategie?, c’est franchement stupide.
    Quelle mouche vous a piquée?

  • Wah… un article qui prône l’interventionnisme de l’état… et qui plus est pour faire une europe des transports collectifs ! Double fail…

    Triple même si on considère que le mariage avec GE est la moins mauvaise solution étant donné les complémentarités.

    Faudra penser à nationaliser le prochain fabricant de papier en difficulté car la paperasse est un secteur stratégique pour l’état.

  • Faire Airbus, ça veut dire utiliser 2 logiciels de CAO incompatibles? 😀

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