Alexandre : conte philosophique

Combien de Thomas Edison, de Henry Ford, de Rockefeller avons-nous perdu de vue avec le culte de l’échec et non du succès ?

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Alexandre : conte philosophique

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 19 octobre 2013
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Par Rémy Va.

DécouragementLes parents d’Alexandre ne sont pas vraiment socialistes. Mais ils ne sont pas vraiment libéraux non plus. Ils sont un peu religieux. Non, pas de bénédicité, pas de messe du dimanche ou de messe de Noël. On pense juste un peu que Dieu existe. Parce que ça se fait, parce que c’est comme ça. Faut pas trop se creuser, vous savez. Ça doit venir du cœur.

Lui n’est pas idiot non plus. Il sait lire assez tôt, il cumule les images à la maternelle et les points verts à l’école primaire. Il est plutôt calme, lui. C’est qu’il s’ennuie un peu dans sa classe. La classe n’est pas vraiment bonne, non… mais elle n’est pas si mauvaise que ça. C’est une classe normale, comme on dit. Il y a des bons, des mauvais, des moyens.

C’est à peu près la même chose au collège. Un établissement « correct avec quelques difficultés », disait-on.

Alexandre se sait très intelligent. Mais il sait aussi que la classe l’est un peu moins que lui. Mais on lui a dit que se vanter d’être en avance, c’est être prétentieux, alors Alexandre se tait.

Il y a beaucoup de cancres, à vrai dire. Enfin, des cancres, vous savez ce que l’on dit : des élèves perturbateurs. C’est-à-dire qu’Alexandre n’habite pas dans un quartier très fréquentable. Et même si lui est très curieux, les autres le sont un peu moins. On dit à la télé que c’est parce que les parents des « autres » sont un peu démissionnaires, qu’ils sont un peu perdus, qu’ils ne savent pas comment faire. Et comme les parents d’Alexandre ne sont pas très riches – mais pas très pauvres non plus, ils n’avaient pas les moyens de payer à Alexandre le collège privé à deux kilomètres de là. Alors Alexandre s’en est allé au collège public, là où il y a des rumeurs de racket et de bagarres dans les toilettes. Quand en sixième, la classe apprenait la division de fractions, Alexandre pensait aux calculs littéraux. Quand, en cinquième, la classe apprenait les calculs littéraux, Alexandre pensait équation. Il avait un peu d’avance. Pas beaucoup. Mais on aurait pu être convaincu que dans la tête d’Alexandre, il y avait comme un bel esprit étouffé. Mais à quoi bon être assidu au milieu de ce qui m’entoure, se disait Alexandre. Alors il rêvassait en classe. Il s’abandonnait lui-même. Il ne participait plus vraiment, visiblement dégoûté du climat ambiant. On lui avait dit que l’école servait à former des humanistes. La promesse ne fut pas tenue.

Il se détachait un peu de la réalité, Alexandre. La classe ne l’intéressait plus vraiment. Ça le fatiguait. Il aimait bien l’école, au début. Mais plus maintenant. Ce n’est plus la même chose. Alexandre ira au lycée, celui en face du collège. Un public, aussi. Ses parents ne se sont pas miraculeusement enrichis. Son père n’est pas vraiment attaché à la réussite ni à la fortune. Il a son travail, tant mieux, il le garde. Mais quand il peut rentrer du boulot une heure plus tôt, le père d’Alexandre rentre du boulot une heure plus tôt. L’effort, c’est des conneries. Profite de la vie, Alexandre. Te prends pas la tête, fiston.

Tant pis.

Comme on pouvait s’y attendre, c’est les épaules fléchies et les yeux pointés vers le sol qu’Alexandre entre en seconde. C’est un adolescent silencieux. Il n’a pas beaucoup de copains. Il s’est isolé des autres. C’est quelque chose qu’il a appris assez tôt, au collège, quand il a compris que souffrir à fréquenter des gens qui ne lui correspondaient pas et l’empêchaient de se développer ne servait à rien. Comme Alexandre est un adolescent intelligent et curieux, il comprend tout en classe mais sèche beaucoup de cours. Il est lassé, dégoûté. Dépressif ? Tout dépend de ce que vous entendez par dépressif. Comme tous les élèves qui sèchent plusieurs heures par semaine, Alexandre est convoqué par le conseiller principal d’éducation. On lui dit de s’insérer dans le groupe de classe. D’aider ceux qui ont des difficultés. D’agir dans le sens du collectif. Parce que la petite personne d’Alexandre, ça n’intéresse qu’Alexandre. On est naturellement plus préoccupés par les élèves perturbateurs ayant un peu de mal que par les élèves indépendants et torturés comme Alexandre. Il paraît que c’est « humain », c’est solidaire. C’est altruiste, ils disent.

Alexandre passera son bac. Pas de mention. Il n’a pas travaillé du tout. Il savait qu’il l’aurait, car il n’est vraiment pas idiot. Mais il n’avait pas envie de faire dans le zèle. Ça ne sert pas à grand chose, se disait-il. Pourquoi me décarcasserais-je à bien travailler ? C’est immoral par rapport aux autres qui ont du mal. Et puis, surtout, c’est égoïste, c’est prétentieux. C’était ce que lui avait dit son professeur principal – qui lui enseignait la philosophie – en terminale. Et puis, les efforts, c’est des conneries. Tant pis.

Alexandre n’avait plus beaucoup d’ambition. Alors il avait achevé rapidement, à la hâte et dans la mélancolie une licence de droit public. Il trouverait sûrement un travail. Dans une petite entreprise, dans un petit bureau. On le laisserait tranquille. Inutile d’en faire trop. Ça ne sert pas à grand chose, il paraît. L’effort, c’est des conneries.

Et si Alexandre avait vécu dans une société où on glorifiait le talent ? Si on ne l’avait pas plongé dans la médiocrité, dans la « moyenne des gens » ? Si on ne lui avait pas dit que l’ambition est par nature égoïste ? Si on ne lui avait pas dit qu’il n’est pas honteux d’être indépendant, d’être excellent, de ne pas aider les autres car l’on est plus intéressé par soi-même ? Si on avait appris à Alexandre à s’aimer un peu ? Alexandre aurait-il réalisé de grandes choses ? Aurait-il amélioré la vie de plusieurs milliers de personnes ? Aurait-il révolutionné la science de laquelle il serait tombé amoureux ? À vous de l’imaginer. Mais j’en suis convaincu, depuis les décennies où nous prônons l’altruisme aux dépens de l’égoïsme, beaucoup d’Alexandre ont été étouffés. Combien de Thomas Edison, de Henry Ford, de Rockefeller avons-nous perdu de vue ?

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  • Whaaou ! L’histoire de ma vie.

    Mais vous avez aussi oublié la jalousie des autres (profs et élèves – surtout des profs) qui vous apprend a vous taire.

    Heureusement, dans le tas, il y a quelques professeurs qui sont là par passion (il y en a, je vous assure) et qui vous poussent encore et toujours plus loin (dans le strict cadre imposé par le Ministère de la Rééducation Nationale).

    Ce pays, tel qu’on le connait est foutu, mais pour laisser place à quelque chose de plus grand, et là, tous les Alexandre de France attendent leur heure.

    Mais je suis d’accord sur le fond… Quel gâchis !

  • Mon fils qui s’appelle aussi Alexandre et a vécu un peu la même chose, mais avec une TS au milieu du parcours. Aujourd’hui il va bien.

  • De l’école à la fin de vie, tout est organisé à partir d’un socle se voulant égalitaire.

    Pour parfaire votre brillant exemple, prenez un site web quelconque, en France, avec un forum, présentez vous comme étant heureux, ayant fait carrière en tant qu’entrepreneur et surtout, oui surtout, dites que vous gagnez de l’argent, la réaction sera violente et les noms d’oiseaux vont pleuvoir, mais pour qui vous prenez vous donc ? et hup un coup de « mythomane » dans les dents.
    A l’inverse, dites que vous êtes dans l’échec, que le système vous broie, que non vraiment c’est trop dur et que la vie est injuste, bingo ! vous voila avec des dizaines de nouveaux « amis ».

    Des surdoués comme il est coutume de les appeler de nos jours, il y en a légions, en France c’est comme la définition de la richesse, plus on abaisse le seuil (4000€/mois pour notre président, 5000€/mois pour la moyenne des Français), plus il y a de candidats à l’impôt… à l’école, plus on abaisse les exigences, plus nous avons de diplômés dont le monde entier ne nous envie plus.

    Il reste une société où la plupart s’emmerdent et effectivement, ça part de l’école.

  • Oui, c’est assez bien vu de présenter les choses comme ça. Un détail cloche cependant: vous suggérez qu’Alexandre aurait pu s’épanouir dans le milieu scientifique français (je suppose)… Moi qui le connais bien, je peux témoigner qu’il y règne strictement la même mentalité que celle que vous décrivez pour l’école.

    Beaucoup de talents y sont étouffés, tandis qu’on donne des doctorats à des gens qui n’auraient pas eu le bac il y a 50 ans et qu’on les fait même rentrer dans le système universitaires (notamment comme affidés d’incompétents ambitieux). Le niveau est en chute libre dans beaucoup de laboratoires…

    Mais évidemment, Alexandre, s’il avait choisi la science, aurait quand même pu s’épanouir à l’étranger. 😉

  • Mon fils aurait pu être Alexandre, heureusement il a passé in extremis les étapes décisives, il est maintenant à sa place, il sera très probablement chercheur.

    Il faut reconnaître que pas un prof du primaire au lycée n’a détecté quoi que ce soit, sauf juste au bon moment pour le pousser en prépa. ouf ! Sans cela je l’imagine très mal dans une autre voie.

    Sinon, juste une remarque, il me semble qu’il y avait peu d’élèves venant du privé dans sa prépa.

  • Cela me fait étrangement penser à la médiocrité en vigeur dans les pays anciennement communistes d’Europe de l’est…

  • un beau conte malheureusement coupé de la réalité !

  • Dois-je vous avouer que ce conte m’a mis les larmes aux yeux…?

    Signé: un professeur passionné qui a réussi à quitter l’EdNat pour un établissement 100% libre!

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