Quand la règlementation devient folle…

Par son inadaptation, la règlementation favorise les crises, en empêchant une véritable régulation du risque.

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Banques argent finance (Crédit : 401(K) 2013/Creative Commons)

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Quand la règlementation devient folle…

Publié le 25 juin 2014
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Par Vladimir Vodarevski

Banques argent finance (Crédit : 401(K) 2013/Creative Commons)Dans l’actualité ces dernières semaines, il a été question, entre autre, de la limitation des bonus dans les banques, des critiques de la présidente du FMI contre les banques, et de la politique monétaire agressive de la BCE. Toutes ces mesures ou réflexions se veulent en lien avec la crise. Il s’agit d’empêcher une nouvelle crise, et de sortir de celle dans laquelle nous sommes empêtrés.

Seulement, en écoutant nos régulateurs, on peut se demander sur quelle planète ils vivent. En effet, quand on connaît les mécanismes qui ont mené à la crise, on constate qu’ils font tout pour en provoquer de nouvelles, plutôt que pour les prévenir. Enfermés dans une idéologie, ils ne tirent aucunement les conséquences de la crise actuelle. Il faut dire, c’est vrai, qu’en tirer les conséquences signifierait reconnaître leurs erreurs.

Quelles sont les leçons à tirer de la crise ? Pour ce faire, il faut d’abord rappeler l’enchaînement qui a mené à cette situation. Puis, d’isoler ce qui a mené à cet enchaînement. Enfin, de souligner ce qu’il ne faut pas faire pour éviter de reproduire la même situation.

L’enchaînement qui a mené à la crise

Celle-ci provient de l’utilisation du crédit immobilier pour soutenir la croissance aux États-Unis. Les taux d’intérêt ont été maintenus bas longtemps, à partir de 2002. Parallèlement, les conditions d’obtention d’un crédit immobilier sont devenues moins contraignantes. Ce qui a provoqué un boom immobilier, avec deux conséquences.

D’abord, le secteur de l’immobilier a vu ses effectifs augmenter. Les mises en chantier se multipliaient, il fallait de la main d’œuvre. Ce qui était favorable à la croissance de l’économie.

Ensuite, l’augmentation des prix de l’immobilier permettait aux propriétaires de contracter un crédit hypothécaire supplémentaire, même s’ils devaient déjà en rembourser un, basé sur l’augmentation de la valeur de leur maison. L’argent ainsi obtenu servait aux dépenses de consommation.

Ainsi, le crédit soutenait la croissance américaine, en soutenant le secteur de l’immobilier et la consommation. Les économistes s’accordaient majoritairement pour dire qu’il s’agissait d’un cercle vertueux : le crédit alimente la consommation, ce qui alimente l’emploi, ce qui alimente la consommation et permet de rembourser les crédits, et ainsi de suite. Un cercle vertueux keynésien.

Puis, les prix de l’immobilier sont montés tellement haut, que le marché s’est stabilisé. Dans le même temps, les emprunteurs ont commencé à avoir des difficultés à rembourser leurs crédits. Ils ne pouvaient plus contracter de nouveaux crédit hypothécaires, car la valeur de leur maison ne montait plus. Un cycle inverse s’est donc enclenché : la croissance n’était plus tirée par le crédit, mais au contraire la baisse de la valeur de l’immobilier entraînait une baisse des dépenses de consommation, et une récession.

Les difficultés des emprunteurs à rembourser ont également entraîné une crise financière. Les banques devaient classer en crédit douteux des crédits qui auparavant étaient considérés comme sûrs. D’autre part, certains crédits avaient été titrisés, c’est-à-dire transformés en titres financiers, et vendus à d’autres banques ou d’autres établissements financiers comme des titres sans risques. Ils sont devenus des titres à risques, puisque les emprunteurs ne remboursaient pas forcément.

Les causes de la crise

Le crédit s’est développé car les taux d’intérêt étaient bas. Ces taux sont contrôlés par la banque centrale US, la Réserve Fédérale. Celle-ci avait décidé de les maintenir bas pour relancer l’économie US. Les économistes étaient favorables à une bulle immobilière. Pour s’en convaincre, voici un article qui rappelle que le célèbre économiste keynésien, et prix Nobel, Paul Krugman, appelait en 2002 à la création d’une bulle immobilière. J’aime bien mettre des liens vers cet article, et j’encourage tout le monde à le faire aussi. Il montre que la bulle immobilière était volontaire, et que les économistes keynésiens sont favorables à ce genre de bulle, même s’ils les dénoncent quand elles éclatent.

Le crédit immobilier s’est aussi développé en raison de la réglementation bancaire. Le secteur bancaire est en effet hyper régulé. C’est le régulateur qui décide de ce qui est risqué ou non, en l’occurrence le Comité de Bâle. Plus un crédit, ou un titre financier, est considéré comme risqué, plus la banque doit détenir de fonds propres, ce qui, en clair, détériore sa rentabilité. Le Comité de Bâle a décrété que les crédits aux États, ou les titres émis par les États, étaient sans risque. Le crédit immobilier arrive en deuxième position des activités les moins risquées, ce qui explique pourquoi les banques ont prêté largement aux États-Unis pour les prêts immobiliers. La réglementation les y encourageait. Guillaume Nicoulaud propose d’ailleurs sur Contrepoints un graphique très intéressant qui montre les conséquences des critères de Bâle sur le crédit aux entreprises.

Ajoutons que le Comité de Bâle a donné aux agences de notation leur rôle actuel. Auparavant, ces agences conseillaient les investisseurs. Le Comité de Bâle les a intronisées comme référence des emprunteurs. Ceux-ci sont obligés d’être notés s’ils veulent bénéficier de conditions d’emprunt favorables sur les marchés financiers. Ces agences ne sont pas des boîtes noires comme elles ont été dénoncées. Elles respectent les règles du comité de Bâle. C’est logiquement qu’elles ont bien noté des titres dit subprime, car ils étaient adossés à de l’immobilier.

Dans cette course à la croissance à crédit, le gouvernement des États-Unis a joué l’escalade. Dans ce pays, les crédits hypothécaires sont rachetés ou garantis par deux agences contrôlées par le gouvernement, Fannie Mae et Freddy Mac. Pour développer le crédit, les gouvernements successifs ont permis à ces agences de racheter des crédits plus risqués.

De plus, le gouvernement US a agi pour l’accès au crédit des plus défavorisés, avec le Community Reinvestment Act.

Ajoutons que les pays les plus touchés par la crise ont aussi eu des autorités encourageant la croissance à crédit. Comme l’Espagne, dont les caisses régionales, contrôlées par des potentats locaux, finançaient l’immobilier. Ne parlons pas de la Grèce, dont les comptes publics n’étaient pas transparents.

Les leçons de la crise

La crise provient donc de l’encouragement du crédit par les autorités monétaires, Réserve Fédérale et gouvernement, et de la règlementation bancaire en matière de risque.

La règlementation bancaire décrète ce qui est risqué et ce qui ne l’est pas. Or, dans la vraie vie, l’évaluation du risque n’est pas figée, et elle est aléatoire. Ce qui est sans risque aujourd’hui peut le devenir demain. Il peut y avoir une incertitude, des activités étant considérées comme risquées par certains, sans risque par d’autres, sans qu’on puisse avoir de certitudes.

La règlementation est donc complètement inadaptée. Il n’est pas possible de décider a priori, par décret, par règlement, de ce qui est risqué ou non en économie. Par son inadaptation, la règlementation en vient à favoriser les crises, en empêchant une véritable régulation du risque.

Mais comment éviter que les banques, aguichées par l’appât du gain, ne prennent trop de risque et ne créent de risques systémiques ? Et mettent en danger les dépôts des épargnants ? Assurément, la réglementation actuelle n’est pas la solution, car même les dépôts ne sont plus protégés, comme on l’a vu à Chypre.

Un autre moyen reposerait sur la responsabilité et la transparence. La responsabilité suppose que la banque soit libre de décider de ce qui est risqué ou non. Mais qu’elle assume les risques, sans être protégée de la faillite par une banque centrale ou une autre autorité monétaire.

Quid de l’épargne des déposants ? D’abord, soulignons que les dépôts ne sont d’ores et déjà plus en sécurité, pouvant être ponctionnés en cas de coup dur. La solution existe pour mieux les protéger. L’économiste Jesus Huerta de Soto rappelle, dans Monnaie, crédit bancaire, et cycles économiques, que le dépôt auprès d’une banque est aussi un contrat juridique. Le déposant peut donc décider de ce qui sera fait de son argent. Plutôt que d’être mis dans un vaste pot commun dans lequel la banque se servirait à loisir, les dépôts pourraient être logés dans des fonds de placement, aux objectifs bien définis. Les comptes de dépôt auraient la garantie de n’être placés qu’à très court terme, pour garantir la sécurité et la liquidité. L’épargne plus longue serait placée en fonction des desiderata des déposants. Les risques pris par les déposants et ceux pris par la banque, pour son compte propre, seraient bien isolés.

La deuxième leçon de la crise, c’est que l’idée que le crédit peut être utilisé pour relancer la croissance a montré sa nocivité. En fait, le crédit, par essence, n’est pas contra-cyclique : il ne peut pas être utilisé pour inverser un cycle économique. L’expérience montre qu’il est pro-cyclique, c’est-à-dire qu’il favorise les excès. Par exemple, aujourd’hui, dans un environnement incertain, les taux d’intérêt bas en Europe, et la politique ultra-accommodante de la BCE, ne provoquent pas une forte augmentation du crédit aux entreprises. Parce qu’il y a un risque, qui est globalement reconnu par la communauté financière. Par contre, si aucun risque n’est perçu, on assiste à un emballement du crédit, comme dans le secteur immobilier avant la crise aux États-Unis.

Conclusion : l’aveuglement idéologique

Aucune leçon n’a été tirée de la crise. La règlementation bancaire suit toujours la même logique de définir les risques a priori, et encourage à l’irresponsabilité des banques avec l’aléa moral, c’est-à-dire en garantissant qu’une banque trop grosse ne pourrait pas faire faillite. Parallèlement, les banques centrales comptent toujours sur le crédit, sur la création monétaire, pour soutenir l’économie, encourageant ainsi les bulles et préparant les crises. Les faits montrent l’ineptie d’une telle politique, et pourtant elle est menée avec obstination. Ce qui laisse à penser que la règlementation est devenue folle.


Sur le web.

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  • Sur l’euphorie de l’enchaînement…
    – Les revenus sont acquis quand on les encaisse.
    – L’éventuelle plus-value se réalise quand on vend et accessoirement quand on sait compter.
    La responsabilité des bisounours est évidente mais aussi des bizoutés, quand même !

  • « Les faits montrent l’ineptie d’une telle politique, et pourtant elle est menée avec obstination. »

    Je pense qu’on peut remplacer le mot « ineptie » par « corruption » ou « vol en bande organisée » : il ne faut pas oublier que ces poltiques interventionnistes ont d’abord pour vertu d’enrichir un nombre considérable de gens au plus grand mépris du droit du commun des mortels.

    • Tout à fait d’accord et c’est malheureusement ce qui n’est jamais assez souligné par tous les médias. Tous ceux qui traficotent l’économie « dirigée » sont de véritables escrocs oeuvrant au profit d’un grand nombre de béneficiaires qui font tout leur possible pour conserver leurs avantages: nous sommes sous la coupe d’une oligarchie technocrate mafieuse.

    • Je tourve comme vous qu’on ne va pas assez loin dans l’analyse. Taxer ces interventions d’ineptie ou d’incompétence n’est clairement pas suffisant.

      La réalité montre plutôt un gigantesque détournement de fonds des oligarques et leurs courisans privés au détriment des laissés pour comptes, des chômeurs, des entrepreneurs en faillite ou interdits de concurrence, des immigrés apatrides, etc.

      • J’abonde aussi dans ce sens et notre passivité a quelque chose de coupable. Et mon plus vif souhait est que les bornes qui ont été franchies allégrement par nos énarques soient celles où les esprits les plus éveillés signifient leur refus définitif de cette caste spoliatrice. Nous devons nous organiser et réagir autrement que des mots.

  • Petit complément : l’équipe de Bush a fait en sorte d’imposer aux banques de prêter à des emprunteurs insolvables sous peine d’amendes. On a, à peu près pareil, avec Montebourg et ses pénalités pour non-embauche.

  • Les nouvelles règlementations sont ubuesques et entrainent encore plus d’instabilité. Certains risques (notamment les risques liés aux obligations d’Etat) ont été démultipliés.
    Ca va faire très mal …

  • J’ai eu de bons éléments de compréhension du crac immobilier aux USA grâce au livre de Pascal Salin  » Revenir au capitalisme »

    • Salin n’est pas assez lu et commenté dans ces colonnes: ses analyses sont non seulement très fines et bien documentées mais son pragmatisme le préserve d’une trop grande théoricité. Il donne de vrais pistes pour passer de la dépendance où nous a conduit l’étatisme forcené instauré depuis des lustres à l’indépendance de décisions qui devrait être le but de chacun mais que la paresse (le mal français) de beaucoup de nos concitoyens conduit à oublier, favorisant ainsi l’activité et la prospérité de nos oligargues de la « justice » sociale.

    • Je recommande vivement la lecture de M Salin. C’est concis, argumenté, fin et très intelligent.

      Cet homme a fait un travail remarquable que ce soit sur l’immigration, sur la conduite d’automobile, sur le droit de la concurrence, sur la pollution, la monnaie, etc. Bref, tous les sujets sont abordés sous la lumière de la liberté et de la responsabilité.

      Un bon livre de Salin vaut de nombreux, très nombreux discours ! 🙂

      • Désolé de répéter vos porpos précédents hermodore. Mais mon emballement pour Pacal Salin et ses travaux est total. A chaque fois que j’entends parler de lui, je suis heureux.

        • Je partage votre enthousiasme et pense que l’aspect pratique de Salin a quelque chose de rafraichissant, même si j’accorde un grand intérêt aux excellentes analyses politiques et philosophiques d’un Revel (dont le successeur nous fait toujours défaut) ou économiques d’un Baverez (il faut lire ses chroniques des années 2000 pour se rendre compte à quel point le mal que nous subissons ravageait déjà la période Chirac).
          Salin offre d’inombrables pistes de réflexion et arguments pour faire sauter ce carcan étatiste qui nous étouffe.

  • krugmann et Stiglitz sont des incompétents notoires. ce n’est pâs parce qu’on est nobélisé qu’on est pas un imbécile. On ne comprend pas qu’ils soient encore écoutés

  • Ce n’est pas la réglementation qui est devenue folle. C’est les politiques qui laissent faire les technocrates.

  • Article abominable, tout est tordu (faux) pour servir un présupposé de l’auteur…

    • Vous avez raison, en reprenant vos arguments point par point, je ne peux que m’incliner…

      • La base de votre analyse et de laisser croire que les subprimes sont à l’origine de la crise actuelle.
        la crise des subprimes a entrainé une crise de liquidité aujourd’hui terminé. La crise actuelle est une crise lié au surendettement des pays riches qui ont des taux de croissance très faibles voire négatifs.

        Subsidiairement les prêts immobiliers au plus pauvres est en réalité un clientélisme de B Clinton qu’il a pu réaliser en faisant tomber les gardes-fous imposer à Fannie Mae and Freddie Mac (une sorte de dérégulation 😉 ). Le triple A obtenus par la titrisation d’une partis des crédit de FF MM et dû à ce que les fonds sont garantis par le trésor américain et les impayés (loyé) garanti par une assurance.

        Ce que vous démontrez ici, n’est pas une soit disant inanité du crédit, mais l’inanité de l’interventionnisme de l’état dans l’économie pour des raisons de plus en plus futiles (clientélisme principalement)

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