Maroc, quel bilan 10 ans après le code de la famille ?

La « Moudawana », ce nouveau code de la famille, répond-il aux aspirations de la société marocaine ? Dans quelle mesure cette réforme a-t-elle atteint ses objectifs ?

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Maroc, quel bilan 10 ans après le code de la famille ?

Publié le 11 juin 2014
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Par Siham Mengad (*).

En 2004, sous le regard satisfait de la communauté internationale, le Maroc adoptait un nouveau code de la famille consacrant une certaine égalité hommes-femmes, et rendant plus difficile la pratique de la polygamie. Le Parlement marocain approuvait, sans grandes différences entre les partis politiques, la réforme du code de la famille, la Moudawana. Dix ans après son adoption, ce nouveau code de la famille répond-il aux aspirations de la société marocaine ? Dans quelle mesure cette réforme a-t-elle atteint ses objectifs ?

Le 10 octobre 2004, le Roi Mohamed VI faisait connaître la réforme attendue de la Moudawana, en gestation depuis 1999 après plusieurs interruptions destinées à apaiser les esprits de ceux qui s’y opposaient pour plusieurs motifs. En effet, Le texte de la Moudawana reconnaissait les droits de la femme, mise sur un pied d’égalité avec l’homme, en lui attribuant des droits qui ne lui étaient pas acquis dans le passé. Désormais, la famille est placée sous la responsabilité conjointe des deux époux, la notion de «l’obéissance de l’épouse à son mari» est abandonnée, la femme n’a plus besoin de tuteur pour se marier, l’âge légal du mariage passe de 15 à 18 ans, une autorisation pour la seconde épouse est à obtenir, une répudiation est soumise à l’autorisation du juge, la femme a droit elle aussi à demander le divorce, et en cas de divorce celui qui a la garde des enfants conserve le domicile conjugal. Toutes ces dispositions furent très positivement accueillies.

Aujourd’hui, 10 ans après l’adoption de la nouvelle Moudawana, certaines dispositions du Code dont le mariage précoce persistent. Des jeunes filles qui n’ont pas encore atteint l’âge matrimonial légal continuent d’être mariées. L’article 20 du code fixe l’âge du mariage légal à 18 ans, mais il stipule en même temps que le juge de la famille peut faire des exceptions et peut autoriser le mariage en deçà de cet âge à condition de motiver et justifier sa décision.

Selon les chiffres du ministère de la justice et des libertés, le taux de mariage des mineures, est passé de 7,75% en 2004 à 11,47% en 2013. L’année 2011 a connu la plus grande proportion de ce type de mariage avec un taux de 11,99% du total des actes de mariages conclus au cours de cette année.

L’autorisation de la polygamie est une autre disposition qui continue de faire du bruit. En effet, bien que l’article 40 rende la procédure difficile, des hommes continuent à recourir à certaines méthodes pour avoir une seconde épouse. Là aussi, les chiffres sont éloquents : la polygamie est en hausse de 11,40% en 2011 par rapport à 2010, 1 104 mariages polygames ont été autorisés contre 991 l’année précédente.

La tutelle du père à l’égard de ses enfants est également discutée. Une égalité de droit entre le père et la mère pour qu’ils deviennent tous les deux tuteurs de leurs enfants doit être consacrée. Surtout que pour toute formalité administrative, carte nationale, passeport, voyage à l’étranger, inscription à l’école, etc… c’est le père qui demeure le tuteur.

A vrai dire, les innovations du code de la famille font l’objet d’une résistance sociale et culturelle débouchant sur des fausses interprétations. En effet, dans une famille patriarcale, les garçons et les filles sont éduqués de manière à ce que les premiers dominent les secondes. Ce rapport de domination se traduit dans la soumission de la femme à son mari, dans la division sexuelle du travail, etc. Certaines femmes marocaines ont tellement internalisé ce rapport de domination qu’elles le trouvent parfois « normal ». Les nouvelles dispositions mettent en jeu des innovations juridiques qui cherchent à revaloriser le principe d’égalité entre homme et femme et à renforcer les droits de la femme, de la famille et de l’enfant. Mais force est de constater que ces nouvelles lois posent un problème d’applicabilité en raison d’un manque d’ancrages social et institutionnel dans un environnement où se manifestent plusieurs signes de résistance à la culture égalitaire.

Aujourd’hui, à l’enthousiasme suscité par la promulgation du nouveau code en 2004 succède une forme de scepticisme. Les associations féminines et les organisations des Droits de l’Homme ne manquent pas de critiquer les lacunes et les défaillances dans l’application des nouvelles dispositions de la Moudawana. A cet égard, la question de la résistance des instances judiciaires à faire appliquer le nouveau Code demeure cruciale. Surtout que le pouvoir d’appréciation laissé aux juges est important. On peut avancer que dans certains cas, les décisions judiciaires vont à l’encontre de l’esprit du code. De plus, le déficit, sinon le manque de moyens humains et matériels alloués aux « tribunaux de famille », créés pour assumer l’application des nouvelles lois, rend plus difficile l’application du nouveau code de la famille.

Sur un autre registre, la méconnaissance par les femmes de leurs droits et leur accès parfois difficile au système judiciaire, l’interprétation abusive de certaines des dispositions de la Moudawana, et la persistance des stéréotypes basés sur le genre, constituent autant d’obstacles à l’application du code de la famille.

Dans une société machiste et patriarcale, le plus probable est qu’il s’agisse de bloquer les réformes dans bien des occasions. S’il existe une volonté réelle de garantir l’application des réformes, il faudra commencer par le bas.

(*)Siham Mengad, docteur en droit public.

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  • « Il faudra commencer par le bas » : très juste, mais c’est quoi, exactement, « le bas » dans une société comme le Maroc ? Sur un sujet comme le droit des femmes, c’est la religion, qui théorise et fige ce que l’auteur désigne par euphémisme comme le modèle patriarcal.
    Allons un peu plus loin : si on lit bien les statistiques données par Suhal Mengad, ce que voulait instaurer la loi est en régression et non en progrès. Et ces régressions ne sont possibles qu’avec l’autorisation des juges. Le fait que la loi prévoie des dérogations laisse penser que dès le départ elle était dominée par une énorme hypocrisie ; mais surtout, on a donc affaire à des juges qui vident la loi de sa substance.
    Ce ne peut être que pour deux raisons.
    l’une est celle déjà citée : dans la tête des juges aussi, la loi religieuse est supérieure à la loi civile.
    L’autre, si on suppose que les juges n’ont pas ce parti-pris, est qu’ils subissent des pressions. Pas nécessairement des menaces personnalisées (quoiqu’il serait intéressant de vérifier…), mais en tout cas une atmosphère de pression diffuse.
    Bref : quand ce n’est pas la religion, c’est la peurqu’elle inspire.
    On voit donc que prendre le problème « à la base » impliquerait l’instauration d’une société laïque, avec séparation forte et claire de la religion et de l’état. Comme partout ailleurs, tant que cela ne sera pas fait, en acceptant le conflit (En France, en 1905, ou dans la Turquie de Mustapha Kemal, ce n’a pas été simple ni facile mais c’est à ce prix), les lois les plus « progressistes » resteront lettre morte.

    • Grace à l’égalité Homme femme le taux de divorce en france est de 46.2 % en 2011(institut national des études démographiques) , près d’un mariage sur deux … bravo !

      • Dernièrement, j’entendais encore un présentateur de radio avancer : « ah, le divorce, c’est clairement une avancée sociale ». En effet, aujourd’hui, il est est tout à fait normal de divorcer, souvent (expérience de nombreux proches) avec des enfants en bas âge.
        N’oublions pas que tout « progrès » implique une doctrine, doctrine qui aujourd’hui voit dans l’individualisme l’accomplissement de l’homme.
        La famille au sens d’une certaine loi naturelle (donc religieuse) n’a plus rien à voir avec la famille dite traditionnelle (je suis catholique), elle n’est plus qu’un contrat à durée déterminée que deux adultes (je crois restés mentalement à un stade adolescent) conclue le temps que l’envie passe. Et les éventuels enfants s’y feront, parce que sinon ils seront moins heureux (dixit les parents).
        Mais le paradigme de la société de consommation est beaucoup plus large, puisque que hypothèse de base pose l’individu libre de consommer ce et ceux qui l’entourent (mari, femme, enfants, amis), et de s’en séparer lorsque son utilité ne compensera plus ses désagréments.
        C’est ça le « progrès ».
        Comme, après réflexion, ne pas vouloir un peu plus de noblesse pour homme?
        Je prierai sincèrement pour qu’un jour les gens comprennent toute la beauté et la noblesse de la famille.

  • * la famille moderne n’a plus rien à voir avec la famille traditionnelle

  • Cet article est tout sauf libéral. La critique de la société et la recherche de lois qui lui conviennent est une quete absurde et ne cause que des problèmes. La société marocaine est bien comme elle est, il y a un seul problème, l’Etat est le seul garant des actes qui réunissent homme et femme. Seul le papier délivré par l’Etat permet à un homme et une femme de sortir ensemble et d’habiter ensemble légalement. Ce monopôle est très contraignant et forcèment les problèmes ne s’arrêteront jamais même avec les meilleurs lois importés de Norvège

  • Ça m’agace ce besoin d’imposer ses valeurs aux autres. Voir de jeunes féministes qui ne connaissent rien du mariage ou de la maternité expliquer aux femmes religieuses qu’elles ne sont que de serviles poupées soumises m’irrite au plus haut point. À l’heure où l’on n’a de cesse de prôner la tolérance, l’acceptation des différences culturelles, c’est tout simplement insupportable. Donc, chez nous, changer de sexe, c’est normal, mais la polygamie, c’est de la tyrannie ? Placer l’individu devant l’organisation sociale n’oblige en rien à mépriser les sociétés qui font l’inverse. En quoi ce serait moins dogmatique ? Laissez-les vivre leur vie en paix comme ils l’entendent bon sang ! Les conditionner à la racine, bravo les libertariens… Et pour répondre d’avance à un éventuel commentaire irréfléchi, je n’ai ni dieu ni maître.

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