Le Conseil d’État est-il le meilleur garant de l’économie de marché ?

Parfaitement dans son rôle, le Conseil d’État a récemment rappelé par deux fois à nos gouvernants que le rôle de l’État est de garantir la concurrence et la liberté d’entreprendre.

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Conseil d'Etat à Paris (Crédits Caribb, licence Creative Commons)

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Le Conseil d’État est-il le meilleur garant de l’économie de marché ?

Publié le 28 février 2014
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Par Aurélien Portuese, juriste.
Un article de GenerationLibre.

Conseil_dEtat_Paris

Le décret du 27 décembre 2013 restreignait la liberté accordée par la loi du 22 juillet 2009 aux voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) en imposant un délai de 15 minutes entre la réservation du véhicule et la prise en charge effective du client. Entré en vigueur au 1er janvier, le Conseil d’État l’a suspendu en statuant en référé le 5 février. Le Conseil d’État s’est, par ailleurs, prononcé le 12 février pour la suspension du décret autorisant temporairement l’ouverture des magasins de bricolage le dimanche. Une décision dont le sens semble aller à l’encontre de celle du 27 décembre, favorable à la liberté d’entreprendre. Ces deux décisions pourraient sembler contradictoires. En fait, le Conseil d’État a tranché d’un côté pour une concurrence libre et non faussée, de l’autre pour la liberté d’entreprendre.

Ouverture le dimanche : affirmation du principe de l’égalité de traitement, pour une concurrence libre et non faussée

En fait, dans le cas des magasins de bricolage, le Conseil d’État s’est prononcé sur des critères autres que ceux retenus pour le décret relatif aux VTC. En retoquant le décret du 30 décembre 2013 ouvrant seulement jusqu’au 1er juillet 2015 et aux seuls magasins de bricolage la possibilité de déroger au principe du repos dominical, c’est la dimension temporaire de cette autorisation que le Conseil d’État a censuré. En substance, nous dit le Conseil d’État, s’il doit y avoir ouverture les dimanches, cette dérogation répond à des besoins et donc doit être permanente et indiscriminée. Ce n’est donc pas la liberté d’entreprendre qui est restreinte, mais la concurrence libre et non faussée qui est garantie par une égalité de traitement.

Le Conseil d’État prend ainsi l’argumentation du gouvernement à défaut en soulignant toute l’incohérence d’un décret hautement politique. Agissant dans l’urgence et sous la pression de l’actualité, le gouvernement édicte un décret temporaire, d’application limitée au 1er juillet 2015 ! La base juridique ne tient pas, et la restriction à la liberté offerte par la dérogation étant injustifiée.

Au surplus, le Conseil d’État relève que cette limite dans le temps est seulement justifiée par l’objectif politique du « souci d’apaiser la situation relative aux établissements de bricolage en Ile-de-France »  – autrement dit, d’acheter la paix sociale – objectif qui n’est nullement prévu par la loi ! Le Conseil d’État aperçoit dès lors la manœuvre d’un gouvernement agissant dans l’urgence, restreignant sans justification la dérogation ouverte et discriminant les autres entreprises en organisant une concurrence déséquilibrée.

VTC : affirmation du principe de la liberté d’entreprendre

De manière très cohérente, en déclarant illégal le délai de 15 minutes imposé par le décret du 27 décembre, le Conseil d’État s’est prononcé en faveur du principe révolutionnaire de la liberté du commerce et de l’industrie issu du décret d’Allarde de 1791. Principe constitutionnel depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 16 janvier 1982, la liberté du commerce et de l’industrie est un principe général du droit selon le Conseil d’État (arrêt Daudignac, Assemblée, 22 juin 1951) qui ne saurait souffrir de restriction par l’interventionnisme administratif qu’exceptionnellement (arrêt Département de la Meuse, 4 juillet 1984).

Issue des droits de l’homme, cette liberté consacre la liberté de l’entrepreneur face aux pouvoirs publics. Comme énoncé dans le décret d’Allarde, « il sera libre à toute personne d’exercer telle profession, art, ou métier qu’il trouvera bon ». Cette liberté d’entreprendre ne peut, selon les juridictions suprêmes que sont la Cour de Cassation ou le Conseil d’État, être restreinte que de manière exceptionnelle et proportionnée (Com, 4 mai 1993, au bulletin n°172).

Dans le cas des VTC, en dépit d’un avis très défavorable de l’Autorité de la Concurrence en date du 16 décembre 2013 sur le projet de décret, Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, avait voulu à tout prix protéger le monopole légal des taxis contre une nouvelle forme de concurrence (bien connue outre-Manche sous le nom de « minicabs »). La logique déployée par l’administration pour restreindre la liberté d’entreprendre des VTC relevait, en l’espèce, d’une véritable gageure juridique. Était, d’une part, soulevée la volonté de contribuer à fluidifier la circulation dans les grandes villes (sic !), et d’autre part, le souci de mieux distinguer l’activité de VTC de l’activité de taxi.

Pas de concurrence déloyale envers les taxis selon le Conseil d’État

Pour rejeter le premier motif soulevé par l’administration, le Conseil d’État considère d’abord à bon droit que non seulement, ce délai de 15 minutes imposé « n’a aucun effet notable sur la fluidité du trafic » mais qu’il réduit, en outre, considérablement la fluidité du trafic par le temps d’attente forcé…

Par ailleurs, le Conseil d’État a rejeté l’allégation de concurrence déloyale soutenue par les rédacteurs du décret dans l’exposé de leur second motif, en procédant à un triple constat.

D’une part, la loi distingue clairement les deux activités. La loi du 20 janvier 1995 inscrite au Code des transports pose le principe du monopole légal de l’activité de taxis, tandis que la loi du 22 juillet 2009 inscrite au Code du tourisme précise l’activité des VTC. Deux lois, deux codes, deux activités… l’activité des VTC ne se confond aucunement avec celle des taxis. Aussi, le Conseil d’État ne peut que rejeter le second motif pour restriction injustifiée de la liberté d’entreprendre.

D’autre part, l’atteinte à la concurrence a été appréciée sous l’angle de l’« urgence » par le juge des référés. Le délai contraint de 15 minutes crée « un risque important de perte de clientèle et constitue un obstacle sérieux au développement » des VTC, affectant ainsi « leur rentabilité et leurs parts de marché ». Par ailleurs, l’argument selon lequel l’ouverture à la concurrence conduirait à la « loi de la jungle » ne tient pas : l’activité des VTC est très règlementée. Que ce soit par la carte professionnelle, par les caractéristiques précises des véhicules, par leur interdiction de charger un client sans réservation ou encore de marauder sur la voie publique en quête de clients, l’activité des VTC n’est libre qu’en ce qui concerne leurs prix – une liberté certes bien choquante du point de vue des taxis, obligés de se conformer à une politique anachronique de prix fixés par l’État ! Des prix libres pour une concurrence libre, voilà ce que le Conseil d’État vient ici protéger.

Enfin, la concurrence déloyale est définie par l’article 10 bis modifié de la Convention de Paris de 1883 comme étant « tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale ». Dans le cas présent, l’existence des VTC, avec leurs objectifs de rapidité et d’efficacité qu’on leur connaît, ne saurait être cet acte malhonnête « causant volontairement ou non, un trouble commercial » comme le retient la jurisprudence (Com, 22 octobre 1985, au bulletin n°245).

Ainsi, les allégations de concurrence déloyale avancées à l’extérieur des tribunaux par les taxis sont infondées et la concurrence par le mérite est la raison exclusive de la croissance exponentielle des VTC.

Suspendu par le juge des référés, il convient désormais que ce décret soit annulé au fond par le Conseil d’État. Considérant le souci de la jurisprudence administrative de protéger la liberté d’entreprendre, il y a toutes les chances que ce soit le cas.

Conclusion : pour un examen préalable obligatoire de chaque décret économique

La décision du 5 février s’inscrit dès lors dans une jurisprudence constante en faveur de la liberté d’entreprendre. De même, l’annulation du décret relatif à l’ouverture des magasins de bricolage le dimanche peut se lire comme une volonté du Conseil d’État de mettre fin aux dérogations accordées à certains secteurs et de garantir, pour tous et selon les mêmes règles, l’égalité de traitement et donc la libre concurrence.

Le Conseil d’État, parfaitement dans son rôle, vient de rappeler à nos gouvernants que, comme l’énonçait Montesquieu, « le commerce est la chose du monde la plus utile à l’État », et qu’en retour le rôle de l’État est de garantir la concurrence et la liberté d’entreprendre.

Ne faudrait-il pas systématiser cette approche en exigeant un examen préalable obligatoire de chaque décret économique au regard de la protection de la concurrence et de la liberté d’entreprendre ? Voilà un rôle qu’il conviendrait d’allouer soit à un Conseil d’Analyse Économique trop en retrait dans le processus décisionnel, soit à un Conseil Économique et Social trop inutile !


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  • C’est au contraire le Conseil d’État qui a avalisé le « socialisme municipal » …

  • Peut -être enfin un tribunal qui fait son travail dans ce pays…

  • Le truc qui s’est réuni sous ordre du ministre de l’Intérieur en 2h pour interdire le spectacle de Dieudonné e dont les membres sont nommés par copinage politique serait le garant de la liberté ? Permettez moi de douter même s’il a rendu quelques avis intéressant. Je préférerai une Cour Suprême et une meilleure constitution sur laquelle ils pourraient bosser.

  • J’ai au contraire l’impression que le conseil d’état déconne plein tube et de plus en plus. Ce truc est pourtant le cœur de l’Etat, le noyau qui n’a jamais cessé de fonctionner depuis 1799. Peuplé de fonctionnaires inamovibles et incorruptibles, il ne devrait rien craindre. Et pourtant …
    Le fameux décret VTC était un décret en conseil d’état : son avis a été recueilli, et tout le monde sait que ne pas suivre l’avis du CE c’est la garantie de perdre le premier litige. Alors que s’est-il passé ?

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