Affaire Snowden : les secrets de Zuckerberg

Les Etats occidentaux espionnent les communications des individus, et sont solidaires pour punir le lanceur d’alerte. Ils veulent voir Snowden en prison!

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
BIG-BROTHER-OBAMA-1984-large570--1-

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Affaire Snowden : les secrets de Zuckerberg

Publié le 5 juillet 2013
- A +

Les États occidentaux espionnent les communications des individus, et sont solidaires pour punir le lanceur d’alerte. Ils veulent voir Snowden en prison !

Un article de Pierre Chappaz.

Avant-propos : Depuis que j’ai rédigé cet article en début de semaine on a assisté à une succession d’événements qui confirment mes craintes : avion du Président bolivien bloqué par la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal car Snowden était soupçonné d’être à bord. Révélations du Monde hier soir sur le programme d’espionnage de la DGSE française, similaire à celui de la NSA américaine. Les États occidentaux espionnent les communications des individus, et sont solidaires pour punir le lanceur d’alerte. Ils veulent voir Snowden en prison !

Les secrets de Zuckerberg ?

Je lisais récemment dans la luxueuse revue AuFait une interview de Zigmunt Bauman, sociologue d’origine polonaise né en 1929 mais à l’esprit toujours vif, qui fut longtemps enseignant en sociologie à l’Université de Varsovie, avant d’émigrer à Tel Aviv puis en Grande-Bretagne. Bauman semble être un sociologue reconnu, et les idées qu’il véhicule (la « société liquide » qui s’oppose aux sociétés figées du passé et aux utopies communistes de société idéale) sont plutôt à la mode.

Je pourrais critiquer ici ses propos sur l’entreprise, qui traduisent une ignorance certaine de la réalité de la vie des sociétés, quand il prétend que « la grande usine à l’ancienne fabriquait de la solidarité entre les ouvriers. Aujourd’hui, l’entreprise, c’est la compétition et la suspicion généralisées, pas la solidarité« . Ce n’est certainement pas ce que je vis dans les entreprises que je crée depuis 15 ans, bien au contraire si je fonde et développe des entreprises, c’est parce que je veux promouvoir des valeurs de travail en équipe, de partage du succès, et aussi de prise de risque et d’initiative individuelle !

Cependant, ce sont ses propos sur les réseaux sociaux qui me donnent envie de débattre. Car ce que dit Bauman dans l’interview à AuFait me semble fondamentalement erroné, et tellement représentatif d’un discours qu’on entend beaucoup dans les old medias

Après une intéressante analyse de Facebook, ce « réseau social (qui) vous donne la possibilité de faire évoluer votre identité en permanence« , le sociologue arrive au cœur du sujet :

« Ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est que dans la société liquide moderne nous pouvons devenir des esclaves, de la façon dont La Boétie parlait de la « servitude volontaire ». On en voit l’illustration dans la facilité avec laquelle les gens acceptent de livrer leurs secrets personnels sur la scène publique. (…) Zuckerberg a déjà collecté plus de secrets que n’avaient pu le faire tous les services d’espionnage et toutes les polices politiques de l’histoire« .

Zuckerberg est-il coupable ?

Zuckerberg a-t-il réellement collecté des secrets ? D’abord, observons que si vous publiez une information sur un réseau social, c’est que ce n’est pas un secret. Ou alors je ne sais pas ce que signifie le mot secret. Facebook permet de partager certaines informations avec un cercle restreint d’amis : ça, c’est un « demi-secret ». Vous êtes prêt à partager ces infos avec quelques personnes, pas avec la terre entière. Ce demi-secret serait trahi si Facebook faisait mal son boulot, et si par exemple ces infos destinées à vos amis se retrouvaient indexées dans Google. Ce n’est pas le cas, malgré quelques polémiques récurrentes sur de supposés bugs de Facebook.

Pourquoi diable Zuckerberg (ou Larry Page, ou Tim Cook) voudrait-il collecter vos secrets ? Pour vous menacer, vous faire chanter ? Délire.

Si l’idée germait dans l’esprit d’un des dirigeants de Facebook, Twitter, et autres Google, de vous espionner pour utiliser cette information contre vous de quelque manière que ce soit, ce serait la fin de son entreprise.

Internet interdit totalement ce type de comportement car tout se sait un jour ou l’autre, et en général très vite. Un service Internet qui s’amuserait à fouiner dans les petits secrets de ses utilisateurs pour en faire une utilisation louche, non-éthique, serait immédiatement dénoncé, sans doute par ses propres employés, puis abandonné par ses utilisateurs.

Voila pourquoi un service Internet ne s’intéresse pas à votre personne, seulement à vos cookies.

L’analyse de données n’est pas de l’espionnage

Tout le débat est faussé parce qu’il y a confusion entre l’analyse automatique de données et l’espionnage. L’analyse de données, effectuée par des programmes informatiques et non par des humains, sert aux services Internet à s’adapter le mieux possible à vos besoins d’une part (par exemple vous proposer des contenus pertinents pour vous), et d’autre part à mieux cibler les pubs.

Vous préférez quoi, vous ? Les pubs inadaptées des vieux médias, télé ou radios par exemple, jamais ciblées parce qu’ils ont peu de données sur vous ? Ou les pubs d’Internet, parfois tout aussi envahissantes, mais souvent mieux ciblées grâce aux données collectées ? En ce qui me concerne ma religion est faite, je préfère voir de la pub qui me concerne plutôt qu’une pub sans aucun intérêt pour moi. Et je ne confonds pas l’algorithme informatique chargé d’analyser les données pour m’afficher une pub, avec je ne sais quel espion venu de l’Ouest.

Google affiche ses pubs en fonction de vos recherches, de l’analyse automatique de vos mails si vous utilisez Gmail, et de votre historique de navigation si vous naviguez avec Chrome. Le moteur de recherche vous présente également des résultats de recherche personnalisés, en utilisant les mêmes données, qu’il rapporte à votre profil Google si vous en avez un. Sinon il se réfère à vos cookies.

Facebook s’efforce de choisir des pubs pertinentes pour vous en fonction de ce que vous lui avez déclaré dans votre profil, de vos amis et de vos likes. Criteo et d’autres font du retargeting, ils vous présentent des pubs pour des sites marchands que vous avez visités précédemment. En ce qui nous concerne chez Ebuzzing, nous travaillons en priorité sur le ciblage contextuel : nous développons des technologies d’analyse des pages Internet des sites éditeurs sur laquelle nous affichons des pubs, pour afficher la publicité vidéo la mieux adaptée au contenu.

Avec le ciblage des pubs, on est loin des rumeurs qui inquiètent beaucoup de gens sur le thème « Zuckerberg connait tous vos secrets », vous ne croyez pas ? Et la pub, c’est la base de l’économie des médias, elle est indispensable sur Internet comme ailleurs pour faire vivre les producteurs de contenus.

La vraie menace vient toujours des États

Contrairement à ce que pense Bauman, j’estime donc que la menace sur nos libertés ne vient pas d’une quelconque « servitude volontaire », qui nous ferait livrer tous nos secrets aux services Internet. Comme je l’ai dit, ceux-ci ne peuvent rien en faire d’autre que du ciblage publicitaire et de la personnalisation de services, sur une base anonyme.

En revanche, l’actualité récente avec les révélations de Snowden sur la gigantesque affaire d’espionnage de la NSA américaine, démontre bien la tentation totalitaire des États, désireux de contrôler les faits et gestes des individus. Rappelons que Snowden a révélé que la NSA accède directement aux serveurs des grands services Internet US et scanne ainsi des millions de mails et autres communications privées, y compris celles de responsables politiques européens !

Les services secrets et autres organismes étatiques s’en donnent à cœur joie – légalement et illégalement – avec Internet, mais aussi avec les téléphones mobiles et les cartes de crédit. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou contre la fraude fiscale, les États mettent peu à peu en place un système de surveillance des individus digne de Big Brother. Il faut savoir que dans le cadre d’une décision de justice, les fournisseurs de services Internet sont déjà contraints de donner accès à vos informations, y compris le mail. Cette procédure est courante. Mais là il s’agit de tout autre chose : la NSA a mis en place une surveillance systématique, et sans aucun contrôle judiciaire, de millions de communications privées !

Vos mails, vos publications, vos échanges téléphoniques, vos déplacements, vos gains et vos dépenses : rien n’échappe à l’appétit de savoir des administrations, qui travaillent toutes dans le même sens, même si les États-Unis ont une longueur d’avance. Même s’ils sont peut-être encore battus sur ce terrain par la Chine… Cette intrusion croissante des services secrets et des États dans la vie privée des individus est totalement inadmissible, d’autant plus qu’à la différence des sociétés Internet, ils n’auront aucun scrupule à utiliser certaines informations contre vous s’ils en ressentent le besoin ou l’envie.

Ne nous trompons pas de débat ! Le vrai sujet c’est : comment éviter qu’Internet, outil de liberté sans précédent, devienne un outil de surveillance véritablement totalitaire.

C’est cela qui devrait intéresser les sociologues !

 


Sur le web.

PS : Sur un sujet voisin, lire mon billet sur le dernier livre de Michel Serres, consacré au changement de civilisation impulsé par Internet.

Voir les commentaires (10)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (10)
  • Tout cela n’est pas une découverte. depuis la nuit des temps l’entité que l’on appel « état » n’est qu’un moyen d’oppression et de spoliation. Nos états moderne de déroge pas à cette règle. La démocratie telle qu’elle est mis en oeuvre n’est en aucun cas une garantis de préservation des libertés. La démocratie ne garantie que trois choses : le maintiens d’un caste de profiteurs (politique, administration, lobby), l’oppression des producteurs de richesses et le développement sans fin de l’état.

  • Il me semble que cet article passe à côté du sujet d’actualité. Bien sûr les boîtes comme Google et Facebook ne s’intéressent qu’à votre profil marketing, et bien sûr c’est la tentation totalitaire des Etats qui est dangereuse. Rien de neuf sous le soleil.

    Ce qui est nouveau avec Prism, ou en tout cas qui n’était pas connu du public jusqu’à présent, c’est l’accès par le gouvernement à vos données secrètes (oui, secrètes: vous donnez un accès public à votre compte Gmail vous?), sans votre consentement et sans que vous ne soyez informé. C’est pour contrer cette intrusion sans précédent de la part du gouvernement que de nouvelles voix s’élèvent contre l’utilisation de services de ce type, pas contre ces sociétés en tant que telles. D’ailleurs la distinction entre solutions libres ou propriétaires n’a pas de sens ici: c’est le fait que vos données sont hébergées à l’extérieur, hors de votre contrôle, qui pose problème.

  • Pfff … cessons ces grimaces enfantines sur la « totalitarité » des Etats.

    Toutes les démocraties ont toujours tenter de juguler en aval les crimes auxquels elles risquaient d’être exposées, et c’est leur devoir.

    Bien entendu que tous ces services croisent leurs données, pour optimiser leur efficacité. Le contraire serait idiot.

    On dirait que certains découvrent l’eau tiède …

  • Excellent article. Le danger vient bien de l’état, de cette hyper-administration qui survit quelque soit le gouvernement en place.

    Une entreprise privée, prise la main dans le pot de confiture peut disparaitre. Ses dirigeant arrêtés (cf. Eron).

    Mais quand le Crédit Lyonnais nationalisé créer des structures off-shore, investit frauduleusement dans des compagnies d’assurances américaines, que ce passe-t-il ? Monsieur Haberer va très bien, merci !

    Et la NSA ne limogera peut-être que quelques lampistes et, dans le meilleure des cas, changera le nom de son programme Prism.

  • Je suis entièrement d’accord il ne faut pas confondre le fait de scanner des donné

  • ce que des sociologues comme Bauman, qualifiés de « post-modernes », disent : c’est que le politique et les Etats sont finis et que ce sont des sortes de meta-entreprises (ou des lobbies, des réseaux d’intérets) qui vont mener le monde à l’avenir…. Pour exemple, Google à créé un territoire numérique où au-dessus/au-dessous des lois des Etats il pose ses propres règles (par exemple pour la positions des sites dans les résultats de recherches de son moteur etc.). ce n’est pas juste une histoire de « cookies »… Google et consort sont des formes eco-sociales qui administrent des millions de personnes au quotidien sans le moindre contrôle que les idées ou l’éthique de leurs dirigeants. Faire croire qu’ils ne sont que mus par le profit est digne de la pensée d’un chef d’entreprise que je respecte mais cela ne va pas au-delà

  • Je suis entièrement d’accord! il ne faut pas confondre le fait qu un algorithme scan vaut donnée avec une tentative d’espionnage!
    Quel serait l’intérêt pour ces R.S et autre plateforme de communication de vous espionner?
    Quand au reste aussi je suis d’accord mais il faut noté que quelque soit la forme de gouvernement il sera toujours motivé par son proposée intérêt et rarement pas un autre!!!
    Notre seul l’attitude est de choisir si on accepte les choix de l’état ou si on s’y oppose!

    À ne pas oublier : Lorsque les nouvelles technologies on progresse et sont devenue accessible à tous , nous savions pertinemment que les technique d espionnage avaient aussi évoluée!
    Et pourtant on a acceptée l idée de pouvoir être espionnée par nos propres état! Car pourtant on a eu le choix! Les utilisées sans se préoccuper des préjudices encourue ou les refuser!
    La question est donc simple!
    Quel saura votre choix?!?

  • Votre distinction entre les actions des entreprises Internet et celles des gouvernements est artificielle. C’est parce que les premières recueillent et conservent tant de données personnelles sur vous que les seconds peuvent ensuite vous espionner.

    Et c’est parce que les entreprises Internet ont donné leur accord aux gouvernements pour qu’ils vous espionnent que cela est possible.

    Les entreprises privées n’appartiennent pas au monde du Bien parce qu’elles sont privées. Un tel dogmatisme est du marxisme à l’envers.

  • Peut-être lire dans le philomag ce que voudrait faire JulienAssange pour lutter contre les outrances d’un espionnage tous azimuts des utlisateurs d’internet?
    Il reste aussi le choix individuel de ne plus utiliser internet que pour les nécessités?

  • Merci pour l’article, je suis d’accord sur le fond des choses : le danger de l’espionnage vient plus de l’Etat et j’ajouterais que d’ailleurs personnes ne nous oblige à utiliser les services comme Google et Facebook. Par contre les boutons « j’aime » et « +1 » de Google et Facebook sont capables de tracer même des non-inscrits, la solution contre ça c’est d’utiliser Ghostery et Adblock.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les autorités redoutent un attentat d’ici la fin de l’année. Elles l’ont d’ailleurs très médiatiquement fait savoir, tant du côté européen que du côté français, afin que toute la population soit correctement saisie d’inquiétude et de méfiance pour la période des fêtes.

Et donc, que ce soit le résultat d’une action préparée de longue date restée discrète voire secrète au point d’échapper aux renseignements policiers, ou qu’il s’agisse d’un événement quasiment improvisé, selon toute vraisemblance, les prochaines semaines ou, plus probabl... Poursuivre la lecture

Article disponible en podcast ici.

Jadis, seuls les criminels se retrouvaient sur écoute. La traque du citoyen par les bureaucrates était une exception. Les surveillances de masse étaient réservées aux régimes totalitaires, impensables dans nos démocraties.

Or depuis le 11 septembre, nos gouvernements nous considèrent tous comme des potentiels criminels qu’il faut espionner constamment. Et toute comparaison aux régimes totalitaires fera glousser nos fonctionnaires devant une telle allusion.

J’ai déjà longuement commenté... Poursuivre la lecture

L'auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Bordeaux

Dans quelle mesure les différentes générations sont-elles plus ou moins sensibles à la notion de surveillance ? Un regard sur les personnes nées au tournant des années 1980 et 1990 montre que ces dernières abandonnent probablement plus facilement une part de contrôle sur les données personnelles, et n’ont sans doute pas eu totalement conscience de leur grande valeur.

Peut-être qu’à l’approche des Jeux olympiques de ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles