Les bases de la politique monétaire

L’idée que la politique monétaire peut permettre de piloter l’économie ne repose en fait sur aucune base, ni théorique, ni empirique.

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Pièces de monnaie américaines (Crédits Elembis, licence Creative Commons)

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Les bases de la politique monétaire

Publié le 30 avril 2014
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Par Vladimir Vodarevski.

Les médias économiques font leurs titres avec la déflation. Ce qui est une nouvelle illustration de l’importance prise par la politique monétaire de nos jours. La monnaie est utilisée pour piloter l’économie. Les taux d’intérêt sont diminués pour relancer l’économie, ralentis pour éviter une surchauffe. La création monétaire est considérée comme le remède aux crises, tandis que la déflation est vue comme une abomination. Il est étonnant de constater que les bases sur lesquelles reposent ces politiques monétaires sont pour le moins indigentes.

La justification de l’utilisation de la monnaie pour piloter l’économie part du livre Une Histoire Monétaire des USA d’Anna Schwartz et Milton Friedman. Ceux-ci ont considéré que la gravité de la crise de 1929 provenait du fait que la Réserve Fédérale, la banque centrale US, avait réduit l’offre de monnaie, entraînant une déflation. Sur cette base, Alan Greenspan est devenu une sorte de grand manitou dans les années 1990 et 2000, sur qui on comptait pour piloter l’économie US, depuis son poste de président de la Fed. Bernanke a suivi cette voie, et Yellen la poursuit aujourd’hui.

Pourtant, Milton Friedman ne soutenait pas la politique de Greenspan. En effet, ses conclusions n’ont jamais été d’utiliser la politique monétaire pour piloter l’économie. Il préconisait une création monétaire modérée. À la fin de sa vie, il aurait dit une fois que finalement Greenspan était dans le vrai, mais n’a cependant pas remis en cause ses théories monétaristes. Il est difficile de dire s’il s’agissait là d’un compliment fait par gentillesse par un homme âgé, ou une véritable conviction. Toujours est-il qu’il est impossible de s’appuyer sur les travaux statistiques et de recherche de Milton Friedman pour piloter l’économie à travers la monnaie.

D’autre part, la corrélation entre déflation et crise n’est pas démontrée empiriquement, contrairement à l’interprétation qui est faite des travaux de Schwartz et Friedman. Ainsi, Chris Casey souligne que les États-Unis ont connu des périodes de forte croissance alors que la déflation pouvait atteindre 50%. Il cite une étude de la Réserve Fédérale, indiquant que : « … le seul épisode pour lequel nous trouvons des preuves d’un lien entre déflation et dépression est la Grande Dépression (1929-34). Nous ne trouvons en fait aucun lien durant aucune autre période. … Ce qui est frappant c’est que presque 90% des épisodes de déflation n’ont pas connu de dépression. Dans un large contexte historique, au delà de la Grande Dépression, la notion que déflation et dépression sont liées disparaît en fait. » (Atkeson, Andrew and Kehoe, Patrick. Federal Reserve Bank of Minneapolis. Deflation and Depression: Is There an Empirical Link? January 2004).

Citant la même étude d’Atkeson et Kehoe, d’où est tirée la citation ci-dessus, qui porte sur une période de 180 ans et 17 pays, Frank Hollenbeck indique qu’aucune corrélation n’a été trouvée entre déflation et crise. Par ailleurs, Murray Rothbard souligne que ce qui est considéré comme la Longue Dépression de 1873, en raison de la déflation, était en fait une période de croissance assez enviable. Enfin, la période de croissance dite des trente glorieuses s’est produite alors que la création monétaire était contrainte, pour les États-Unis par le lien entre l’or et le dollar, et pour les autres pays par le lien entre le dollar et leur devise. Le dollar représentait une certaine quantité d’or, ce qui de facto limitait la création monétaire au niveau des réserves en or. La parité entre les autres devises et le dollar était fixe, il fallait donc avoir des dollars avant de créer de la monnaie. Comme par hasard, la crise est arrivée quand ce système n’a plus été respecté.

Bien sûr, cette idée de relance par le crédit peut être rattachée au keynésianisme au sens large. Keynes ayant déclaré qu’un peu d’inflation n’était pas mauvais par exemple, et considérant qu’il fallait soutenir la demande. Le très keynésien Paul Krugman avait d’ailleurs en 2002 encouragé la Réserve Fédérale à créer une bulle immobilière pour développer la demande1. Cependant, nul ne sait ce que Keynes aurait pu penser d’une telle pratique, soutenir une bulle pour développer l’économie.

En fait, ceux qui dirigent les économies semblent en être restés à la vieille idée que, si les affaires vont mal, c’est qu’il y a un manque de monnaie. Ludwig von Mises souligne dans L’Action Humaine que les gouvernements cherchaient déjà à soutenir la demande avant même les théories keynésiennes. De même qu’il souligne que ce qui est appelée la loi de Say est juste une réfutation de cette vieille croyance. Or, aujourd’hui, nos dirigeants ont un jouet qu’ils ne possédaient pas autrefois : une monnaie totalement fiat. C’est une monnaie qui n’est plus reliée à l’or, ni à aucun autre bien, et qu’ils peuvent manipuler à loisir. Ils peuvent se livrer à loisir à des manipulations monétaires, laissant croire que cela suffit pour piloter l’économie, sans demander aucun effort aux peuples. Et même si c’est de cette manière qu’ils ont provoqué la crise actuelle, en soutenant le crédit immobilier et le crédit à la consommation, jusqu’à ce que tout s’écroule, ils persistent dans cette voie.

L’idée que la politique monétaire peut permettre de piloter l’économie ne repose en fait sur aucune base, ni théorique, ni empirique. Elle perpétue la volonté de nos dirigeants de faire croire qu’ils disposent des boutons magiques pour contrôler la croissance sans efforts ni conséquences pour les peuples. Au final, cela ressemble fort à une politique d’apprentis sorciers.


Sur le web.

  1. Pour ceux qui penseraient qu’il est exagéré de dire que la Fed a volontairement créé une bulle immobilière, je recommande cet article dans lequel Daniel J. Sanchez rappelle l’appel de Krugman, en 2002, à la Fed en faveur d’une bulle immobilière. Il est une bonne illustration de l’état d’esprit des économistes qui nous dirigent, et dont Krugman est un parangon.
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  • Excellent article. Il faut populariser l’idée de la déflation. L’économie se résume à la question monétaire, à savoir ; générer une bonne monnaie. Une monnaie déflationniste c’est à dire avec un pouvoir d’achat qui augmente chaque jour grâce au travail de chacun et qui n’est justement pas dépréciée par le cartel bancaire pour le compte de ses clients ( l’Etat et les compagnies industrielles).

    • Bien vu Flo,

      De toutes les façons la masse monétaire représente le gâteau qui est partagé à un instant « t » entre tous les producteurs (et autres acteurs dans nos économies socialisées). Donc, augmenter la masse monétaire au profit d’une concentration entre les mains de l’Etat revient à appauvrir les autres acteurs en diminuant leur part du gâteau. Par la suite, l’Etat redistribue certes cette masse monétaire, mais bien moins efficacement que ce qu’aurait fait le marché, dont les acteurs ont été proportionnellement appauvris comme évoqué ci-dessus. En conséquence, inévitablement, l’économie réelle est appauvrie. Comme la masse monétaire ne se réduit pas, ce sont les prix qui partent eux à la hausse, révélant ainsi que l’économie n’a en fait pas du tout été enrichie par cet accroissement artificiel de la demande.

  • hum …
    est-ce que quelqu’un conteste qu’une politique monétaire débile est capable de précipiter un pays dans la crise économique (et même : pas seulement économique) ? Les exemples historique abondent !

    Si une mauvaise politique monétaire peut faire capoter l’économie, c’est bien qu’il y a une action de la première sur la deuxième. Action qu’il est facile, contrairement au chapô de l’article, d’expliquer théoriquement :
    la politique monétaire modifie les taux d’intérêt, donc elle modifie la rentabilité relative des investissement (passés et futurs), de la consommation, des obligations à taux fixe et à taux variables, des actions, etc. Elle peut rendre ruineux des investissement préalablement raisonnables, et rendre temporairement rentables des investissement en réalité ruineux à long terme. Elle peut provoquer des bulles qui éclateront avec fracas. Tout cela a énormément d’impact économique. Mauvais, bien sûr, mais réel.

    Assez clairement même la meilleure politique monétaire ne peut que rendre possible la croissance, et certainement pas en créer plus qu’il ne serait naturel. Mais ça reste un impact fort.

    En outre, ce ne sont pas directement le niveau des taux d’intérêt monétaire qui ont un impact, ce sont leur variation par rapport aux anticipation. Donc une absence de corrélation entre déflation et crise ne permet pas de conclure à l’absence d’impact de la politique monétaire ; ce n’est pas directement la déflation qu’il faut regarder, c’est son apparition ou sa disparition.

    Bref : mauvais article

    • Je suis bien d’accord avec toi, il y a beaucoup d’expressions malheureuses dans cet article, même si on comprend bien que l’intention de l’auteur est autre.

  • Bonjour
    Il y a de mauvaises politiques monétaires, il n’y a pas de bonne politique monétaire, tout simplement.

  • Il est important de noter que la valeur d’une monnaie fiduciaire (fiat) repose essentiellement sur la demande. Mais dans quelles circonstances les gens seraient prêts à échanger des capitaux réels ou du travail contre un billet d’une banque centrale qui à priori ne vaut rien?

    À priori, il faut avoir confiance qu’une fois le billet en main, quelqu’un d’autre sera prêt à l’accepter en échange de quelque chose qui a une valeur réelle.

    Quand on observe les échanges internationaux et l’économie mondiale, on réalise que de nombreuses politiques étrangères coercitives ou subversives visent essentiellement à contrôler la « demande » pour ces billets de banque.

    Ainsi, les monnaies fiduciaires dont la valeur repose sur la « confiance »… finissent essentiellement par nécessiter l’utilisation de la force et de la subversion pour préserver leur valeur.

    En effet, qui aurait confiance dans un bout de papier sans valeur si l’imprimeur n’était pas en mesure de forcer les autres à accepter le billet de banque comme monnaie d’échange?

    • Je pense que vous êtes trompés par la valeur intrinsèque que vous attribuer – arbitrairement à mon sens – aux différents produits, par opposition à la monnaie qui n’aurait, elle, pas d’utilité. Mais la valeur des produits est toute relative et repose également sur la confiance. C’est ce que l’on n’a pas manqué d’observer lors de la « crise de la tulipe » en Hollande au milieu du XVIIe. Toutes les bulles qui sont crées, parfois artificiellement, répondent au même mécanisme. Il va y avoir une sorte de surestimation de la valeur, de l’utilité de quelque chose – même si je rentre ici également dans des considérations éminemment subjectives -, qui va engendrer une envolée de son prix. Tant que chacun pense qu’il pourra toujours vendre pour se rembourser, tout va bien. Mais dès que le marché commence à baisser, tout le monde a peur de perdre trop et vend, entraînant une baisse encore plus importante, pour arriver à une valeur plus raisonnable, plus en adéquation avec l’utilité de la chose en cause.
      La monnaie n’est donc pas le problème, elle est le simple reflet des productions, de leur valeur, permettant leur équivalence. C’est sa manipulation qui pose problème, car stimule les bulles qui ont déjà une tendance naturelle à se former, du fait de l’imperfection humaine à estimer ce qui satisfait le mieux ses besoins, désirs, envies, passions, etc.

      Cordialement,

      • Je suis d’accord avec vous. La monnaie représentative ne protège pas le marché de la spéculation d’avantage que la monnaie fiduciaire.

        À cause de l’aspect subjectif et de l’utilité marginale d’un bien, la monnaie représentative peut tout aussi bien être victime d’un mauvais jugement quant à l’utilité du capital représenté. Il s’agit d’une erreur personnelle qu’un individu peut faire en réalisant une mauvaise évaluation de ses propres besoins.

        Dans le cas où le mauvais jugement était induit, l’individu voit son appréciation de ses propres besoins biaisée par l’environnement. Il s’agit d’un cas de subversion: quelqu’un a propagé une idée fausse dans l’esprit des autres et en a tiré profit.

        Néanmoins, la monnaie fiduciaire présente un désavantage que la monnaie représentative n’a pas: la monnaie fiduciaire comporte un incitatif intrinsèque à la coercition et à la subversion, alors que la monnaie représentative n’est pas elle-même une source de motivation au mensonge ou à la violence.

        En résumé, la monnaie représentative n’empêche pas les gens de voler, de mentir ou de tuer. Au moins, elle ne les y motive pas par défaut!

        • Je partage pleinement votre propos. Mais, il me semble que la fin de votre raisonnement concerne la personne publique ou les pouvoirs publics, non ? C’est à dire ceux qui détiennent le pouvoir de créer artificiellement de la monnaie et donc de propager « une idée fausse dans l’esprit » des acteurs économiques.
          Somme nous d’accord ?

          • L’État détient essentiellement un pouvoir de coercition.
            La monnaie fiduciaire est essentiellement une promesse.

            Un marteau ne peut que promettre d’enfoncer des clous.

            Quand l’État émet des promesses envers quelqu’un, en échange de quelque chose, c’est effectivement une décision d’ordre publique. À savoir si les décisions de l’État sont des décisions « publiques » dans le sens d’une décision collective éclairée, c’est très très discutable.

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