Warren Buffet et l’efficience des marchés

L’hypothèse d’efficience des marchés financiers est souvent méconnue ou caricaturée. Que veut-elle vraiment dire ?

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Warren Buffet et l’efficience des marchés

Publié le 9 novembre 2013
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Introduction : Eugene Fama a été récompensé du prix Nobel d’économie en même temps que Lars Peter Hansen et Robert Shiller pour son hypothèse d’efficience des marchés. Cette hypothèse d’efficience des marchés est un concept précis, testé de manière empirique par Eugene Fama. Cet article, écrit par Lio, un lecteur de ce site, explique la signification, le domaine, et la portée de cette hypothèse d’efficience des marchés. C’est aussi un exemple de méthodologie en sciences économiques aujourd’hui : un concept est défini, et un moyen de le tester est élaboré, à l’aide d’un étalon de mesure qui est choisi. Tous les termes ont des significations précises. Sortis de leur contexte, abusivement généralisés, ils n’ont plus de signification, et peuvent être galvaudés, par des détracteurs comme par des thuriféraires.

Les opposants à l’idée que les marchés sont efficients et de ce fait imprévisibles et imbattables sauf par chance, prennent souvent Warren Buffet en exemple. Que Warren Buffet ait réalisé 23 % de rendement annuel en moyenne sur 40 ans n’est-il pas la preuve infaillible que l’on peut réellement battre le marché par habileté et que, par conséquent, l’hypothèse d’efficience des marchés ne tient pas ? Du côté des plus chauds partisans de l’hypothèse d’efficience des marchés, on avance l’idée que le succès de Warren Buffet pourrait n’être dû qu’à la chance. Qui a raison, qui a tort ? Personne en réalité car Warren Buffet n’est pas qu’un investisseur et, à ce titre, échappe au champ d’investigation de l’hypothèse d’efficience des marchés.

 

RETOUR SUR L’HYPOTHÈSE D’EFFICENCE DES MARCHÉS 

Les tenants de l’efficience des marchés postulent que toute nouvelle information publique se reflète rapidement dans les prix au point qu’il n’est pas possible ou très difficile pour un investisseur d’en tirer parti compte tenu des frais de transaction. Il y a de solides arguments logiques et une abondance d’études empiriques en faveur de l’efficience dans sa forme semi-forte. Toutefois, un certain nombre d’anomalies ont été détectées qui ont pu tempérer la vision de certains défenseurs de l’hypothèse d’efficience des marchés et conforter celle des plus critiques à son égard. Il y a deux interprétations possibles et opposées de ces anomalies :

  • Le fait qu’elles existent prouvent que le marché n’est pas efficient et qu’il est possible de le battre ;
  • le fait qu’elles existent et perdurent prouvent justement qu’il n’est pas possible d’en tirer parti sans quoi elles disparaîtraient (par l’action même de ceux qui chercheraient à en profiter).

Deux façons opposées de voir les choses. Quoi qu’il en soit comme l’indique Burton Malkizl1, les quelques anomalies qui ont été détectées en cinquante ans de recherches n’ont pas persisté très longtemps et ne sont habituellement reconnaissables qu’après coup (Comment exploiter a priori ce qui n’est reconnaissable qu’a posteriori ? Toutefois on peut très bien imaginer qu’il y ait d’autres moyens que l’analyse des données passées pour anticiper l’avenir).

ll faut noter qu’affirmer qu’un marché est efficient ou inefficient ne veut rien dire en soi sans un référentiel, une unité et un instrument de mesure. Dire que tel sprinteur est le plus rapide du monde sans le confronter à d’autres et sans chronomètre relèverait de l’opinion sans fondement. La mesure de l’efficience/inefficience doit être précise, objective et proportionnelle ou comparable à un étalon. Trop de blogueurs et commentateurs sur la toile se contentent d’affirmer que les marchés sont efficients ou inefficients, point barre. Efficient ou inefficient par rapport à qui par rapport à quoi et dans quelle mesure ? Passons également sur les multiples confusions et mauvaises interprétations de l’hypothèse d’efficience des marchés comme celles qui consistent à croire qu’un marché efficient implique obligatoirement que tous les investisseurs soient 100 % rationnels et ce tout le temps.

 

CHANCE OU HABILETÉ ? 

Autre simplification ou imprécision qui brouille les cartes, l’affirmation que l’efficience implique que l’on ne peut pas battre le marché. La formule juste est : l’efficience implique que l’on ne peut pas battre le marché si ce n’est par chance. Face à quelqu’un qui enregistre un rendement supérieur au marché sur une période de temps suffisamment longue, il faut donc se poser la question suivante : sa surperformance par rapport au marché est-elle due à la chance ou à une habileté personnelle ? Supposons qu’un gérant de fonds ait 50 % de chances de battre le marché dans l’année. En 2 ans, il aurait encore 25 % de chances de faire mieux. Sur 8 ans, sa probabilité de battre le marché serait encore de près de 4/1000. Par conséquent, en étudiant la performance de 1000 gérants de fonds sur 8 ans, il ne serait pas exceptionnel d’en trouver 4 qui surperformeraient encore le marché. Cela ne veut pas dire que les 4 en question seraient obligatoirement là par chance mais cela ne permettrait pas de conclure non plus qu’ils sont là autrement que par chance.

Est-il possible que Warren Buffet ait atteint un tel niveau d’enrichissement en n’étant que chanceux ? Pour l’homme de la rue ce sera non ; pour qui est familier du calcul des probabilités ce sera oui, sans hésiter. La probabilité de toucher le jackpot à la loterie classique (6 numéros sur 49) est, pour chacun d’entre nous, de 1/14 000 000 environ. Pour autant, la probabilité qu’il y ait un gagnant parmi plusieurs millions de joueurs est très élevée. Il ne sera pas rare de trouver plusieurs multimillionnaires parmi les joueurs de loto sur une certaine période de temps. Personne n’ira conclure que leur gain n’est dû à autre chose qu’à la chance. Bien entendu, cela ne signifie pas que Warren Buffet est le super-gagnant de la loterie mondiale car ses activités ne s’apparentent pas à de purs jeux de hasard. Cela signifie simplement que c’est une possibilité ou que la chance a pu jouer un rôle non négligeable dans son succès.

 

WARREN BUFFET N’EST NI UN SIMPLE INVESTISSEUR NI UN GÉRANT DE FONDS

Un investisseur ou un gérant de fonds sur les marchés est typiquement quelqu’un qui sélectionne des actifs dans l’espoir que ceux-ci prennent de la valeur. Pour un investisseur ou un gérant de fonds, il y a théoriquement quatre façons de battre systématiquement le marché :

  1. Par habileté (plus grande capacité à prévoir l’évolution des marchés et des titres) ;
  2. En ayant systématiquement les informations avant les autres ;
  3. En volant régulièrement le départ (vos ordres sont transmis sur le marché avant ceux des autres ; cas de certaines sociétés de trading à haute fréquence) ;
  4. Par pure chance.

Toutes les études portant sur l’efficience des marchés cherchent à mesurer si la sur-performance de chaque investisseur ou gérant par rapport au marché est due à la chance ou non. Cependant, Warren Buffet ne peut pas entrer dans la catégorie des investisseurs ou gérants de fonds sur lesquels portent ces études dans la mesure où une part de ses revenus provient d’autres sources que celles de l’investissement ou du trading en bourse. En effet, comme l’indique Kyle Bumpus2 :

Quand les gens disent que Warren Buffet a réalisé 23 % de rendement annuel sur 40 ans, ils veulent dire que la valeur comptable de Berkshire Hathaway a progressé de 23 % par an sur la période. Ce n’est pas exactement pareil que de dire que Warren Buffet a généré 23 % de rendement juste en faisant du stock-picking. Berkshire Hathaway possède plus de 70 sociétés parmi lesquelles des marques connues. Sa capacité à générer des rendements élevés tient plus à des qualités managériales qu’à la faculté de prévoir les cours de bourse.

Eugene Fama, dans une interview récente, ne dit pas autre chose3 :

Warren Buffet est un entrepreneur, pas un investisseur en soi. Il achète des entreprises entières et, j’imagine, les aide à se développer. J’aimerais bien pratiquer les mêmes types de tests qu’avec les fonds de gestion. Si je prenais un large échantillon d’entreprises, la distribution des rendements serait-elle très différente que celle que l’on s’attendrait à obtenir purement par chance ? C’est plus difficile à faire pour les entreprises que pour les fonds de gestion car les données sont plus limitées et il y a des milliers et milliers d’entreprises. Mais parce qu’il y a autant d’entreprises on peut s’attendre à ce que le nombre de gagnants uniquement par chance soit assez grand. Maintenant je ne sais pas si Warren Buffet est chanceux ou talentueux. Mais je voudrais bien faire le test. Et je ne peux pas faire le test juste sur lui. Je dois faire le test sur tout le monde pour savoir si lui est exceptionnel ou non.

 

CONCLUSION

Il y a plusieurs raisons qui expliquent le succès de Berkshire Hathaway qui n’ont rien à voir avec le trading et l’investissement en bourse (voir ici et là). Les tests d’efficience ne s’appliquent qu’aux entreprises qui tirent leurs revenus uniquement de la spéculation boursière. Ils ont pour objet de vérifier que les purs investisseurs et fonds de gestion en actions ne génèrent pas systématiquement des rendements supérieurs au marché autrement que par pure chance. Ils n’ont pas pour objet de vérifier si et dans quelle mesure les entreprises ayant réussi dans d’autres secteurs doivent leur succès à la chance ou au talent. Et faute de suffisamment de données, ils ne le pourraient pas. Warren Buffet est-il un chef d’entreprise chanceux ou talentueux ? La question reste ouverte mais hors du champ d’application de l’hypothèse d’efficience des marchés.


Sur le web.

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  • On ne s’enrichit pas « par chance » dans une économie un minimum capitaliste. Le Marché n’est pas une loterie. Si l’on s’enrichit grâce à lui, c’est par l’effort et la prise de risques.

    • Le marché n’est pas une loterie, mais la vie en est une. L’effort et la prise de risque sont nécessaires, mais la chance tout autant, et comme le dit l’auteur, il est impossible de démêler chez un individu la part de l’un de celle de l’autre. Dans le succès de WB, il y a une indéniable part d’habileté. Le reste, mystère. La chance est certaine, s’il n’avait pas été fils de courtier, il n’aurait jamais acheté sa première action à 11 ans, ni sans doute fait ses études avec Ben Graham, ni trouvé des investisseurs qui lui confient l’équivalent d’1 million de $ d’aujourd’hui à 25 ans. Les efforts ? Dès son business comme livreur de journaux à 13 ans, il savait organiser et faire faire les efforts par d’autres. Le risque ? Quand on lit Ben Graham, que Buffett admirait, on voit que tout l’art est justement d’éliminer le maximum de risques.

      Je suis d’accord avec l’article, si Warren Buffett avait fait sa carrière ailleurs que dans la finance, il serait milliardaire tout pareil.

  • Warren Buffett était sans doute un investisseur exceptionnel, mais se demander si le fait que ses exploits remettent en question l’hypothèse d’efficience des marchés me semble assez comique quand on voit le nombre de coups qu’il a pu faire où l’Etat était impliqué dans des proportions considérables. Tout le monde n’a pas ses entrées à Washington D.C. …

  • Oui et non, WB personne ne saurait réécrire sa vie, par contre, son rendement s’explique aussi par la profondeur de ses poches, lorsqu’il investi un titre il a les moyens d’attendre des années, voire des décennies, c’est ce qui explique un rendement lissé et élevé.

  • « Supposons qu’un gérant de fonds ait 50% de chances de battre le marché dans l’année. En deux ans, il aurait encore 25% de chances de faire mieux. Sur 8 ans, sa probabilité de battre le marché serait encore de près de 4/1000. Par conséquent, en étudiant la performance de 1000 gérants de fonds sur 8 ans, il ne serait pas exceptionnel d’en trouver 4 qui surperformeraient encore le marché. »

    Deux erreurs grossières dans ce raisonnement :
    – L’hypothèse de départ se base sur l’efficience des marchés. De la même façon, je peux donc utiliser cette hypothèse pour supposer qu’un gérant de fonds a 50% de chances de battre le marché en 8 ans. Cela contredit votre conclusion.
    – Vous supposez que pour battre le marché sur 8 ans, il doit battre le marché chaque année. Il n’en est rien. On peut imaginer qu’il gagne 10 la dernière année et perde 1 les autres et il aura tout de même battu le marché de 3.

    De toute façon, cette hypothèse d’efficience des marchés ne tient pas la route. Prenez un opérateur de marché. D’après l’hypothèse, à chaque fois qu’il ouvre une position, il a une espérance de gain négative à cause des commissions. Au bout d’une centaine d’opérations, la probabilité que sa balance soit positive serait proche de zéro or le pourcentage des opérateurs de marché qui font des bénéfices est loin d’être nul. Exemple de chiffres : http://trading-gurus.com/fxcm-release-extra-forex-trader-profitability-statistics/
    Comment expliquez-vous cela ?

    La réalité est que cette hypothèse est utilisé par des mathématiciens économistes pour simplifier le problème et élaborer de jolies théories qui, malheureusement, ne s’appliquent jamais en pratique.

  • @l’Auteur

    Une étude récente publiée dans le Financial Analyst Journal explique bien comment Buffet s’est enrichit.

    La réalité est qu’en raison des obstacles aux ventes à découvert et au levier financier (deux choses interdites dans les fonds mutuels et la plupart des fonds de pension), l’efficience n’est pas atteignable dans la réalité. Pour contrer l’asbence de levier, les gestionnaires ont tendance à acheter des titres plus risqués, les rendant plus dispendieux.

    Buffet a exploité cette faiblesse en achetant des titres peu risqués sous-évalués (Coke, Wells-Fargo, etc), mais en bonifiant son rendement par le levier financier.

  • la chance ne se fait pas sur un long terme

  • On met souvent en avant WB, on le cite, on s’en sert comme sujet d’étude mais encore faut-il savoir qu’il n’est pas seul au monde. Son modèle d’entreprise et quasi unique mais pourra tout de même citer Fairfax ou Markel qui ont la même organisation : compagnie d’assurance qui génère un flottant important que Warren Buffet (Prem Watsa, Tom Gayner pour les autres entreprises citées) peut investir dans d’autres sociétés et produits financiers.

    J’ajouterai que, compte tenu de sa réputation, de sa surface financière et de ses compétences, et de très nombreux gestionnaires de fonds ont battu le marché effrontément pendant de nombreuses années.

    Ils sont méconnus du grand public mais je me permets d’en citer quelqu’uns :
    – Peter Lynch, 29% pendant 13 ans
    – Peter Cundill, 15% pendant 33 ans
    – Walter Schloss, 15 % pendant 45 ans
    – John Neff, 14% pendant 30 ans
    – Bruce Berkowitz, 13% par depuis 2000 (contre 4% pour le marché), meilleur gérant de la décennie 2000 aux US.
    – Francisco Paramès, en Espagne, + 212% contre 29% pour le marche entre 1999 et 2007.
    – ….

    Plus près de nous, on pourrait comparer, en France, Bolloré à Buffett (c’est un peu réducteur mais je n’ai pas mieux à proposer) et citer des gérants de fonds comme Romain Burnand (Moneta) ou William de Prémorel (Indépendance & Expansion) qui affichent des performances supérieures au marché.

    Pour terminer, je citerai Warren Buffett : « si les marchés étaient efficients, je serais un clochard », la boucle est bouclé

    • Mon dernier message est parti un peu vite….

      Je voulais ajouter que WB et Berkshire-Hathaway sont des sujets d’études intéressant mais totalement non-reproductibles.
      Ainsi, certains deals récents de WB n’ont été créés que pour lui (warrants spéciaux Bank Of America, Goldman, etc…) et pendant la crise son téléphone a sonné, et son portefeuille s’est ouvert…

      Enfin, le début de sa carrière d’investisseur professionnel n’est jamais relatée et c’est pourtant la plus prolifique de sa vie. Son rendement réel (là il était réellement gestionnaire de fonds pendant plus de 10 ans) était de 30%. Quand on étudie ses investissements de l’époque, le doute sur l’existence d’une efficience des marchés n’est plus permis…

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