Les apories d’un libéralisme de gauche

Sophie Heine verse dans l’incohérence par une tentative ratée de greffe d’un cactus économique fantaisiste sur le rosier de ses références libérales.

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Les apories d’un libéralisme de gauche

Publié le 9 janvier 2014
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Par Drieu Godefridi.

Heine OGEn tant que libéraux, n’avons-nous pas le devoir de nous intéresser à tout qui se réclame du libéralisme ? C’est dans cette optique que je m’étais immergé, il y a quelques années, dans la littérature anarcho-libertarienne. Plus récemment, je me suis penché sur ce que l’on appelle le libéralisme de gauche, en la personne d’une intellectuelle francophone, Sophie Heine, qui a publié Oser penser à gauche (OG dans la suite de ce texte) et Pour un individualisme de gauche (IG), deux ouvrages qui se réclament de la tradition libérale. Docteur en sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles (ULB), S. Heine est maître de conférence à l’Université de Queen Mary (Londres) et chercheur à l’Université d’Oxford.

Je distinguerai quatre aspects : son libéralisme, ce qui la distingue de la gauche non libérale, les apories de ce libéralisme de gauche, et l’irréalisme de sa vision économique.

Par de multiples aspects de sa pensée, S. Heine s’inscrit dans la tradition libérale, et brillamment, parce qu’elle en maîtrise les ressorts intimes. Ainsi de l’exigence de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs (qu’elle distingue, à juste titre, de la séparation des fonctions, une distinction à l’intelligence de laquelle la plupart des juristes français depuis 1789 éprouvent les pires difficultés à s’élever), ou de la supériorité de la démocratie représentative sur les illusions de la démocratie participative. Contrairement aux libertariens anarchistes, S. Heine affirme, à juste titre, le caractère inéluctable de la dimension politique de toute société humaine : « C’est la force du libéralisme politique de prendre en compte cette irréductibilité du conflit politique et d’en souligner le potentiel pour le progrès humain. (…) on ne peut pas prétendre résoudre une fois pour toutes la question politique, par exemple par un changement de mode de production, comme dans la vulgate marxiste classique. (…) des conflits subsisteront toujours : sur la place (…) des minorités culturelles, des minorités sexuelles, du rapport à la nature… » (OG, 67). Libérale encore, l’affirmation de son cosmopolitisme, dans une veine très hayékienne1 (qui probablement s’ignore), et son corollaire, l’anti-nationalisme. De la liberté individuelle, S. Heine propose une définition plus fine que celle de la plupart des libéraux, en soulignant que la domination se caractérise non seulement par l’interférence, mais que la seule capacité d’interférence suffit à réduire, ou annihiler, la liberté du sujet (IG, 194). Se distinguant d’une partie de la gauche, S. Heine souligne également la légitimité des préoccupations matérielles, et la nécessité de ménager à l’individu une sphère d’activité qui lui soit propre, séparée du politique et de l’État. L’État, écrit S. Heine, doit être limité (OG, 68) : comment dénier à cet auteur son appartenance à la tradition libérale ?

S. Heine se démarque radicalement de la plupart des philosophies de gauche sur le thème de l’altruisme. L’altruisme universaliste, qui prétend prendre en compte les intérêts et aspirations de l’humanité, est séminal du communisme, du socialisme et de la plupart de leurs dérivés historiques et contemporains. Cette Weltanschauung (vision du monde) de la gauche, écrit notre auteur, est erronée. « Dès lors que l’altruisme se déploie avant tout vis-à-vis de proches, le placer au cœur d’un projet politique est assez illusoire » (IG, 83) ; par conséquent, « les projets fondés sur une morale de type altruiste font fausse route ». S. Heine propose de substituer la catégorie de l’intérêt individuel à celle de l’altruisme, rompant ainsi avec la tradition de gauche depuis deux siècles. Preuve, s’il en était besoin, que les libéraux de gauche ne sont pas, au moins sur le plan philosophique, des socialistes comme les autres.

Cherchant à dépasser l’opposition classique du matérialisme et de l’idéalisme, l’auteur propose de l’articulation des idées et des intérêts une théorie, dont les apories ne doivent pas masquer l’originalité et la puissance philosophique. La question est de savoir si ce sont les idées ou les intérêts qui font l’histoire : « à court terme et sur le plan individuel, les idées semblent dotées d’une vie propre, relativement indépendante des intérêts des groupes sociaux. Mais à long terme et au niveau macrosociologique, les intérêts et leur articulation dans la lutte sociale et politique se révèlent déterminants pour expliquer les évolutions humaines. Sur la longue durée (…) le combat d’idées finissant par modifier la réalité est toujours en même temps une lutte entre groupes sociaux aux intérêts contradictoires » (OG, 162). L’idéologie, poursuit l’auteur, sert à réconcilier les dimensions idéelles et matérielles du changement social, en donnant le primat au politique sur les valeurs. En somme, l’idéologie permet d’opérationnaliser l’exigence de changement social. Dans cette vision plus matérialiste qu’idéaliste, « les idéaux qui finissent par s’imposer dans la durée sont aussi portés par les groupes sociaux ayant pu acquérir une position favorable dans la structure sociale objective, ce qui est en partie influencé par les évolutions économiques. » (OG, 167). S. Heine va jusqu’à soutenir que, si la dimension idéale ou axiologique (les valeurs) de l’idéologie n’est pas nécessaire, elle n’est pas même souhaitable : « les valeurs et les idéaux faisant appel au cœur et au sentiment plutôt qu’à la raison, ils peuvent être facilement détournés de leurs objectifs initiaux pour être subordonnés à la promotion d’intérêts minoritaires ou justifier certaines oppressions » (OG, 170). Ne reste ainsi que l’intérêt.

Heine IGL’intérêt, voilà en effet la catégorie centrale du libéralisme de gauche de S. Heine. La réalisation effective de l’intérêt de tous les citoyens, au moins d’une majorité d’entre eux — les « dominés » (IG, 157) —, tel est l’objectif politique de notre auteur, qui précise bien qu’il s’agit de l’objectif d’un projet de gauche et progressiste (OG, 169, 190), et non de l’objectif du politique en général (on aurait pu le postuler). Il s’agit de maximiser l’intérêt du plus grand nombre de citoyens, en les libérant des dominations et des oppressions dont ils font l’objet, dans nos sociétés. Mais qu’est-ce que l’intérêt ? S’agit-il de la représentation que se font les individus de leurs intérêts (intérêt subjectif), ou d’une conception externe de leur intérêt (intérêt objectif) ? L’intérêt selon S. Heine est objectif, car il s’agit d’éveiller les citoyens au « contenu véritable de leurs intérêts » (OG, 169). Comment maximiser sans quantifier ? Peut-on envisager une sorte de mathesis universalis (science universelle sur le modèle des mathématiques), une comptabilité des intérêts humains « objectifs » ? Le projet semble achopper sur les mêmes difficultés que l’utilitarisme naïf de Jeremy Bentham qui, désireux d’assurer « le plus grand bonheur du plus grand nombre », supposait une réduction et quantification préalable des conceptions du bonheur. Or, S. Heine reste en défaut de définir ce qu’elle entend par cet intérêt objectif, pourtant fondateur de son projet philosophique et politique. Elle précise que lorsque l’État aura réalisé les intérêts de la majorité des citoyens, ceux-ci seront libres d’articuler leur projet de vie à leurs « principes éthiques particuliers ainsi qu’à leur sens moral universel » (IG, 94). On est en droit de se demander si l’intérêt du plus grand nombre n’est pas la « liberté réelle », concept récurrent dans les deux ouvrages étudiés, lequel se laisserait réduire, en dernière analyse, à l’égalité matérielle. Outre l’ambiance très matérialiste des deux ouvrages, cette interprétation est accréditée par ce passage : « Une idéologie axée sur l’idéal de liberté individuelle (…) combinerait les deux exigences nécessaires dans tout projet progressiste : les valeurs et les intérêts. Ce concept fait appel à l’intérêt de l’individu ordinaire, chacun souhaitant pouvoir choisir de façon autonome sa voie personnelle d’accomplissement. Mais pour être réelle, cette liberté requiert une action collective importante de la part de pouvoirs publics démocratiques visant à égaliser les conditions sociales (…). » (OG, 175). L’égalisation des conditions matérielles d’existence, tel est bien l’objectif principal de ce projet politique libéral de gauche. « Tout ça pour ça », comme dirait mon directeur de thèse, Alain Boyer (lui-même libéral de gauche).

Venons-en aux moyens proposés pour atteindre cet objectif. Dans ce qui est assurément la partie la moins convaincante de ses deux ouvrages, S. Heine détache souverainement l’économique du cadre libéral qu’elle s’est fixé, pour le livrer aux chimères de l’école post-keynésienne, ce mixte de keynésianisme et de marxisme, fondé sur la négation pratique, sinon théorique, de la rareté des ressources, et de la rationalité, même limitée, des agents économiques. La liberté individuelle, soutient l’auteur, n’implique pas l’économie de marché. Mieux : « on ne devrait pas se sentir obligé de préciser, pour avoir le droit de se présenter comme libéral, que l’objectif est seulement de limiter la liberté économique et non de la supprimer. » (OG, 43). Supprimer la liberté économique pour que s’épanouisse la liberté individuelle dans les autres domaines d’activité ? Tel était le projet des régimes communistes, qui tous y échouèrent, pour le motif qu’exposait, dès 1922, Ludwig von Mises : on ne planifie l’activité économique de chacun qu’au prix de la maîtrise de l’existence de tous2. S. Heine nie la consubstantialité de la liberté individuelle et de la propriété privée (OG, 43), ressuscite l’opposition tiers-mondiste entre le Nord esclavagiste et le Sud exploité — Brésil, Inde, Chine, autant de victimes « nordistes » de la dérive des continents ? —, écrit qu’ il y a « quelque chose d’éminemment choquant à présenter comme relevant de l’idéal de liberté un système économique qui dans les faits opprime la plus grande partie de l’humanité » (OG, 44), et que la liberté économique s’oppose à l’exigence de liberté réelle… Dans le registre économique, l’auteur semble moins portée par son exigence de justice, d’ailleurs fort abstraite, que par son exécration de l’économie de marché, du capitalisme, de la liberté de commerce et d’industrie, et des inégalités matérielles. Concrètement, S. Heine préconise de réduire fortement le temps de travail en exigeant une augmentation corollaire des salaires (sa « mesure clé » : IG, 113) ; réaliser une redistribution radicale vers les salariés ; étendre largement les services publics socialement et écologiquement utiles ; redistribuer radicalement les richesses (quand le moyen s’identifie à la fin) ; assurer une sécurité sociale et un droit du travail forts ; renforcer les droits sociaux (chômage, retraite, allocations familiales : OG, 123) ; instituer un « protectionnisme coopératif, égalitaire et universaliste » (sic, IG, 171) ; garantir à tous un emploi stable et bien rémunéré ; sécuriser une « retraite longue et confortable pour tous » (IG, 164) ; en somme « donner à chacun les moyens de vivre comme il l’entend » (IG, 218)… Ce qui est cohérent avec la vision post-keynésienne et magique d’un monde aux ressources immédiatement illimitées.

Culturellement libérale, souvent originale, la pensée de Sophie Heine verse dans l’incohérence par cette tentative ratée de greffe d’un cactus économique fantaisiste sur le rosier de ses références libérales.

Sophie Heine, Oser penser à gauche – pour un réformisme radical, Aden, 2010, et Pour un individualisme de gauche, JC Lattès, 2013.

  1. « Les perspectives d’un ordre international », La route de la servitude, chapitre XV et « The Economic Conditions of Interstate Federalism », Individualism and Economic Order, chapitre XII.
  2. L. von Mises, « The Position of the Individual Under Socialism », chapitre 9 de Socialism.
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  • « Libéralisme de gauche », c’est tout simplement absurde : si le libéralisme vise essentiellement à dépolitiser l’Action Humaine, le qualifier « de gauche » ou « de droite » procède du contraire.

    Cette expression est aussi mensongère que le « social-libéralisme » à la mode. Elle n’est qu’une énième tentative de nous resservir le socialisme, toujours le même socialisme qui anime des cocos, des nazis, des socio-démocrates…

    • Cavaignac: « « Libéralisme de gauche », c’est tout simplement absurde »

      Je ne trouve pas, d’une part tout le monde peut bien s’appeler comme il veut et surtout j’obtiens d’excellent résultat sur mes amis gauchiste en mettant en avant tous le coté anti corporatiste, les résultats sociaux du libéralisme et le coté antisocial de l’antilibéralisme.

      On ne convainc personne et surtout pas un gauchiste en arrivant brutalement avec une position radicale et monolithique. Hors le libéralisme selon moi doit être appliqué, ce n’est pas qu’une simple posture intellectuelle, il faut convaincre ou voir le pays s’effondrer et nos libertés réduite. Une fois le « pied dans la porte » ces gens vont réfléchir, s’apercevoir des dissonances, lire, s’informer. J’ai été pendant 20 ans socialiste (fils de trotskiste) , je sais ce qui m’a fait changer et comment on y arrive.

      Dommage que la brave dame déconne sur la fin parce que ça aurait été un excellent livre à passer aux amis et à la famille de gauche.

      • « J’ai été pendant 20 ans… » : je compatis sincèrement pour vos années d’errements douloureux.

        • Fils de fonctionnaire syndicaliste militant avec quasi toute la famille fonctionnaire et à gauche voir très à gauche le parcours fut long et douloureux effectivement. 😉

          Ce qui m’a sauvé c’est mon appétit insatiable pour la lecture.

  • Très bonne critique du libéralisme de gauche, merci Contrepoints, j’aimerais lire des textes de cette qualité dans les revues officielles auxquelles je suis abonné !

  • Juste comme ça, est elle au courant que c’est l’hémisphère de gauche du cerveau qui contrôle la partie droite du corps! ;))

  • « S. Heine s’inscrit dans la tradition libérale, et brillamment, parce qu’elle en maîtrise les ressorts intimes. »

    J’en doute fort. Le libéralisme est affaire de pure logique. C’est une « axiomatique » reposant sur la liberté individuelle et la source du Droit qu’elle alimente.

    Partant de cela, il est parfaitement impossible de réconcilier « gauchisme » et liberté, ou quoique ce soit d’autre. C’est une aporie logique, une incohérence des propos, une rhétorique trompeuse visant à dissimuler le caractère ignoble de cette pensée.

    • Le libéralisme est affaire de pure logique. C’est une « axiomatique » reposant sur la liberté individuelle.

      La critique du socialisme comme étant « implement illogique » n’explique pas en toute « logique » son succès au pays des cartésiens.

      • ll y a une dfférence, je pense, entre « logique » et rationnalité.

        En tant que citoyen Français, il est « rationnel » de tirer bénéfices de l’Etat tout-puissant et des faveurs qu’il peut distribuer.

  • Et puis surtout, je ne vois pas comment elle ne peut pas voir la contradiction qu’elle fait entre « redistribution radicale des richesses » et « liberté de tous »…
    Et donc on opprime celui qui a envie de gagner de l’argent ?
    Elle a une vision bien subjective du concept de la liberté pour tous, la Sophie…

    • L’auteur a très bien expliqué que nous sommes face a une pensée magique. Ou il serait possible de fournir a chacun tout ce dont il a besoin par la magie de l économie administrée. En fait il s agit d un raisonnement clairement scientiste apparenté au marxisme.

  • « quelque chose d’éminemment choquant à présenter comme relevant de l’idéal de liberté un système économique qui dans les faits opprime la plus grande partie de l’humanité »

    opprime? par quelle contrainte? ceux qui pensent que les regles de l’echange les oppriment peuvent toujours aller vivre dans la foret et se nourrir par eux-meme. Ou fonder leur communaute d’entraide libre et sans contrainte.

  • C’est fort de faire une faute d’orthographe sur la couverture « pour un « réformise »??? radical »

  • Heine est-elle vraiment représentative du « libéralisme de gauche » ?

    •  » je suis fermement persuadé que les anes, quand ils s’insultent entre eux, n’ont pas de plus sanglantes injures que de s’appeler hommes  »

      heinrish Heine

  • Libéral de gauche, libéral-conservateur etc… tout ça n’a pas beaucoup de sens.

    La théorie libérale ( de réduction de l’emprise de l’Etat sur la société civile au maximum possible et dans tous les domaines possibles) est la même pour tous les libéraux. Conservateurs ou de gauche, tous les libéraux sont pour l’égalité des droits, la fin des privilèges, la liberté économique, la subsidiarité etc… La seule chose qui change ce sont les inclinations personnelles, les choix de vie au quotidien etc…Dans cette perspective il y a des libéraux plus soucieux de respect d’une morale religieuse, davantage implantés dans des communautés volontaires, fiers de leur identité etc…Et d’autres qui cultivent des modes de vie plus alternatifs.

    La vraie distinction entre libéraux se situent entre classiques et libertariens, sur une simple graduation sur l’échelle des responsabilités dévolues au pouvoir politique.
    Pas même ne les sépare le fait qu’ils pensent tous que l’Homme est un animal politique et qui a besoin de s’organiser en communautés. La taille de cette communauté est peut-être le point qui les sépare.

    Bref, être libéral de gauche n’a pas de sens. Ce qui a encore moins de sens, c’est que cette femme soit décrite comme libérale quand on songe à toutes les solutions qu’elle proposent pour arriver à l’égalité des conditions.

    • un libéral de gauche, c’est un peu comme une vache de droite, ça n’a pas de sens:

      si la vache est à votre droite, et que vous vous retournez, elle sera alors à gauche… mais il faudra toujours la nourir !

    • +1

      Beaucoup se réclament « libéraux » sans même connaître les fondements logiques de cette philosophie.

      La rigueur du raisonnement leur échappe lorsqu’ils croient que « c’est « simple » et facilement assimilable dans un autre cadre théorique.

      Sans logique, point de libéralisme.

    • Au contraire, il est très instructif de voir que le rosier libéral peut AUSSI donner des cactus, et de voir comment et pourquoi il peut le faire.
      Ce n’est ni un hasard ni une incongruité que les « liberals » étasuniens sont les pires gauchistes : c’est de l’ordre de la logique que démontre S. Heine

  • « Si j’avais le malheur de ne voir dans le capital que l’avantage de capitalistes, et de ne saisir ainsi qu’un côté, et, assurément, le côté le plus étroit et le moins consolant de la science économique, je me ferais Socialiste ; car de manière ou d’autre, il faut que l’inégalité s’efface progressivement, et si la liberté ne renfermait pas cette solution, comme les socialistes je la demanderais à la loi, à l’État, à la contrainte. » – Frédéric Bastiat

  • J’ai peine à comprendre comment on peut bâtir une carrière et même écrire un livre sur les orientations politiques sans même préalablement définir un système cartésien de références? Il est impossible de classer une orientation politique en fonction d’un seul axe!

    J’utilise la notion gauche/droite à l’américaine: gauche = l’État contrôle. Droite = l’État n’intervient pas.

    Au niveau social, le libéralisme et le libertariannisme sont à droite en défendant la liberté civile. Le conservatisme et le communisme à gauche en préconisant l’intervention de l’État dans les us, moeurs et coutumes.

    Au niveau économique, le libertariannisme et le conservatisme sont à droite en défendant la liberté d’entreprise. Le libéralisme et le communisme à gauche en préconisant l’intervention de l’État dans les actions des personnes.

    Au niveau informatif, l’anarchisme est à droite en défendant la liberté d’information des citoyens propriétaires de l’État. L’autoritarisme est à gauche en préconisant la prérogative de confidentialité de l’État face à ses citoyens gouvernés.

    • RL,

      « L’autoritarisme est à gauche » oui mais en France il est des deux cotés jusqu’aux extrêmes 🙂

      • L’axe informatif est transversal aux axes social et économique. L’autoritarisme et l’anarchisme peuvent se manifester à travers toutes les positions politiques.

        Pour la droite sociale (libéralisme et libertariannisme), l’autoritarisme s’exprime à travers la ségrégation géographique de micro-cultures. L’anarchisme s’exprime à travers l’interculturalisme et le changement identitaire.

        Pour la gauche sociale (communisme et conservatisme), l’autoritarisme s’exprime à travers le nationalisme. L’anarchisme s’exprime à travers la sécession ou la fragmentation à travers des référendums d’État.

        Pour la droite économique (libertariannisme et conservatisme), l’autoritarisme s’exprime à travers les cartels et les oligopoles. L’anarchisme s’exprime par la coopération volontaire et la compétition égalitaire.

        Pour la gauche économique (libéralisme et communisme), l’autoritarisme s’exprime à travers le capitalisme de connivences et l’économie de favoritisme. L’anarchisme s’exprime par le syndicalisme.

        L’axe informatif est à la racine du pouvoir. Celui qui contrôle le robinet de l’information peut tenir les autres dans l’ignorance. Vous connaissez peut-être l’expérience de Milgram? Si on filtre les informations auxquelles une personne a accès, on peut facilement contrôler ce que cette personne perçevra comme légitime. Et avec la légitimité, on peut persuader une personne d’en agresser une autre.

        Donc comme l’information apporte la légitimité, qui elle apporte le contrôle des soldats et policiers, l’information est définitivement la racine du pouvoir de coercition.

        Pas étonnant de voir émerger l’autoritarisme dans tous les États où les représentants du Peuple disposent d’une prérogative de confidentialité, c’est-à-dire que les représentants du Peuple choisissent eux-même de formater ou censurer des informations qu’ils échangent avec des tiers avant de les livrer au Peuple. Plus spécifiquement, les élus choisissent eux-même le niveau d’entropie de Shannon des informations livrées au Peuple.

        Avec l’anarchisme, il n’est pas nécessaire d’être extrémiste et de systématiquement libérer toute information. Il suffit seulement de recentrer le rôle du représentant du Peuple comme un rapporteur à qui le Peuple peut démocratiquement demander des précisions jusqu’à un niveau jugé assez précis. Dans ce contexte, c’est donc la responsabilité des personnes qui veulent influencer les décisions politiques d’exposer au représentant un niveau d’information adéquat et d’aviser le représentant des risques liés à l’exposition d’informations plus précises.

      • Je crois qu il y a une phrase de Robespierre souvent reprise a l extrême gauche du style « pour le pauvre, c est la loi qui libere et c est la liberté qui opprime ».

        Il n est pas abusif de dire que la gauche est autoritaire. Mais la droite l est tout autant. Entre les deux il y a juste des différences d intérêts et d électorat.

  • En somme, rien de bien nouveau sous le soleil.

    Beaucoup de socialiste peuvent sembler de prime abord proche du libéralisme quand on parle de libertés individuelles, mais il suffit de gratter un peu pour comprendre à quel point on se méprend.

    Je veux bien croire que Mme Heine ait une pensée plus riche que d’autre, mais la nature de ses raisonnement ne semble pas, à la lecture de cet article, si inhabituelle.

    En gros, la liberté oui, mais pas si elle empêche l’égalité. en clair pas de liberté.

    « Mais pour être réelle, cette liberté requiert une action collective importante de la part de pouvoirs publics démocratiques visant à égaliser les conditions sociales (…). » »

    Il me semble bien qu’on cherche ici à changer le nom du concept d’égalité, pris dans le sens socialiste, pour lui donner celui de liberté réelle.

    Mme Heine ne pêche pas seulement dans ses solution, elle ne sait pas vraiment ce qu’est la liberté.

    « Contrairement aux libertariens anarchistes, S. Heine affirme, à juste titre, le caractère inéluctable de la dimension politique de toute société humaine »

    Vous vous méprenez. Les libertariens ne nient pas le inéluctable de la dimension politique de toute société humaine, ils se contentent de dire que celle-ci ne nécessite pas qu’on en laisse la gestion à un état, qu’il est possible et souhaitable de la laisser à des organisations privées (dont la forme reste à définir, mais de toute façon sélectionnée par le marché), sur la base, autant que possible, de l’association volontaire.

    @FabriceM:

    « Je crois qu il y a une phrase de Robespierre souvent reprise a l extrême gauche du style « pour le pauvre, c est la loi qui libere et c est la liberté qui opprime ». »

    Et pourtant, ni l’exemple de l’URSS, ni celui de la France d’aujourd’hui ne semble plaider pour une libération des pauvres par la loi. Alors que celle-ci croit sans cesse, le nombre de ceux-là explose et leurs conditions matérielles plongent.
    Il semble plus juste de dire que le pauvre profite indirectement de la liberté du riche, par conséquent, la contrainte opprime soit le pauvre, soit le riche ET le pauvre, tandis que la liberté favorise les deux, mais plus, et plus directement le riche (du moins, si on ne regarde pas de plus près, auquel cas, on se rend compte qu’à terme, elle favorise les deux de manière équitable). Robespierre avait tord.

    « Il n est pas abusif de dire que la gauche est autoritaire. Mais la droite l est tout autant. Entre les deux il y a juste des différences d intérêts et d électorat. »

    Tout à fait. Gauche et droite ne sont qu’un placement sur l’échiquier. La seule question pertinente est celle de la liberté contre la contrainte.

    @Ilmryn:

    « On ne convainc personne et surtout pas un gauchiste en arrivant brutalement avec une position radicale et monolithique. »

    Certes, mais on risque alors de passer pour ce qu’on est pas, et d’aller à terme, vers de cruelles désillusions. Il est salutaire d’aborder les gens avec stratégie, d’y aller par petite touche sans sortir la panzer division quand on cherche à les convaincre, mais à un moment donné, on ne peu pas édulcorer nos idées et nous contenter d’un sans-blanc de libéralisme en espérant qu’il fonctionnera aussi bien que l’original.

    On est tous prêt à soutenir n’importe quelle action (dans les limites des droits) qui va vers plus de libertés, mais il ne faut pas pour autant perdre de vue l’objectif, qui est la liberté pleine et entière. Sinon, A quoi bon? Chaque concession est une nouvelle occasion pour les socialistes de nous miner, et de nous mettre sur le dos tout ce qui ne marche pas, ce dont ils ne se privent d’ailleurs pas.

    Notre faiblesse, c’est qu’on fonctionne à la raison, et la raison semble moins sexy que les mensonges du socialisme à beaucoup de gens.

    Les circonstances peuvent nous amener à mettre de l’eau dans notre vin, mais je ne crois pas que nous devrions accepter la demie-mesure jusque dans nos idées, ou dans nos valeur (dont je soutiens l’importance fondamentale contre Mme Heine).

  • C’est une recension bien plus intéressante que beaucoup d’autres sur mes bouquins, ce qui montre qu’on est parfois mieux compris par des adversaires idéologiques! Mais il y a tout de même des passages fondés sur une lecture partielle ou erronée ou qui ne prend pas en compte les évolutions intellectuelles entre ces deux livres. Je passe sur la présentation de mon cosmopolitisme, qui n’a en réalité que très peu à voir avec le cosmopolitisme libéral hayékien ou autre, notamment par le fait qu’il vise à réhabiliter plutôt qu’à annihiler la souveraineté économique et politique pour permettre une réalisation effective de droits humains définis de façon exigeante. Par ailleurs, l’auteur se fourvoie quand il affirme que je défends une approche « objective » de l’intérêt. Cette affirmation repose sur une certaine incompréhension de ma vision du changement social. Cette opposition classique entre intérêt objectif et subjectif peut largement être dépassée par une insistance sur l’idéologie comme moteur principal du changement social. Certes, cette influence motrice se fait dans le cadre de certaines contraintes et opportunités de type objectif (économiques et environnementales par exemple), mais ces dernières ne sont qu’un cadre; elles ne déterminent pas de façon mécaniste la formulation des intérêts collectifs. Cette formulation est un travail proprement idéologique et donc toujours dote d’une relative autonomie. En outre, ma vision normative est beaucoup moins matérialiste que ne le prétend l’auteur, qui résume mon objectif de liberté individuelle à l’égalisation des conditions. Si cette dernière est une condition de la première, elle est loin d’être suffisante. La liberté requiert la réduction drastique de toutes les injustices pouvant générer des dominations et la mise en œuvre des conditions permettant à chacun d’élaborer et de mettre en œuvre sa conception de la « vie bonne ». Ce projet n’est donc pas uniquement socio-économique. Enfin, j’explique bien dans le second ouvrage que la liberté effective ne serait pas forcément utilisée de la même façon par tous (je passe d’ailleurs pas mal de temps à critique les dérives perfectionnistes de certaines approches utilitaristes…). In fine, le but est que chacun puisse donner un contenu subjectif à son intérêt individuel à la liberté. Globalement, à part ces petites caricatures et grosses incompréhensions, cette recension est bien faite, formulée de façon élégante et extrêmement stimulante.

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« J’ai défendu quarante ans le même principe, écrivait Constant au seuil de sa vie ; liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique ». Malgré son aventurisme politique, Benjamin Constant est en effet resté fidèle à cet idéal libéral et l’a illustré dans tous ses écrits. Il est donc assez étonnant que les historiens de la littérature n’aient pas insisté davantage sur le caractère libéral de son roman Adolphe, paru en 1816. C’est l’objet que je me suis proposé dans une large étude qui figure en tête de ... Poursuivre la lecture

Bologne, ville du nord de l'Italie, est considérée par de nombreux spécialistes comme la plus ancienne ville universitaire du monde occidental. Son université, l'Alma Mater Studiorum, remonte à l'an 1088. Dès le début, l'université de Bologne s'est spécialisée dans l'analyse du droit, en particulier dans l'étude du droit canonique (l'ensemble des lois et des décrets concernant le clergé et les questions religieuses). Bologne devint la patrie de juristes célèbres qui étudiaient et analysaient les lois émises à Rome par le pape. Plus tard, au c... Poursuivre la lecture

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