Le Secret du gardien de phare, par Nicole Leibowitz

L’histoire d’un homme rendu vulnérable par sa longue solitude, par son absence de perspectives, par son inadéquation au monde qui l’entoure.

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Le secret du gardien de phare (Crédits L'âge d'homme, tous droits réservés)

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Le Secret du gardien de phare, par Nicole Leibowitz

Publié le 14 septembre 2014
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Par Francis Richard.

Le secret du gardien de phare (Crédits L'âge d'homme, tous droits réservés)Le monde évolue très vite. Même ceux qui y vivent sans discontinuer peuvent être pris de vertige, surtout quand ils n’ont pas appris dès le plus jeune âge que dans la vie il fallait s’adapter. A fortiori, ceux qui ont vécu reclus dans des prisons ou dans des ermitages peuvent être désemparés lorsqu’ils découvrent ce que le monde est devenu pendant le temps qui s’y est écoulé sans eux.

Pendant vingt ans, Amboise Morel, la quarantaine, le gardien de phare du roman de Nicole Leibowitz, est resté en dehors du cours des choses qui se passaient sur terre. Il a en effet vécu toutes ces années « à soixante-dix mètres sous le ciel, à scruter le vide, à entendre les bateaux qui lâchaient leurs sirènes en plein océan comme pour se soulager du silence ».

Certes il n’était pas seul. Il avait un collègue qui le relayait toutes les six heures : « Les milliers de repas qu’ils avaient partagés en tête-à-tête avaient forgé entre eux une solide entente. Aussi les femmes n’avaient jamais manqué à Amboise. » Pourtant, avant de devenir gardien de phare, après avoir été formé à Brest, à la moitié de son âge, il avait aimé une jeune fille encore mineure, de son village du Doubs, Marie Adèle, une handballeuse émérite du club féminin de Besançon, qui lui avait chamboulé les sens : « Elle était taillée pour le sport avec ses bras fuselés et musclés, des jambes solides et fines. En fait, elle déployait son corps avec puissance et allégresse. » Mais cette dernière était d’un autre milieu que le sien et les parents, ceux de sa belle et les siens, n’avaient eu de cesse de les pousser à la rupture. La rupture avait fini par se produire, d’autant plus aisément que Marie Adèle craignait de se retrouver dans « un trou à femmes de marins » et ne voulait pas renoncer à son sport. Marie Adèle avait repoussé Amboise quand il l’avait enlacée autoritairement et lui avait proposé de se marier. Il en avait été malade, avait maudit cette ensorceleuse et avait choisi de partir sans crier gare pour prendre ses fonctions de gardien de phare de pleine mer, au large de La Quiche-sur-Mer. Et la mer l’avait sauvé. Pendant un temps.

Car, quand le récit commence, Amboise vient d’être licencié. Il fait partie de ces bons et loyaux serviteurs dont les progrès de la technique, un jour, font des laissés pour compte, sans qu’ils aient appris à faire autre chose : « Désormais les ordinateurs enverraient à sa place des signaux aux marins tandis que les bateaux se faufileraient sans témoin dans les ténèbres. » Amboise avait failli perdre la tête en apprenant cette nouvelle. Une musique qu’il aimait fredonner naguère, un impromptu de Schubert, le tourmentait maintenant et ses notes lui apparaissaient comme des plaintes insupportables. Cette musique devait désormais lui trotter dans la tête à chaque fois que l’émotion le prendrait et que la tristesse l’étreindrait…

Pendant ces vingt ans passés au phare, Amboise n’avait pas beaucoup dépensé. Aussi ne se trouvait-il pas sans ressources. Avec le pécule amassé, il s’achète une maison à La Quiche-sur-Mer. Mais il n’est pas accepté par les gens du coin, parce qu’il vient d’ailleurs et que « les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux », comme le chantait le regretté Brassens…

Sa voisine, Lina Ker, n’est pas de l’avis des braves Quichois et se moque des rumeurs. Au contraire, Amboise l’émeut parce qu’il est différent des autres et qu’il est tellement ailleurs. Elle frappe un jour à son huis pour faire connaissance, il se méprend et croit voir sa Marie Adèle… Le lendemain Lina revient le voir et lui dit qu’il est beau. Ce qu’aucune femme ne lui avait jamais dit auparavant… Bref, avec elle, il découvre le plaisir charnel, lui qui n’avait jamais connu de femme pour rester fidèle à Marie Adèle, et, bientôt, il s’installe dans sa maison à elle, bien plus accueillante que la sienne.

Ils auraient tout pour être heureux si Lina ne lui faisait connaître un autre plaisir, celui du jeu – elle a été mariée à un croupier -, et qu’un jour elle ne lui propose de l’accompagner, en fin de promenade en ville, au Casino Star. Elle y joue à une des machines à sous et… gagne. Mais, elle, elle sait s’arrêter… Amboise va alors commencer la descente aux enfers que tout joueur impénitent connaît. Car il revient le lendemain en secret, c’est-à-dire à l’insu de Lina, sans avoir au jeu la même sagesse qu’elle.

Et, au fil des jours, le lecteur assiste impuissant, et peiné, à la dilapidation du pécule d’Amboise et se doute bien que toute cette histoire ne peut que mal se terminer… d’autant que l’auteur apprend au lecteur quel est le tempérament réel d’Amboise : « Lui, il aimait les extrêmes, les soleils figés, les pluies torrentielles qui effacent les paysages, les éboulis d’après tempête. Il voulait des odeurs marines, d’iode, de tabac et de goudron, de n’importe quoi plutôt que celles de la mièvrerie de tiédeurs inutiles. »

Le mensonge s’insinue bientôt entre Amboise et Lina. Il prétend qu’il a trouvé un travail de docker. Au fur et à mesure que son pécule fond comme beurre au soleil, son humeur s’altère – il a peur d’être démasqué par Lina – et suscite en retour l’incompréhension de cette dernière. La relation des amants se tend toujours davantage en dépit de rémissions qui en repoussent la rupture et qui correspondent aux périodes de gain du joueur accro qu’Amboise est devenu, et qui l’encouragent dans son addiction : « C’est un phénomène connu et inexpliqué, la chance peut être durable, se répéter au point de frôler la banalité puis disparaître comme elle était survenue, avec la même discrétion. »

Ce roman n’est cependant pas un énième roman sur le jeu. Même si Nicole Leibowitz décrit toute la mécanique implacable qui conduit un joueur à tenter de se refaire à chaque fois qu’il perd et à ne pas savoir s’arrêter à chaque fois qu’il gagne. Ce roman décrit surtout un homme rendu vulnérable par sa longue solitude, par son absence de perspectives, par son inadéquation au monde qui l’entoure et par sa totale ignorance de la complexité du coeur des femmes, sur lesquelles, injuste, il rejette la faute des avanies qu’il subit ou dont il est responsable.


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  • bonjour ,vous allez encore me dire que je fais preuve de partialité ! Mais voici ;descendant par mi-partie d’ancêtres marins-pêcheurs , cap-hornier ,marins de commerce ;moi-même ancien marin de l’état .Il y a eu au moins 2 gardiens de phares , lesquels ont laissés des cahiers ou des notes rassemblées à titre de souvenirs . IL y a bien sûr des passages dramatiques ;lors de tempêtes ou de naufrages (malgré la présence du phare ) d’attentes prolongées de la relève etc … le plus clair étant les rapports d’incidents techniques ,de maintenance du matériel , d’observations météo . Jamais d’état d’âme , de plaintes , d’étalage de tourments .Ces gens considéraient sans doute qu’ils faisaient leur métier .

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