Les politiques d’« argent facile » menées par les banques centrales ont de multiples effets négatifs et nuisent à l’économie.
Par Arnaud Malfoy.
Depuis la dépression de 2008, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, les banquiers centraux ont pris des mesures extraordinaires comme une baisse à des niveaux jamais vu des taux d’intérêt directeurs (0,25% pour la Fed et 0,5% pour la BCE). Ces mesures conventionnelles n’ayant pas donné satisfaction et poussés par des gouvernements nationaux totalement impuissants, les banquiers centraux ont eu recours à des mesures dites non conventionnelles. La Fed initia le processus avec ses plans de Quantitative Easing (QE) qui consistent en des achats massifs de titres aux banques afin d’inonder le marches de liquidités (85 milliards par mois pour le dernier plan après 3 trillions de dollars pour QE 1 et 2). En Europe, la BCE procéda de la même manière dans des proportions toutes aussi massives (375 milliards de livres). La BCE opta pour une stratégie légèrement différente, tout d’abord en rachetant pour 500 milliards d’euro d’obligations d’États par l’intermédiaire du Fond Européen de Stabilité Financière (ce qui permit au passage à de nombreuses banques de se débarrasser de leurs obligations grecques à bon compte). Puis la crise s’aggravant eu Europe, elle décida de prêter à des taux extrêmement bas plusieurs trillions d’euros aux banques notamment en Grèce, Espagne, Italie et Irlande leur permettant de prêter à des taux nettement plus importants à leurs gouvernements respectifs en enregistrant au passage de solides profits.
Ces banques centrales auraient pourtant dû étudier les résultats économiques désastreux de cette même politique au Japon. En effet, ce pays frappé de plein fouet par une énorme bulle immobilière au début des années 90 et incapable de purger les banques de leurs innombrables créances douteuses, pratiqua une politique de taux zéro puis débuta une politique monétaire expansionniste à partir de 2001 sans que la situation économique ne s’améliore. Le Japon en est à ce jour a son 11eme QE…
Les effets négatifs de cette politique sont multiples
– Tout d’abord, des taux nuls encouragent l’endettement que ce soit au niveau de l’État, des particuliers ou des banques alors que justement la crise provient d’un endettement trop important ! En effet, les politiques bénéficiant d’un afflux inédit de liquidités qui s’investissent dans les obligations d’États voient la charge de la dette baisser et donc reportent les programmes de réduction des dépenses publiques ce qui est dommageable à moyen et long terme pour la compétitivité de leur économie. L’État américain par exemple économise 150 milliards de dollars pour 1% de réduction des taux d’intérêt. De même, le gouvernement de François Hollande bénéficie de taux d’intérêt extrêmement faibles alors que les fondamentaux de l’économie sont exécrables, ce qui ne l’incite pas à réformer le secteur publique, le système de protection sociale, ou le coût et les rigidités du marché du travail.
Par ailleurs, l’endettement privé ayant déjà atteint des proportions délirantes notamment aux États-Unis, en Angleterre ou en Espagne, la faiblesse des taux incite au contraire de nombreux ménages à poursuivre ou à se lancer dans cette stratégie. Ceci conduit même à des situations aberrantes aux États-Unis ou certains ménages avec une épargne importante et sans dette se verront refuser un accès à la location d’un logement, ou l’obtention d’un crédit immobilier car il n’ont pas d’historique de crédit alors qu’un autre ménage avec des revenus moindre, peu d’épargne et de nombreuses cartes de crédit y aura droit ! Il est d’ailleurs très facile d’obtenir plusieurs cartes de crédit pour des montants importants même pour les bas salaires ce qui encourage les comportements à risque. Personne ne s’étonnera donc que le taux d’épargne aux États-Unis se situe à seulement 2,5%.
Enfin, les banques d’investissement qui avaient atteint des sommets en matière d’effet de levier en 2008 (en moyenne 33 pour 1, c’est à dire que pour chaque dollar de fonds propres, la banque investit 33 dollars) n’ont pas pour autant réduit leur exposition ou amélioré leurs contrôles (comme le prouve la récente perte de 6 milliards de dollars de JPM en 2012 ou celle de l’UBS pour 2 milliards de dollars en 2011).
– À l’inverse, les particuliers qui ont eu une gestion financière prudente et ont épargné se voient punis avec des taux d’intérêt nuls et même des taux d’intérêt réels négatifs lorsque l’on prend en compte l’inflation. Ceci est particulièrement dommageable pour les retraités qui ne peuvent plus vivre sur les intérêts qu’ils percevaient de leur capital et doivent ponctionner celui-ci pour continuer a vivre (voir se remettre à travailler lorsque celui-ci s’épuise). Ceci change complètement les prévisions sur lesquelles ils se basaient lorsqu’ils calculaient leur niveau de retraite et conduit inévitablement à leur appauvrissement. Par ailleurs, les particuliers voulant investir dans l’immobilier par exemple ou dans la création d’une entreprise auront tendance à renoncer du fait des revenus d’intérêt perdus alors que dans le même temps les conditions d’obtention d’un prêt sont devenues plus drastiques réduisant d’autant le potentiel de l’économie.
– Mais l’effet le plus néfaste réside dans le fait que ces taux artificiellement bas entraînent un biais dans l’action des agents économiques étant donné que les taux ne reflètent plus le risque associé. Comment expliquer en effet que les taux d’intérêt au Japon puissent être autour de 1% alors que l’endettement du pays est d’environ 245% par rapport au PIB ! Cela entraîne une course au rendement qui pousse les investisseurs vers des actifs de plus en plus risqués comme les Junks bonds (ou obligations pourries) dont les taux de rendement ont baissé à des niveaux totalement irréalistes (autour de 5%) alors que la probabilité de faillite pour ces entreprises se situe entre 20 et 50%…
– D’autre part, il est assez ironique de voir que la crise provenant de l’éclatement d’une bulle, les politiques monétaires aient réussi non pas à les stopper mais à en recréer de nombreuses autres non seulement dans les pays concernés mais également dans le reste du monde. Cette gigantesque masse monétaire s’investit par exemple sur les marches financiers à l’instar du Dow Jones qui a gagné près de 130% depuis 4 ans ou dans l’immobilier comme à Singapour (+59% depuis 2009) ou Hong Kong (+73% sur les 3 dernières années).
– Par ailleurs, cette propension à faire tourner la planche à billet a pour corollaire un affaiblissement des monnaies en question. Ceci entraîne un renchérissement des importations et une plus grande compétitivité prix au niveau des exportations. D’où la crainte légitime d’une nouvelle guerre des monnaies comme après la crise de 1929 où chaque pays tentait de gagner des parts de marchés à l’exportation au détriment des autres ce qui eut l’effet inverse car chacun adoptant la même tactique, il ne pouvait y avoir de vainqueur. Par contre, cela ruina bon nombre de marchands internationaux et le commerce mondiale se réduisit drastiquement. On peut d’ailleurs s’interroger si récemment la forte baisse du dollar vis-à-vis du yen jusqu’à la fin de l’année dernière n’a pas poussé la BOJ a accroître drastiquement son QE afin d’affaiblir le yen et rendre les exportations japonaises plus compétitives.
– Cependant, la conséquence la plus logique et reconnue historiquement du QE se situe au niveau d’un risque d’hyperinflation comme dans l’Allemagne des années 20 ou plus prés de nous, au Zimbabwe ou en Argentine. Pour l’instant, les autorités monétaires mettent en exergue le peu d’inflation mais leurs mesures de l’inflation ont tendance à minimiser celle-ci en sous pondérant certains produits par rapport à d’autres par exemple et certains indices laissent penser qu’une accélération de l’inflation se prépare. En effet, l’inflation est relativement importante en Angleterre (entre 2,5 et 5% par an depuis 2010). De même, au niveau mondial, les prix augmentent de façon importante dans le domaine crucial de l’alimentaire (+4,8% en 2011) impactant en cela principalement les plus pauvres. En outre, si pour l’instant, l’impact total de ces QE ne se fait que peu ressentir, c’est qu’une partie de ces liquidités sont bloqués en amont. En effet, les banques ont durci fortement les conditions de prêts aux particuliers ou aux entreprises, et préfère utiliser cette manne pour renforcer leurs fonds propres. Cependant cela ne durera pas indéfiniment et il est à craindre qu’une fois la reprise économique engagée, ces liquidités provoqueront une envolée des prix.
– Enfin, une monnaie n’existe que parce qu’elle inspire la confiance, si le gouvernement utilise trop la planche à billets, les agents économiques vont perdre progressivement confiance dans la valeur intrinsèque de la monnaie. Le dollar ne se maintient que grâce à son statut de monnaie de réserve, qui reste recherché dans le monde et c’est d’ailleurs cette demande en billets verts qui évite pour le moment une inflation très importante aux États-Unis, le gouvernement américain exportant de façon très pratique son inflation. Cependant, il suffirait que les gros détenteurs de bons du trésor américain comme la Chine ou le Japon décident de vendre une partie de leurs stocks pour que le dollar se déprécie massivement. Il y a d’ores et déjà des signes qui ne trompent pas avec de nombreuses banques centrales qui décident d’acheter massivement de l’or (+17% en 2012 vs 2011 qui était déjà une année record et cela n’inclue même pas la Chine !) ou encore de plus en plus de pays du Sud qui commercent entre eux par l’intermédiaire d’autres devises.
En conclusion, s’il est simple de se lancer dans le QE, il semble en revanche nettement plus difficile d’en sortir sans embûches. Les marchés financiers sont devenus tellement « accro » à l’argent facile que la plus subtile indication de sa baisse ou suppression provoque une chute des marchés. Par ailleurs, une correction trop nette à la hausse des taux handicaperait considérablement les (trop maigres) efforts de consolidation budgétaire en accroissant la charge de la dette (déjà très lourde). Enfin, le QE pourrait tout simplement causer au dollar la perte de sa valeur refuge par une baisse de sa valeur intrinsèque et offrir un tremplin inespéré au Yuan. Celui-ci prend d’ailleurs de plus en plus d’importance au niveau international avec la signature de nombreux accords de swaps avec les partenaires commerciaux de la Chine, la banque centrale chinoise peut également se prévaloir des plus grandes réserves de changes au monde et s’évertue à accumuler des stocks colossaux d’or.
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Les opinions développées dans cet article sont propres à l’auteur.
La bonne nouvelle c’est qu’on peut ne pas comprendre grand chose à l’économie et quand meme bosser dans la finance à New York.
Lecon d’economie historique :
Pendant l’Antiquite, un monarque floue par son ministre des finances lui avait fait verser de l’or fondu dans la bouche.
Simple et de bon gout.
Quand on fait une connerie, on paie tot ou tard !
Celui qui a été sage et qui a épargné subit la baisse des taux, le risque accru (bulles et surendettement généralisé) et le risque d’inflation.
Celui qui s’est surendetté renégocie avantageusement ses taux en attendant l’inflation avec impatience.
Les dettes publiques montent sans cesse et les bilans des banques centrales se font plus grotesques chaque jour.
Résultat au USA, ou la Reprise™ est la meilleure : 2% d’inflation mais 2% de croissance, soit un PIB qui grandit de 300 milliards par an. Pour les obtenir, ou plutôt ne pas les perdre, on imprime 1000 milliards par an et on augmente la dette de 1000 milliards par an.
Les taux sont au plus bas ; ils ne peuvent que monter. Le NASDAQ est au plus haut…
« Celui qui a été sage et qui a épargné subit la baisse des taux, le risque accru (bulles et surendettement généralisé) et le risque d’inflation. »
En attendant la spoliation pure et simple.
C’est un aspect du malinvestissement causé par les taux bas.
Un autre en est l’accumulation de créances pourries dans le bilan des banques centrales, en échange des émissions de monnaie.
La politique a eu la peau du capitalisme.
@Fucius
« La politique a eu la peau du capitalisme. »
Non seulement elle a l’a anéanti, tout du moins sous sa forme authentique et originelle de « laisser-faire », mais elle l’a érigé au rang de bouc émissaire pour justifier ses méga-erreurs (résultantes de ses méga-décisions macro-monétaires) futures; néanmoins, les états auront ainsi toujours besoin d’un minimum de capitalistes, car, jamais ils n’admettront leur mal investissement (en effet, pour un Keynésianiste une dépense publique est TOUJOURS bénéfique pour l’économie). Le chaos, ç à d une économie à 100% nationalisée, pourrait donc sonner à terme le glas de ce système perverti, les bouc émissaires ayant disparu, et le peuple, même désinformé ou endoctriné, ne pouvant qu’admettre puis se révolter contre ce totalitarisme économique destructeur. Mais en attendant, des bulles, peut être encore plus grosses et nombreuses que celles des subprimes que vont éclater, avec autant de plan de sauvetage des banques, puis de QE en résultant, et donc autant de nouvelles raisons pour ces pillards d’user de la contrainte légale pour nous plumer afin de réparer leurs conneries.
Les coupables sont les États: Monter les taux est impossible parce que cela les rendrait insolvables. Les banques centrales n’ont pas le choix.
En fait ils sont déjà insolvables, même avec des taux faibles, puisque leur croissance est encore plus faible et leur dette au-delà de 100% du PIB.
Mais tant que les taux semblent bas, inférieurs à l’idée que la plupart se font de la croissance structurelle, ils continuent d’y croire.
La faiblesse des taux d’intérêt a tous les défauts indiqués, et d’autres.
Plus généralement, entre les deux moyens d’allouer les ressources, le marché et la planification centralisée, celle-ci l’a emporté.
Surtout en France, où l’État dépense 57% du PIB, donc où l’économie de marché en représente 43%. Mais aussi parce que le prix de l’argent, ou du temps, n’est plus décidé par le marché mais par la politique. Ce qu’il nous reste de marché est donc faussé…
Nous vaoilà condamnés à la banqueroute ou, pire, à une stagnation indéfinie…
Vous dites : Enfin, une monnaie n’existe que parce qu’elle inspire la confiance, si le gouvernement utilise trop la planche à billets, les agents économiques vont perdre progressivement confiance dans la valeur intrinsèque de la monnaie.
En réalité, une monnaie fiduciaire n’a AUCUNE valeur intrinsèque, contrairement à l’or.
C’est quoi la valeur intrinseque de l’or? 260 dollars l’once en 2001, 1800 dollars en 2011 ou 1375 dollars aujourd’hui?
Notez que je compte en dollars, c’est absurde puisque ce dernier n’a pas de valeur intrinseque : en bols de riz alors?
Le stock de monnaie papier explose, et au meme moment le prix de l’or tombe de 25%. Allez comprendre.
Les réserves augmentent, mais on s’en fout puisqu’elles ne circulent pas dans l’économie. Le stock de monnaie (M4, broad money) est encore inférieur à ce qui prévalait en 2007. Et l’or s’est cassé la gueule parce que c’est une relique barbare, et que les gens ne comprenant pas grand chose à l’économie ils croient à la possibilité de l’hyperinflation, qui ne vient pas et ne viendra pas bien entendu.
Une question au sujet de cet extrait : « Le dollar ne se maintient que grâce à son statut de monnaie de réserve, qui reste recherché dans le monde et c’est d’ailleurs cette demande en billets verts qui évite pour le moment une inflation très importante aux États-Unis, le gouvernement américain exportant de façon très pratique son inflation. ».
C’est sans le dire le pétrodollar qui maintient la monnaie en place finalement ? Si demain on annonçait la fin du pétrodollar, serait-ce la fin du dollar tout court ou cette monnaie sert-elle de réserve par d’autres procédés ?