“Black Whidah” de Jack Küpfer

Le roman de Jack Küpfer se passe en 1808, au Brésil, puis sur la côte des esclaves, dans le golfe de Guinée, plus précisément dans le Royaume imaginaire de Whidah.

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“Black Whidah” de Jack Küpfer

Publié le 10 septembre 2014
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Par Francis Richard.

whidah-kupferLes derniers pays chrétiens, qui ne l’avaient pas encore fait, ont aboli l’esclavage au XIXème siècle, les uns après les autres, mais l’un des derniers sera le Brésil, qui ne le fera qu’en 1888… Quant aux pays musulmans, ils attendront le XXème siècle pour s’y mettre et le dernier sera la République Islamique de Mauritanie, en 1980, c’est-à-dire hier. Le décret d’abolition de l’esclavage en France, lui, date du 27 avril 1848…

Ces quelques repères historiques ne sont pas inutiles pour situer le roman de Jack Küpfer, Black Whidah, qui se passe en 1808, au Brésil, puis sur la côte des esclaves, dans le golfe de Guinée, plus précisément dans le Royaume de Whidah (un whidah est un oiseau africain de la famille des tisserins…), imaginé par l’auteur.

Le narrateur est un natif de Stornoway, ville écossaise des Hébrides, un dénommé Gwen Gordon. Deux ans après les faits, il se décharge enfin, avec répugnance, du pesant poids de la mémoire de l’histoire qu’il a vécue. Gordon parle couramment plusieurs langues : le portugais, le français, l’anglais et l’espagnol. Aussi, après avoir abandonné une Norvégienne, Sigrid, qui, fruit de ses œuvres, a mis au monde deux jumeaux, a-t-il été enrôlé, des années plus tard, pendant quelque temps, comme interprète par Watkins. Ce dernier est un vieux loup de mer, un alcoolique flibustier, un pirate qui a fini pendu à une potence dans un port brésilien fortuné.

Dans un autre port fortuné brésilien, Recife, où il fait profil bas, en se faisant passer pour un honnête marin français, Gordon fait la connaissance du capitaine Porteiro. Ce dernier lui propose de l’engager sur son navire, l’Antares, dont les cales sont remplies de sucre, de coton, de café, d’alcool et de tabac et qui a pour destination Whidah, le plus grand port d’esclaves du golfe de Guinée.

Cette proposition est une aubaine pour Gordon, qu’il ne peut refuser. Il n’a pas envie de finir pendu à son tour et il est complètement démuni. Autant quitter le pays. Mais le prix à payer sera d’obéir sans réserve à Porteiro. Celui-ci a payé la note de son auberge, il en sait plus sur son passé de forban qu’il ne l’imaginait et il a bien l’intention de se servir des compétences de polyglotte de Gordon.

Le Royaume de Whidah, avec lequel les négriers sont alliés, est en guerre contre le Royaume d’Oyo. Ce conflit est intéressant pour des gens comme Porteiro, car il lui fournit “abondance d’esclaves”, qui sont autant de prisonniers faits à l’ennemi. Ses semblables négriers et lui se donnent bonne conscience. S’adressant à Gordon, Porteiro lui dit :

“Nous ne faisons rien de mal ici, mon jeune ami. Nous offrons même une chance de survie aux vaincus, et la possibilité de sauver leur âme en un pays catholique, ainsi qu’à se préparer sereinement, dans le travail, à la vie éternelle…”

La chance de survie n’est pourtant pas bien grande :

“Pour chaque esclave qui survit, trois meurent avant, pendant ou après la croisée de l’Atlantique !”

C’est pourquoi les négriers ont un bel avenir devant eux… D’autant que les besoins de main-d’œuvre sont grands dans les mines d’or et les plantations brésiliennes et qu’il faut la renouveler fréquemment… Cette fois, la transaction entre le chef Da Costa, commandant du fort de Whidah, et le capitaine Porteiro ne se déroule pas aussi tranquillement que d’habitude. La cargaison d’esclaves prévue est composée de membres d’une tribu dont la sorcière, la Mambo, a été tuée pendant un assaut qui a fait de nombreux morts de part et d’autre. Et les guerriers du Royaume de Whidah, terre de Vaudou, commencent à voir son fantôme partout…

Da Costa se comporte mal avec sa jeune compagne Paula, d’origine portugaise. Ce qui provoque les rires des officiers de l’Antares, mais ne fait pas rire du tout Gordon. Paula le remarque. Or, de son côté, elle a tout pour éveiller en lui “une excessive curiosité” :

“Son teint était hâlé et ses traits plutôt délicats. Elle avait une luxuriante chevelure brune, un peu défaite, et ce qu’il faut un peu partout pour susciter les feux les plus violents.”

À partir de là, les événements s’enchaînent et le narrateur conduit le lecteur successivement dans la forêt du royaume – la forêt de Kpassé – d’où proviennent les gémissements d’un enfant, puis sur le port de Whidah où se situe le marché aux esclaves, enfin sur une mer déchaînée où se trouvent des évadés, lesquels, pendant la tourmente, ne se seront jamais sentis aussi proches de Dieu…

Et, pendant toutes ces péripéties, le narrateur, écœuré, révolté par sa conduite, fait preuve alternativement de courage et de lâcheté, avec des pensées au diapason :

“Tantôt sombres, tantôt claires, mes pensées étaient ambiguës. On eût dit que les antagonismes étaient libérés, que les contraires se mêlaient, sans jamais vraiment s’opposer.”

Une fois tournée la dernière page, le lecteur, transporté par le style riche, chatoyant, parlant à l’imagination de ce livre, ne peut que s’exclamer, un peu épuisé (surtout s’il l’a lu nuitamment d’une traite), faute d’autres mots plus appropriés : quelle aventure !

  • Jack Küpfer, Black Whidah, Olivier Morratel Éditeur, 2015, 272 pages.


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