Par Bernard Zimmern et Dominique.
Un article d’Emploi-2017.
Il y a environ une dizaine d’années, les deux géants de l’aéronautique que sont Airbus et Boeing prirent des décisions stratégiques capitales pour leur futur. Airbus décida que l’avenir appartenait aux très gros avions, capables de relier à bas prix les hubs, les centres d’où éclatent les lignes secondaires, qu’il y avait un marché pour remplacer le B747, l’avion qui fut l’avion intercontinental pour toute une génération ; Airbus se lança dans ce qui est devenu l’A380, le plus gros avion civil du monde, un quadrimoteur. Le pari de Boeing fut au contraire de dire : la clientèle demande d’aller directement d’un aéroport à un autre, sans connexion par un hub et l’avenir appartient à un avion plus petit, un bimoteur mais à très hautes performances tant en vitesse maximum qu’en consommation de carburant.
Peut-on aujourd’hui dire qui a gagné ?
Les médias sont remplis des déboires qu’a rencontré le Boeing 787, le dreamliner qui a été notamment interdit de vol quelques mois en raisons des incendies de ses batteries. Mais finalement, devant le succès du 787, Airbus a été contraint de lancer précipitamment un A350, d’abord avec des techniques classiques utilisant l’aluminium puis, devant les admonestations de ses clients, en composites à base de fibre de carbone. On peut aussi noter que le programme de l’A380 a été presque sauvé par la commande récente d’Emirates, la compagnie aérienne de Dubaï qui a commandé vingt A380 supplémentaires en 2013 et se trouve être de très loin maintenant le principal utilisateur de l’avion géant. Emirates a même construit un terminal à Dubaï, exclusivement consacré à cet avion. La position géographique de Dubaï en fait en effet un point de transit remarquable entre les grands hubs du monde entier, non seulement ceux d’Europe, d’Afrique et d’Australie mais même de tous les États-Unis dont Dubaï est proche en passant par le Pôle nord.
Des éléments supplémentaires d’évaluation de ce match titanesque viennent d’être fournis par le Wall Street Journal qui donne, sous plusieurs réserves, Boeing largement gagnant sur Airbus en matière de rentabilité.
D’après les dernières données disponibles, il se pourrait que Boeing ait durablement repris la tête de la compétition. Il existe cependant quelques éléments d’incertitude.
En dépit d’un début d’année marqué par des problèmes avec son avion 787, le groupe a réalisé en 2013 le plus gros chiffre d’affaires et les plus gros bénéfices de son histoire. Il affiche par ailleurs de meilleures performances financières qu’Airbus pour la deuxième année consécutive. Son résultat d’exploitation atteint 6,56 Md$ et son résultat net 4,58 Md$, alors que son concurrent atteint 3,6 Md€ et 1,5 Md€ respectivement.
C’est en fait surtout grâce aux résultats de son aviation commerciale que l’avionneur américain affiche d’aussi bonnes performances : si la marge brute du groupe est de 7,6% au global, la marge de l’aviation commerciale est de plus de 10%, objectif qu’Airbus n’espère pas atteindre avant 2015. Cependant d’après le Wall Street Journal1 cette performance s’explique par un choix comptable à rebours des pratiques habituelles. À l’heure actuelle, l’avionneur perd de l’argent sur son Boeing 7872, et l’application de la méthode comptable classique donnerait une perte de plus 69 M$ pour 20133. L’activation de ces charges en charges constatées d’avance a néanmoins permis d’obtenir artificiellement des bénéfices. Le montant total de ce qui est sorti du compte de résultat de cette manière devrait ainsi avoisiner les 25 Md$ d’ici à 2015, date à laquelle Boeing espère vendre ses Dreamliners au moins au prix qu’ils coûtent. D’après un analyste de J.P Morgan Chase, tout dépendra donc finalement de la capacité de Boeing à rentabiliser son 787.
Ayant relativisé la pertinence des indicateurs financiers, la comparaison en matière de part de marché n’est pas plus aisée. Si Boeing a dépassé Airbus en 2013 en nombre de livraisons (648 contre 626), l’écart est très faible en chiffre d’affaires : 87 Md$ pour l’américain contre 59 Md€ (soit plus de 80 Md$) pour Airbus. Par ailleurs, comme le montre le graphique ci-dessous, Boeing accuse en 2013 un écart conséquent en matière de commandes : 88 commandes brutes de moins et même 148 de moins si l’on comptabilise les annulations. Le carnet de commande total d’Airbus est plus également élevé : 5.559 appareils versus 5.080.
Pour l’instant cependant, Boeing respecte ses engagements de production, au rythme de dix avions par mois, rythme qui passera à 12 en 2016 et 14 d’ici 2020. Concernant les commandes, la tendance semble par ailleurs se ré-inverser cette année en faveur de Boeing. Au premier trimestre 2014, l’avionneur a enregistré 235 commandes nettes d’appareils, contre seulement 103 commandes pour son concurrent européen.
La partie est cependant loin d’être gagnée pour Airbus ou Boeing. Airbus peut très bien augmenter sa rentabilité si son processus de gestion et de décision devient moins dépendant de la pléiade d’États qui se partagent son capital. Et avec le temps, il est probable qu’avec la montée du trafic voyageur, l’encombrement du ciel et des aéroports, l’avenir appartient aux gros avions. Mais il ne faut pas oublier qu’Airbus et Boeing ne sont plus seuls et que la Chine, encore restreinte à vendre ses Airbus fabriqués sous licence sur le marché interne ne demande qu’à devenir une puissance internationale.
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Sur le web.
- Article du Wall Street Journal du 9 janvier 2014, Boeing Looks to Cut Dreamliner Costs, de Jon Ostrower. ↩
- Vraisemblablement estimé à un coût trop faible au départ et connaissant par ailleurs de très gros retards de livraison. ↩
- Perte estimée sur les 9 premiers mois de 2013 donc plus élevés pour l’année entière. Cf. article du Wall Street Journal. ↩
Le problème des comparaisons c’est que l’on se base généralement sur le nombre d’avion. Or ces chiffres cachent la grande disparité de prix entre les avions disponibles au catalogue. Entre un court courrier (A320 et B737) et un très gros porteur (A380, B777 ou B747), il y a un facteur 3 ou 4 sur le prix qui correspond globalement aussi au nombre de passager. Il faudrait donc comparer plutôt les nombres de passagers théoriques ou les prix catalogues pour gommer cet effet de gamme. Il me semble qu’actuellement, Airbus domine légèrement le marché des court-courriers mais que Boeing vent beaucoup plus de long courrier avec le grand succès du B787 et du B777. Malgré l’effet de l’A380, je pense donc que Boeing est mieux placé actuellement.
« Airbus peut très bien augmenter sa rentabilité si son processus de gestion et de décision devient moins dépendant de la pléiade d’États qui se partagent son capital »
A lire ce passage on a le sentiment que la « pléiade d’états » est un inconvénient pour Airbus.
Il me semble que sans cette « pléiade d’états » Airbus n’existerait tout simplement pas et que Boeing aurait aujourd’hui quelque chose comme 80-90% du marché mondial et ferait la loi sur les prix, je me trompe?
je me trompe?
Pas trop sur l’origine d’Airbus, mais une entreprise doit pouvoir se gérer elle même, donc des intrusions et luttes entre états peuvent empêcher une bonne gestion.
« tous les États-Unis dont Dubaï est proche en passant par le Pôle nord. »
???
Jai regardé sur google earth la distance semble etre la meme par le pole nord que par l’Atlantique. Jpige pas
Avec le Transfert de technologie, Airbus et Boeing verront arriver un autre concurrent.
Dans 10 ans les avions seront chinois.
Pas faux.
Et qui est derrière « les chinois »?
Ne serait-ce pas l’Etat chinois?
Autrement dit, si on veut vraiment faire face à la concurrence des chinois, peut-on se permettre de laisser nos entreprises privées se débrouiller toutes seules, sans régulation d’aucune sorte de la part de nos états?
Vous travaillez chez Airbus? chez un des ses sous-traitant? Non, alors toute « l’aventure Airbus » s’est fait à vos frais, vous y avez perdu. C’est la beauté de la tyrannie étatique qui pour la gloriole nationaliste. Pour satisfaire quelques lobby, pour quelques pot de vin des sociétés financer par l’état voient le jour alors qu’elle n’auraient jamais pu le faire naturellement. Si les chinois ont envies de dilapider leur argent en finançant des entreprise d’état grand bien leur fasse, sur le long termes ils seront perdant c’est mécanique. Seule l’innovation est porteuse de vrai rentabilité, les planifications étatique ne font illusion qu’un temps.
Ces deux géants ont des challengers sur le segments des courts/moyens courriers. (Je pense à Embraer et Bombardier.)